(Cannes) Dans une allée de la salle Debussy, au Palais des festivals, une jeune femme, 20 ans à peine, s’est avancée timidement vers la rangée où était assis Xavier Dolan, président du jury de la section Un certain regard. « J’ai écrit ce mot pour vous ! », lui a-t-elle dit, en lui remettant une lettre manuscrite. Ses amies, restées à ses côtés, la félicitaient pour son courage.

C’était dimanche, quelques minutes à peine avant la présentation à Un certain regard de la comédie dramatique Le procès du chien. Il s’agit du premier film de la comédienne franco-suisse Lætitia Dosch, révélée par l’excellent La bataille de Solférino (2013) de Justine Triet, Palme d’or de 2023 pour Anatomie d’une chute, qui était présente dans la salle.

Toute la distribution (Jean-Pascal Zadi, Mathieu Demy, François Damiens, mais aussi le chien Kodi) était aussi sur place pour cette première, à l’exception d’Anne Dorval, qui, si j’ai bien compris, a préféré éviter toute apparence (même infinitésimale) de conflit d’intérêts avec son ami Xavier Dolan, qui devra juger de son travail.

La Québécoise incarne une redoutable, torve et très comique (dans un registre volontairement caricatural) avocate du nom de Roseline Bruckenheimer, dans un procès singulier l’opposant à Avril Lucciani (Lætitia Dosch), qui se décrit elle-même comme l’avocate des causes perdues. Son nouveau client, Dariuch, lui présente justement une cause désespérée : son chien Cosmos a mordu une femme pour la troisième fois et doit être euthanasié. À moins qu’Avril ne gagne son procès.

PHOTO LOÏC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

La réalisatrice et actrice Lætitia Dosch en marge de la présentation du film Le procès du chien, dimanche

Si vous trouvez ce scénario peu probable, détrompez-vous : Le procès du chien, qui prendra l’affiche au Québec à l’automne, est inspiré d’une affaire célèbre en Suisse. Lætitia Dosch en tire un film sympathique et drôle, mais aussi attendrissant – comme le sont ces petites bêtes –, qui pose des questions morales pertinentes sur le traitement de l’environnement et des animaux. Comment un chien qui a une chanson préférée de Véronique Sanson peut-il être assimilable en droit à une chose inanimée ?

Une adaptation ratée

J’en attendais sans doute trop de l’adaptation par Kirill Serebrennikov de l’excellent roman d’Emmanuel Carrère Limonov, à propos de ce personnage politique et littéraire russe aussi fascinant que controversé. Limonov : la ballade, coscénarisé par Pawel Pawlikowski (Cold War), met en vedette le Britannique Ben Whishaw dans le rôle du trublion soviétique, poète exilé aux États-Unis, devenu star littéraire en France, puis leader nationaliste d’un mouvement d’extrême droite en Russie.

Le cinéaste russe de La fièvre de Petrov (2021) et de La femme de Tchaïkovski (2022), aussi présentés en compétition à Cannes, n’arrive pas à faire de la vie de cet anarchiste punk autre chose qu’un biopic platement conventionnel.

PHOTO ANDREJS STROKINS, FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE CANNES

Ben Whishaw dans Limonov : la ballade

Édouard Limonov s’exile de force dans les années 1970 à New York, qui a été reconstitué grâce à des plans très rapprochés dans un décor auquel on ne croit pas ou intégré avec de mauvais effets spéciaux à la Forrest Gump dans des séquences de films d’archives.

Whishaw fait de son mieux, mais il ne peut accomplir de miracles avec ce personnage mal esquissé et caricatural, qui parle comme ses interlocuteurs un anglais mâtiné d’accent russe qu’on s’explique mal dans une proposition qui n’est pas hollywoodienne.

Serebrennikov, lui-même un dissident russe qui a dû s’exiler à Berlin il y a deux ans, après avoir a été assigné à résidence à Moscou pour son soutien au mouvement LGBTQ+, est aussi un metteur en scène de théâtre et cela se devine facilement. Sa mise en scène statique manque cruellement de mouvement et d’inventivité.

Emmanuel Carrère a un petit rôle dans le film qui est en quelque sorte le sien : il a connu Limonov dans les années 1980, avant de le retrouver 20 ans plus tard à Moscou. L’œuvre fade qu’a tirée Kirill Serebrennikov de son roman tourne à vide et souffre énormément de la comparaison.

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.