(Cannes) Chaque jour, La Presse présente des films vus sur la Croisette.

Moi aussi

Cannes dit Moi aussi

Il y avait beaucoup de spectateurs émus au Cinéma de la plage, mercredi soir, pour la présentation du court métrage Moi aussi de Judith Godrèche, en présence de la réalisatrice et de dizaines de victimes de violences sexuelles qui apparaissent dans ce film poétique de 17 minutes. « C’est la projection dont je rêvais », a déclaré la cinéaste, fer de lance du mouvement #metoo en France, aux autres survivantes. « Ce film vous appartient, vous le savez. Je suis fière d’être au Festival de Cannes qui ancre les films dans l’histoire du cinéma. J’ai fait la montée des marches et vous étiez avec moi. »

Moi aussi, qui était présenté simultanément en ouverture de la section Un certain regard, met en scène des dizaines de femmes surtout, mais aussi quelques hommes, réunis sur une place publique à Paris. La caméra glisse sur leurs visages au son d’une musique folk apaisante, pendant qu’une jeune femme mène la danse et la chorégraphie. On entend des murmures, puis tous et toutes se couvrent la bouche des mains, comme si on les avait empêchés de parler.

Une narratrice enchaîne les courts témoignages de viols et d’agressions, souvent sur des enfants. Les témoignages se superposent alors que l’on voit ces victimes rassemblées se serrer les coudes, se protéger la tête et se cacher le visage, au son d’un cœur qui bat. La jeune femme danse de plus belle, symbole d’une parole qui se libère, alors que chacun fait mine de se livrer un secret avant de s’enlacer.

Judith Godrèche a réalisé une œuvre toute simple, un film d’atmosphères, doux et poignant. Lorsque j’ai quitté la Croisette, une dame pleurait à mes côtés. Je l’ai entendue murmurer pendant le générique : « Moi aussi… »

Diamant brut

PHOTO FOURNIE PAR SILEX FILMS

Malou Khebizi dans Diamant brut

Une découverte

Pour son premier long métrage, Diamant brut, la cinéaste française Agathe Riedinger renoue avec un personnage de l’un de ses courts métrages, réalisé en 2017. Liane a 19 ans, beaucoup de caractère et d’ambition, et vit avec sa mère sans emploi et sa petite sœur dans un petit appartement de Fréjus, sur la Côte d’Azur.

Obnubilée par la célébrité, le bling bling et les « likes » sur les réseaux sociaux, elle est appelée en audition pour la téléréalité Miracle Island, ce qui lui attire quelques dizaines de milliers d’abonnés, mais aussi des commentaires désobligeants. Elle donne des conseils beauté, fait des chorégraphies sur TikTok, ainsi que des vols à l’étalage avec lesquels elle se paie des robes moulantes griffées et des implants mammaires.

Diamant brut est à la fois une réflexion sur l’hypersexualisation des jeunes femmes et sur les bienfaits d’un post-féminisme qui encourage l’autonomisation et le girl power lié au corps. « Je n’ai pas besoin d’un homme pour me protéger », dit Liane, qui est courtisée par un ancien camarade de centre jeunesse.

Agathe Riedinger pose un regard sans condescendance sur la réalité des aspirantes influenceuses. Ses personnages évoquent d’un côté la critique de la téléréalité, de l’exploitation des participants et de la mise en scène racoleuse des conflits autour de relations amoureuses ; et de l’autre, les aspirations de jeunes femmes qui voient une porte de sortie dans les nouveaux métiers liés à la célébrité de type Kim Kardashian. « C’est un talent d’être aimée ? », lui demande sa mère, avec qui elle est à couteaux tirés.

Ce récit d’apprentissage entre la lumière et le désespoir, bien ancré dans son époque, ne se démarque pas forcément par son style naturaliste, mais impose une ambiance et un rythme séduisants. Diamant brut est surtout porté par une jeune actrice très inspirée, Malou Khebizi, une découverte.

La jeune fille et l’aiguille

IMAGE TIRÉE DU FILM LA JEUNE FILLE ET L’AIGUILLE

Vic Carmen Sonne dans La jeune fille à l’aiguille

La jeune fille et l’amer

Magnus Van Horn, un cinéaste suédois de 41 ans qui a passé la moitié de sa vie en Pologne, enseigne le cinéma à la prestigieuse École de Lodz. Son premier long métrage, The Here After, avait été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2015 ; son deuxième, Sweat, était en sélection officielle à Cannes en 2020. Le voici en compétition grâce à La jeune fille à l’aiguille, un film tourné en danois et inspiré d’un célèbre fait divers. Karoline (Vic Carmen Sonne), une jeune ouvrière de Copenhague qui peine à payer son loyer à la fin de la Première Guerre mondiale, tombe enceinte. Elle fait la rencontre de Dagmar, qui dirige une agence d’adoption clandestine et qui changera sa vie. Filmé en noir et blanc, La jeune fille à l’aiguille peine à faire oublier ses influences néo-bergmaniennes – en bien moins abouti –, tellement le film reste englué dans un récit misérabiliste et une mise en scène qui se vautre dans des tonalités idoines. C’est sombre, c’est lugubre et ça finit par ennuyer.

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.