Outre Prise 2, ICI ARTV et Unis TV, une autre plateforme regorge de vieilles séries québécoises : YouTube. En raison du dévouement de certains utilisateurs, l’application du géant américain Google est devenue, au cours des dernières années, la destination de prédilection des consommateurs de télé-nostalgie.

Pas besoin d’explorer les recoins obscurs du site internet pour comprendre pourquoi les fervents d’émissions d’une autre époque aiment s’y perdre pendant des heures. En quelques clics, on déniche des chaînes thématiques comme TVintage, laquelle héberge une large palette de fictions québécoises comme Entre chien et loup, Omertà, 450, chemin du Golf, Les grands procès, Les Brillant, Malenfant (avec Luc Picard), René Lévesque (avec Emmanuel Bilodeau), km/h, Pure laine, Ramdam, Du tac au tac, Les Lavigueur – La vraie histoire et Bob Gratton : ma vie, my life. Certains épisodes ont accumulé des centaines de milliers de visionnements.

TVintage, qui revendique 10 900 abonnés, relaie également des émissions complètes du Défi mini-putt de RDS datant de 1991, 1992 et 1993, commentées par Serge Birrrrrdie ! Vleminckx.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

La chaîne YoutTube TVintage comprend des épisodes de Bob Gratton : ma vie, my life.

Ancien employé de Groupe TVA, Normand Daoust alimente une chaîne semblable. Portant son nom et comptant 9100 abonnés, elle rassemble 890 vidéos, dont plusieurs épisodes des Sentinelles de l’air, Chez Denise, À plein temps, Majeurs et vaccinés, Les machos et Symphorien.

En variétés, on recense Garden party, Double défi, L’autobus du showbusiness et Bla Bla Bla. Sortez les confettis : le mariage de René Simard et de Marie-Josée Taillefer s’y trouve aussi.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Mariage de René Simard et de Marie-Josée Taillefer, en 1987

La collection personnelle de Normand Daoust est tellement imposante (environ 40 000 émissions, sur cassettes, DVD et disques durs) qu’il fournit parfois des extraits aux réseaux de télévision, pour combler leurs besoins ponctuels en images d’archives. « J’ai notamment la première semaine de diffusion de Télé-Métropole [l’ancien TVA] en février 1961. Mes patrons m’avaient donné la permission d’enregistrer des copies », souligne le passionné de télévision, en entrevue.

Normand Daoust détient des extraits qui n’existent nulle part ailleurs.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Normand Daoust (avec Bobinette), devant son imposante collection d’émissions québécoises des décennies 1950, 1960, 1970, 1980 et 1990

En 1991, quand TVA a fêté ses 30 ans, ils m’ont demandé certaines cassettes parce qu’ils avaient tout effacé !

Normand Daoust, ancien employé de Groupe TVA et archiviste ayant une chaîne YouTube

Une autre chaîne enthousiasme les télévores : QC Archives. Non monétisée, elle regorge de vieilles publicités, parfois marquantes, parfois moins, comme celles des automobiles Honda avec Martin Matte, des balais Swiffer avec Élyse Marquis, Nice’n Easy avec Valérie Valois, Downy avec Clodine Desrochers, Jean Coutu avec Xavier Dolan et Distribution aux consommateurs avec Denis Bernard.

QC Archives, qui sollicite des dons de vieilles cassettes VHS, rassemble aussi quelques épisodes complets d’Alys Robi, la série de 1995 avec Joëlle Morin, de Tactik, Deux filles le matin, Loft story, La guerre des clans avec Luc Senay, La boutique TVA avec Louise-Josée Mondoux et Fort Boyard. Côté curiosités, on dénombre le téléroman Sauve qui peut, un making-of d’une heure des Filles de Caleb, et quelques émissions spéciales de Julie Snyder avec Céline Dion.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

La chaîne YouTube QC Archives

Et le droit d’auteur ?

Plusieurs sourcilleront devant une telle manne d’émissions québécoises offertes gratuitement sur YouTube. Et pour cause. Selon les règles du site, les créateurs doivent uniquement « mettre en ligne des vidéos qu’ils ont réalisées ou qu’ils sont autorisés à utiliser ».

Directeur et leader du Groupe des technologies émergentes chez ROBIC, un cabinet spécialisé en propriété intellectuelle, Vincent Bergeron avoue qu’il s’agit d’une situation « un peu curieuse ». Joint au téléphone, l’avocat indique qu’il existe chez YouTube différentes façons d’assurer « un certain respect du droit d’auteur ». L’entreprise a instauré un système permettant de signaler une violation de droit d’auteur et d’exiger le retrait d’une œuvre.

YouTube a également concocté Content ID, un système d’identification de contenu automatisé qui permet aux titulaires de droits d’auteur de prendre « l’empreinte digitale de l’œuvre qu’ils souhaitent protéger », explique Vincent Bergeron. De cette manière, une vidéo présentant la même « empreinte digitale » sera automatiquement bloquée, monétisée en ajoutant des annonces (les revenus seront partagés avec l’utilisateur l’ayant mise en ligne) ou étroitement surveillée (statistiques de visionnements).

Alors, pourquoi trouve-t-on autant d’émissions souvenirs sur YouTube ? La réponse est simple, estime Vincent Bergeron : les détenteurs des droits n’ont pas pris les dispositions nécessaires pour qu’elles soient retirées.

PHOTO FOURNIE PAR VINCENT BERGERON

Vincent Bergeron, directeur et leader du Groupe des technologies émergentes chez ROBIC

Parfois, pour de vieilles, vieilles séries, les ayants droit n’en ont juste rien à faire, et tolèrent cette présence sur l’internet.

Vincent Bergeron, directeur et leader du Groupe des technologies émergentes chez ROBIC, cabinet spécialisé en propriété intellectuelle

Exposés aux poursuites

Professeure titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal, Ysolde Gendreau est catégorique : en vertu du droit d’auteur, les utilisateurs de YouTube qui mettent ces vidéos en ligne s’exposent à divers types de poursuite, notamment en dommages et intérêts.

« Souvent, ce sont des personnes qui ont aimé ces séries et qui veulent que d’autres en profitent. Tant qu’elles n’ont pas reçu de mise en demeure, elles pensent que c’est normal. Avoir de vieilles VHS ne vient pas avec un droit de diffuser sur l’internet. »

Normand Daoust, qui affirme avoir « une permission de TVA », n’a jamais été mis en demeure de retirer des vidéos. La plateforme a toutefois fermé sa chaîne à cinq reprises « à cause des droits d’auteur ».

Et chaque fois, il repart à zéro. « C’est beaucoup de temps et d’énergie, concède l’archiviste. Je n’ai jamais fait d’argent avec YouTube. Je paie pour faire partager ma passion ! »

« Mais j’aime faire plaisir au monde, poursuit le collectionneur. Les gens qui ont mon âge, les baby-boomers… Ils sont contents de revoir d’anciennes émissions. Je reçois souvent des messages de gens malades, de gens en chaise roulante… Ils aiment ma chaîne. Ils disent que ça leur fait du bien, qu’ils trouveraient le temps long, sinon. »