Un nouveau rapport écorche la télévision francophone en matière de représentation des personnes LGBTQ+. Selon cette étude, les séries québécoises « ont tendance » à dépeindre les personnages homosexuels, transgenres et queers de manière « superficielle », « cliché », « réductrice » ou « préjudiciable ».

Publié en juin par Pink Triangle Press, un organisme canadien qui s’investit pour « améliorer la visibilité des communautés LGBTQ+ à l’écran », ce premier Rapport rose relève des différences marquées entre l’offre télévisuelle anglophone et francophone au Canada.

Bien qu’en ouverture du document de 122 pages, on note une amélioration dans l’image des personnes LGBTQ+ au petit écran au cours des cinq dernières années, on précise qu’il s’agit souvent d’une représentation approximative ou « stéréotypée ».

D’après les recherches de Pink Triangle Press, réalisées avec l’appui du Fonds des médias du Canada et de Téléfilm Canada, « la télévision francophone populaire est trois fois plus susceptible de représenter des personnages LGBTQ+ de manière unidimensionnelle » qu’au Canada anglophone.

De plus, la télévision francophone est « beaucoup plus » encline à présenter les personnages LGBTQ+ comme antagonistes ou victimes. Pink Triangle Press rapporte qu’au Québec, les personnages LGBTQ+ sont « presque également répartis entre protagonistes (ou héros) (36 %), antagonistes (36 %) et victimes (27 %) ». Par comparaison, au Canada anglais, les personnages LGBTQ+ sont beaucoup plus souvent protagonistes (88 %).

Point positif : la télévision québécoise comprend, toutes proportions gardées, davantage de représentation LGBTQ+ qu’au Canada anglais. Cependant, « cette représentation est perçue comme nettement moins précise et authentique », souligne-t-on.

Par courriel, le président-directeur général et éditeur de Pink Triangle Press, David Walberg, qualifie le Rapport rose de « coup de sonde pour mesurer les progrès accomplis et identifier les défis qui nous attendent ». « Soyons clairs : ce rapport n’a pas pour but de pointer du doigt, mais plutôt de comprendre et d’apporter à l’industrie quelques faits pour alimenter des conversations importantes. Il est temps d’aller au-delà des stéréotypes […] pour faire place à une représentation 2ELGBTQIA+ plus authentique, complexe et inclusive. »

Des conclusions « étonnantes »

Premier directeur, émissions dramatiques et longs métrages de Radio-Canada, André Béraud s’étonne des conclusions du Rapport rose. « La télévision québécoise a toujours été progressiste pour briser des tabous. Mais effectivement, on peut toujours faire mieux. »

André Béraud mentionne plusieurs séries récentes pour témoigner des efforts déployés pour intégrer des personnages LGBTQ+ : de Six degrés (ICI Télé) à FEM (Unis TV), en passant par Lou et Sophie (ICI Télé), In Memoriam (Crave) et Mont-Rouge (ICI Tou.tv Extra).

PHOTO FOURNIE PAR BELL MÉDIA

Evelyne Brochu, Éric Bruneau, Jean-Simon Leduc et Catherine Brunet dans In Memoriam

Auteur de plusieurs séries incluant des personnages LGBTQ+, comme Nouvelle adresse (Olivier Lapointe, campé par Patrick Hivon) et Cerebrum (l’enquêtrice Simone Vallier, jouée par Christine Beaulieu), Richard Blaimert s’avoue également surpris des conclusions du Rapport rose, surtout lorsqu’il pense au travail de Marie-Andrée Labbé, qui signe STAT et Sans rendez-vous, laquelle s’articule autour d’une infirmière-sexologue lesbienne interprétée par Magalie Lépine-Blondeau.

Dans sa prochaine fiction attendue sur Crave l’automne prochain, intitulée Le retour d’Anna Brodeur, Richard Blaimert accorde « une belle place » aux personnages LGBTQ+, notamment par l’entremise de Patrick (Benoit McGinnis), le meilleur ami de l’héroïne, défendue par l’actrice Julie Le Breton. « Ce n’est pas une chose à laquelle je pense. Mais parce que je suis moi-même gai, c’est comme une extension », indique le scénariste, en entrevue téléphonique.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteur Richard Blaimert

Pour expliquer le décalage entre l’offre francophone et anglophone, Richard Blaimert signale la réalité différente des deux solitudes. Il mentionne notamment Sort of (en français, En quelque sorte), cette série de CBC qui brosse le portrait d’une jeune personne non binaire aux orientations multiples. Plus confidentielle, cette production de Sphère Média s’est néanmoins exportée aux États-Unis, langue anglaise aidant.

« C’est une série nichée, flyée et super intéressante qui apporte un éclairage nouveau, mais elle serait difficile à produire en français au Québec. À Radio-Canada, TVA et Noovo, la cote d’écoute revêt une grande importance. Tu veux rejoindre le plus grand nombre de gens possible. Les règles sont différentes au Canada anglais. »

PHOTO FOURNIE PAR SPHÈRE MÉDIA

La série Sort of

« On sent un effort »

Les conclusions du rapport émanent d’une méthodologie combinant trois facteurs : des entretiens avec neuf personnes du domaine des écrans (dont sept francophones), une enquête bilingue menée auprès de 479 personnes LGBTQ+ travaillant dans l’industrie, ainsi qu’une analyse de contenu de 22 heures de télévision canadienne-anglaise (14 heures) et canadienne-française (8 heures). Déterminé par Parrot Analytics, une firme spécialisée en données d’auditoires, le groupe d’émissions québécoises comptait STAT, Fugueuse, La voix, Club Soly, La faille, C’est comme ça que je t’aime, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé et Portrait-robot.

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STAT

Au Canada anglais, des fictions comme Schitt’s Creek, Transplant, Murdoch Mysteries, Letterkenny et Heartland faisaient partie du lot.

IMAGE POP TV, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Annie Murphy, Eugene Levy, Catherine O’Hara et Dan Levy dans Schitt’s Creek

Étudiante au doctorat en communications à l’UQAM, Juliette Lavallée étudie la représentation des femmes queers en télévision québécoise. Le Rapport rose vient confirmer ses recherches, indique-t-elle.

« Je vois une amélioration, une diversification. On sent un effort. On veut sortir de certaines normes. Mais quand on regarde les personnages de femmes queers, c’était souvent les mêmes histoires : c’était toutes des femmes qui trompaient leurs partenaires. Leur identité sexuelle était banalisée : elles avaient les mêmes envies, les mêmes désirs, les mêmes intérêts que n’importe quelle femme hétérosexuelle. »

Juliette Lavallée apporte un bémol au rapport. Elle aurait souhaité qu’une plus grande diversité de séries soit considérée dans l’analyse de contenu. « Vingt-deux heures d’émissions canadiennes m’apparaissent comme peu d’heures d’écoute pour pouvoir comptabiliser comme “multidimensionnels” ou “unidimensionnels” des personnages. »

Pour sa part, David Walberg, de Pink Triangle Press, souhaite que l’étude contribue à accélérer les changements. « En tant qu’homosexuel, quand je vois une représentation humiliante, c’est toujours comme un coup de poing au ventre, parce que je sais que ces représentations alimentent les comportements dans la vie réelle. Je ressens cette urgence chaque jour quand je lis les nouvelles. »

Lisez l’étude complète