Denise Filiatrault lui avait conseillé de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. « Écris, enseigne, joue, fais de la mise en scène, de la radio… » D’autres le trouvaient éparpillé, l’intimaient d’agripper un art et de s’y tenir. Mais Joël Legendre n’a jamais dérogé aux enseignements de sa mentore.

L’artiste de 57 ans doit la longévité de sa carrière – 40 ans l’an prochain –, il en est convaincu, à cette polyvalence qui l’a mené du doublage à l’animation, jusqu’à l’écriture dramatique récemment. Il n’a jamais été question pour lui d’envisager d’autres plans que le show-business.

« J’ai tellement toujours voulu faire ça que l’insécurité n’est jamais passée en premier », confie Joël dans une loge de l’Espace St-Denis, sa deuxième maison par les temps qui courent, alors que s’amorcent les représentations de sa nouvelle fierté, la comédie musicale Waitress.

« L’amour du métier a toujours été plus fort que la peur de ne pas le faire. J’étais prêt à n’importe quoi. Oui, j’ai fait des chroniques à Sherbrooke pour Les Christine [Lamer et Chartrand, à Radio-Canada, en 1994], j’ai fait des mises en scène pour des groupes de 50 personnes à Saint-Hyacinthe. Avec le recul, parfois, je me dis qu’Enfanforme, j’aurais pu laisser faire [rires] ; je savais bien que ça ne m’amènerait pas de grands rôles au cinéma ! Mais ça a fait partie de mon parcours. Je n’ai jamais fait autre chose que mon métier pour payer mon loyer. »

Calendrier chargé

Cette année, c’est la mise en scène qui accapare Joël Legendre.

Sa première moitié de 2024 a été consacrée à jeter les bases du Matou (à Sherbrooke dès le 2 août, puis en tournée), à parrainer les répétitions des ExSéparables, deuxième spectacle d’humour en duo des ex Patricia Paquin et Mathieu Gratton, puis à imaginer la toute première version au monde de Waitress en français.

Cet été, il s’attelle à monter en quatre mois (alors qu’il en faut normalement 12) une nouvelle mouture de La Cage aux Folles, en résidence en octobre au St-Denis, ainsi que Broadway en lumière, collectif célébrant le répertoire mythique d’illustres comédies musicales (au Casino de Montréal à la mi-octobre).

Entre deux séances avec ses acteurs, il ficelle les tableaux (oui, en juin !) de la prochaine édition – sa sixième – de Noël une tradition en chanson.

Viendra plus tard le boulot sur Multicolore, premier solo de la drag queen Barbada, pour lequel il a néanmoins déjà eu deux réunions et qu’il promet très familial.

N’en jetez plus, la cour est pleine ? Sachez que Joël Legendre a aussi réussi à rédiger, à « temps perdu », un nouveau livre de recettes végétariennes. Lunchs pour tous – 100 recettes végés pour réinventer vos dîners paraîtra en août aux Éditions de l’Homme.

« J’ai des cartables de couleur recouverts de l’affiche de chacun des projets. Le gros de mon travail se fait entre 5 h et 7 h du matin. Je suis hyper méthodique. Je maximise chaque seconde. Je ne vais jamais me coucher sans avoir fini de répondre à mes courriels. Ça tape sur les nerfs de tout le monde, mais ça me permet de faire huit mises en scène en même temps et de ne pas être essoufflé. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le metteur en scène Joël Legendre dans le décor de la comédie musicale Waitress

Comme à Broadway

La semaine dernière, Joël entraînait intensivement Marie-Eve Janvier, Julie Ringuette, Sharon James et le reste de la troupe de Waitress dans des journées durant de 13 h à 22 h.

On le sent fier d’avoir réussi à intégrer la chasse gardée des metteurs en scène des comédies musicales estivales de (feu) Juste pour rire – on ignore pour l’instant si le nouveau propriétaire ComediHa! poursuivra la tradition –, surtout dominée dans la dernière décennie par Serge Postigo et Serge Denoncourt.

« Maintenant que les deux Serge travaillent en Europe, ça m’a ouvert des portes », blague Joël.

Pour Waitress, ce dernier est en fait cometteur en scène. Il travaille en étroite collaboration avec la New-Yorkaise Abbey O’Brien, dépêchée par l’équipe américaine de Waitress (dont la metteure en scène Diane Paulus et l’autrice-compositrice Sara Bareilles) pour veiller au respect du canevas de l’œuvre, inspirée du film du même titre de 2007. Jenna, jeune femme réservée d’un bled perdu des États-Unis, y mitonne des tartes qui la sortiront peut-être de la tristesse d’un foyer violent.

Joël Legendre a dû passer une audition avec le noyau féminin de création américain de Waitress. Une expérience formatrice pour cet inconditionnel de Broadway, qui visite trois ou quatre fois par année l’avenue des théâtres new-yorkais pour se gaver des pièces musicales de l’heure.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Joël Legendre

C’est ma nourriture ! Je voyage cheap, à Broadway. Je prends les billets les moins chers possible. J’arrive le mercredi, je repars le samedi, et je vois quatre shows en très peu de temps.

Joël Legendre

Quand Joël Legendre s’investit dans une mise en scène, ce n’est pas qu’à moitié. Il n’attend jamais après un accessoiriste pour dégoter son matériel, prêt à rouler des heures en camion pour aller chercher les tabourets bistro qui formeront le corps de la trame de Broadway en lumière, ou à écumer tous les perruquiers de la ville pour coiffer ses comédiens du Matou.

Humainement, quel type de directeur estime-t-il être ?

« Ça me prend du monde gentil, qui est à l’heure ! Je suis très relax, mais le travail doit être fait aux dates convenues. Je complimente beaucoup, ce que l’ancienne génération de metteurs en scène faisait moins, de peur que l’acteur s’enfle la tête. Je sais qu’un acteur veut être aimé de son metteur en scène… »

La comédie musicale Waitress est présentée à l’Espace St-Denis, à Montréal, jusqu’au 28 juillet, puis à la salle Albert-Rousseau, à Québec, du 10 au 31 août

Consultez la page de la comédie musicale