Depuis son premier passage il y a sept ans au MTelus, Eddy de Pretto est devenu un des artistes français chouchous des Montréalais. Tellement qu’il a été « promu » jeudi soir à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, qu’il a su réchauffer grâce à son immense talent de performeur et à sa tout aussi grande humanité.

L’auteur-compositeur-interprète est en tournée avec son Crash Cœur Tour depuis le début de janvier en France. C’est une version spéciale, plus intime sans son imposante structure scénique, qu’il a présentée pour une seule soirée ici dans le cadre des Francos.

« Je l’ai créée exprès pour cette salle et pour vous », a dit le chanteur au doux sourire, visiblement ému et « très très très heureux » de retrouver le public québécois. Public qui le lui a bien rendu d’ailleurs. « Je suis arrivé depuis le début de la semaine et on m’a demandé souvent pourquoi j’aime autant venir à Montréal, a-t-il dit après une des longues ovations auxquelles il a eu droit. Mais c’est pour ça ! Parce que vous êtes des fous d’amour. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Eddy de Pretto vit une relation privilégiée avec le public montréalais.

Le spectacle s’ouvre avec une version piano-voix (avec l’excellent pianiste Johan Barnoin) de LOVE’n’TENDRESSE, énorme succès qui figure sur son troisième album sorti l’automne dernier, Crash Cœur, dont les chansons forment une grande partie de ce spectacle. Vêtu d’un simple débardeur blanc, debout sous un faisceau lumineux, ce dépouillement donne au chanteur la dimension d’une Édith Piaf ou d’un Jacques Brel et le fait s’inscrire dans la lignée des grands interprètes de la chanson française.

Il continue dans la même simplicité avec Crash Cœur, avant de se déplacer sur une estrade installée au centre de la scène pour un R+V explosif, où il chante et danse devant un écran, sur lequel on voit… ses musiciens. Manière de montrer que même si le concert est conçu avec des bandes enregistrées, derrière, il y a de vraies personnes qui ont joué de la vraie musique. Mais il n’abuse pas non plus du procédé, et l’écran, qui ne prend pas tout l’espace, servira aussi à des projections abstraites ou de fond de couleur plus neutre.

Tout le spectacle est conçu ainsi, sur un fil entre les pièces qu’il interprète accompagné seulement par le piano, à gauche de l’immense scène qu’il habite avec cette présence folle qu’il a même quand il ne bouge pas, et celles qui font danser, quand il retourne sur son estrade au centre.

Dans le premier tiers du spectacle, on s’est quand même un peu ennuyé du Eddy de Pretto plus hargneux qu’on avait vu au MTelus en 2019, accompagné de son seul iPhone (oui oui), gagnant le public comme un boxeur, chanson par chanson – malgré la puissance de ses interprétations, on craignait un peu qu’il ait perdu son mojo.

Mais c’était oublier à quel point il est un artiste complet qui bâtit ses spectacles avec finesse. Eddy de Pretto fait monter la tension grâce à son charisme exceptionnel et sa seule intensité : chaque mot est craché, chaque phrase est sentie, chaque mouvement de danse est incarné, tellement que le public, qui est déjà gagné, finit par se laisser aller aussi, de moins en moins intimidé par la vastitude du lieu.

Le spectacle a vraiment basculé après Kid, sa chanson aux 50 millions d’écoutes, émouvant appel au respect de la différence qui est devenue plus grande que lui. Il nous a fait lever notre verre à Kid, rappelant avec fierté qu’elle est maintenant étudiée dans des écoles primaires françaises, et qu’elle a même été utilisée à l’Assemblée nationale française pour s’opposer aux thérapies de conversion. Il la chante aujourd’hui avec toute la dignité et la solennité que mérite une œuvre lorsqu’elle contribue à changer le monde.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Eddy de Pretto a livré un spectacle dansant et émouvant.

Pour la suite, le chanteur a réussi ce que peu réussissent : transformer la Wilfrid en piste de danse. Le public a passé pratiquement tout le reste de la soirée debout, mais la particularité d’Eddy de Pretto, comme Stromae, c’est que la réflexion n’est jamais indissociable du plaisir. Il transforme ainsi en hymne dance une chanson comme Être biennn, qui parle de santé mentale et qui résume parfaitement la quête de chaque être humain : « J’ai qu’un but dans la vie/C’est d’être bien avec moi-même. »

Il nous tiendra ainsi en haleine jusqu’au bout, nous faisant chanter a cappella sur Fête de trop, nous faisant sursauter avec une explosion de feu (sur écran !) sur Quartier des lunes, nous faisant entrer en transe avec lui sur Urgences 911.

Quand il a chanté de nouveau LOVE’n’TENDRESSE dans sa version enrobée et dansante en fin de spectacle, avec les paroles affichées pour que tout le monde puisse chanter avec lui, l’émotion était à son comble et les sourires se mêlaient aux larmes. Avant de revenir une dernière fois pour Heureux, il a savouré ce moment de communion du regard, en croisant les bras sur sa poitrine, comme s’il cherchait à nous serrer dans ses bras tous en même temps.

« Malgré la tristesse, il faut trouver comment danser ensemble », avait-il dit un peu plus tôt. C’est là tout l’objectif de cette tournée pendant laquelle il met sa voix et ses paroles ciselées au service du mieux-être individuel et commun. Jeudi soir à la salle Wilfrid-Pelletier, Eddy de Pretto a été aussi pertinent et utile que divertissant et émouvant. Il nous a promis qu’il reviendrait rapidement : on compte sur lui, parce que le monde a besoin de lui.