Dans Entre le meilleur et le pire, un artiste revisite les sommets et les vallées de son œuvre. Malgré une faste tournée d’été, dont une carte blanche ce soir sur les plaines d’Abraham, au Festival d’été de Québec, Louis-Jean Cormier et François Lafontaine, de Karkwa, ont accepté de remonter les chemins de verre d’une discographie dans laquelle les chansons de lumière surpassent celles qui goûtent le poisson cru.

La chanson dont vous êtes le plus fier

François : Un des moments de studio qui m’a le plus marqué est arrivé à la toute fin de l’enregistrement des Chemins de verre [paru en 2010]. On avait avancé sur plusieurs chansons, mais il me restait quelques affaires dans mon sac. Et c’est là-dessus qu’on a construit 28 jours.

Louis-Jean : Son titre de travail, c’était David Bowie.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Louis-Jean Cormier et François Lafontaine, en 2014

François : Ma mère avait reçu un diagnostic de cancer, et Louis-Jean, il a comme des antennes. Il entend des phrases à gauche, à droite, et puis ça ressort en paroles de chansons. La première fois qu’il m’a montré le texte, je ne comprenais pas le titre. Mais c’était simple. 28 jours, c’était la durée d’un cycle de traitements.

Extrait de 28 jours
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Louis-Jean : J’irais avec Moi-Léger [aussi sur Les chemins de verre]. François pianotait un matin et ça n’a pas été long qu’on a compris que ça allait être cool. À La Frette [vieux château transformé en studio, à une heure de Paris], on avait comme défi de commencer le chantier d’une chanson le matin et, le soir même, après avoir picolé, d’écouter la chanson finie. Et avec celle-là, on a relevé le défi. On se donnait quand même le droit de revenir sur certains éléments après, mais si je ne m’abuse, la piste de voix qui a abouti sur l’album, c’est celle que j’ai enregistrée à la fin de la journée, un peu pompette.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Karkwa, en mars 2010

Et c’est ça la beauté de la musique : soudainement, tu as devant toi une nouvelle patente qui n’existait pas quelques heures avant.

La chanson que vous aimeriez pouvoir corriger

Louis-Jean : C’est ironique, parce que c’est une de mes chansons préférées, mais dans Moi-Léger, il y a quelque chose qui me gosse. Ça devait être la fatigue, mais je chante « l’émotion d’un courant d’air », alors que ça aurait dû être « l’impression d’un courant d’air ». Ça m’énerve.

La chanson que vous préféreriez ne pas avoir enregistrée

François : Il y en a plein, man ! Mais je te dirais que ça s’enligne pour être sur Le pensionnat des établis [premier album du groupe paru en 2003].

Louis-Jean : Moi, j’ai de grosses crampes quand j’écoute Dans l’plâtre, avec le bout reggae et des phrases comme « J’aimerais ben voir le cul de ma province feeler number one ». J’ai mal au ventre.

Extrait de Dans l’plâtre
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Souvent, le premier album d’un groupe, c’est un ramassis de plein d’affaires et autant ça peut être extraordinaire, autant ça peut être de l’extraordinaire marde. Nous autres, c’était plus de la marde, surtout qu’on traînait certaines tounes ou certaines idées depuis nos 16, 17 ans.

À cette époque-là, on avait 10 000 influences. On avait ce désir de jouer du funk, du rap, du reggae, du rock. On écoutait Remain in Light des Talking Heads et, tout d’un coup, ça nous prenait une toune pareille, pareille. On a appris à mieux gérer nos influences.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Karkwa a remporté le Félix de l’auteur-compositeur de l’année au Gala de l’ADISQ en 2006.

François : À partir des Tremblements s’immobilisent [deuxième album, en 2005], toutes ces influences sont encore là, mais de manière plus peaufinée, digérée. Si tu prends une chanson comme L’échafaud [sur Dans la seconde, en 2023], il y a un côté Nouvelle-Orléans, DJohn, mais moins premier degré que si on avait enregistré ça il y a 20 ans.

Extrait de L’échafaud
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Louis-Jean : Et il y a quand même des chansons de jeunesse qui sont des réussites. Le coup d’état, j’en ai écrit une première version en secondaire 4 ou 5 avec Michel Gagnon [membre de la première incarnation de Karkwa], dans un groupe qui s’appelait Abysse.

Extrait de Le coup d’état
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Votre plus beau souvenir de festival

François : À l’été 2009, le Festival d’été de Québec nous avait invités à faire un show sur les Plaines avec Malajube et Pierre Lapointe. Et c’était compliqué, parce que c’était en plein milieu d’une tournée en Europe. On était vraiment fatigués, brûlés, on était revenus juste pour ce show-là et repartis juste après, mais c’est le genre d’état qui donne souvent de bonnes performances. Tu vas puiser dans les dernières gouttes d’énergie qui te restent. On avait bien joué.

Votre pire souvenir de festival

Louis-Jean : C’est une histoire loufoque, mais je m’en fous, je n’ai pas d’ego. On était aux Francofolies de Spa, il restait 10, 15 minutes avant le show et je me rends compte que j’ai oublié mon capo [un accessoire pour sa guitare]. Je pars vers ma chambre d’hôtel et un coup rendu là, je me dis : « Ne prenons pas de chance, allons aux toilettes » et pendant que je suis assis, j’entends Frank qui part la première toune du show.

François : Pis là, t’arrivais pas, man ! T’arrivais fuckin’pas !

Louis-Jean : T’as jamais vu un gars courir aussi vite que moi. Mais Frank a quand même dû looper l’intro pendant sept, huit minutes.

La chanson qui vous émeut le plus

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Louis-Jean Cormier aux Francos en juin dernier

François : Il y a quelques semaines, à Saint-Casimir, il y avait une petite fille de 6, 7 ans qui a chanté à s’époumoner Moi-Léger, du début à la fin. À un moment donné, je me suis retourné vers Martin [Lamontagne, bassiste] et il s’était déjà lui-même retourné, parce qu’il avait les larmes aux yeux. C’est dans des moments comme ça que tu te dis : je n’aurais jamais pensé que la musique me ferait vivre ça.

Extrait de Moi-Léger
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Votre moment le plus rock star

Louis-Jean : J’ai le souvenir de jouer sur le Trafalgar Square à Londres pour le 1er juillet [en 2011] et de voir apparaître sur scène l’acteur Mike Myers, poussé par l’ambassadeur du Canada. Austin Powers était venu dire entre deux tounes de Karkwa à quel point il était fier d’être canadien.

François : Je me souviens quand on a joué Le frigidaire [de Georges Langford] devant Joni Mitchell et Herbie Hancock [en 2007, lors de la cérémonie du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens].

Louis-Jean : Ce jour-là, j’ai pris l’ascenseur avec James Taylor, Herbie Hancock, Joni Mitchell et Michael Bublé. Et Michael Bublé chialait sur les chambres d’hôtel, alors que nous, c’était probablement les plus belles chambres qu’on avait vues de toutes nos vies.

Le meilleur album auquel a contribué un membre de Karkwa hors de Karkwa

François : On a beaucoup de choix ! Récemment, la personne qui s’occupe de déclarer les chansons sur lesquelles je joue m’a annoncé que je suis officiellement à plus de 1000 tounes.

Louis-Jean : Julien Sagot [percussionniste et multi-instrumentiste] a une manière de dessiner son son, sur ses albums solos, qui est vraiment hot, très excentrique, très cinématographique.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Julien Sagot aux Francos en juin dernier

François : Les albums des 12 hommes rapaillés [réalisés par Cormier en 2008 et en 2014], il y avait un peu du son de Karkwa là-dedans. La journée qu’on a passée en studio avec Plume Latraverse, c’est une des plus belles journées de musique de ma vie. J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai vécu de quoi.

Extrait de Désemparé, de Plume Latraverse
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Louis-Jean : Il disait, en s’adressant à moi : « Luigi, pars-nous ça, cette toune-là, avec Robbie [Kuster, batteur] sur les scrappers ! » Les scrappers, c’était les balais sur la caisse claire.

Le meilleur solo de François Lafontaine

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François Lafontaine, en octobre 2013

Louis-Jean : La grande qualité de Frank, et ça peut devenir un problème en studio, c’est qu’il est incapable de rejouer deux fois la même chose. Et c’est ce qui fait que chacun de ses solos est jouissif. Il trouve tout le temps des nouvelles affaires écœurantes.

La phrase tirée d’une de vos chansons qui vous représente le mieux

Louis-Jean : Je pourrais te citer plusieurs lignes de Moi-Léger. « Y avait les routes/Y avait les trous que l’on grugeait/Mais c’est de moins en moins pesant/C’est un passage obligé/Un long couloir à creuser/Entre moi et moi-léger ».

On vivait une libération à ce moment-là, parce que tout ce sur quoi on avait bûché depuis tellement d’années devenait de plus en plus facile, et de plus en plus le fun.

Carte blanche à Karkwa, au Festival d’été de Québec, ce mardi à 22 h

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