C’est un départ pour le Festival international de jazz de Montréal, et parmi ceux dont on se souviendra, la formation australienne de jazz-funk Hiatus Kaiyote a donné un coup d’envoi électrisant sur la plus grande scène de la place des Festivals, jeudi soir.

Rien sur scène jeudi n’était plus captivant que la présence et la voix de la meneuse de Hiatus Kaiyote, Nai Palm. Et ce n’est pas peu dire, car les musiciens (Paul Bender, Perrin Moss et Simon Mavin) qui l’entouraient ont été tout à fait remarquables. Mais tout chez l’auteure-compositrice-interprète est hypnotisant.

Une casquette vissée à l’envers sur la tête, le visage orné de paillettes, ses longs cheveux verts descendant jusqu’à ses hanches, des tatouages un peu partout, sa dégaine aussi flegmatique que débordante de charisme, elle était sans contredit la personne la plus cool de la place des Festivals jeudi. Mais bien au-delà de son allure, c’est par sa performance vocale qu’elle nous a convaincue.

Sur une scène joliment ornementée de structures lumineuses et d’écrans habilement animés, le groupe était accompagné de trois choristes, qui ont permis d’amorcer le spectacle avec une introduction durant laquelle les voix ont brillé (avec la pièce Dream Boat). Ce qu’elles ont ensuite continué à faire, se joignant parfaitement aux notes entonnées par les musiciens.

Les rythmes dictés par la batterie de Perrin Moss étaient, tout comme la voix de Palm, complètement magnétiques. Toujours placé où on ne l’attend pas, son tempo est à la fois déstabilisant et envoûtant. Sur Love Heart Cheat Code par exemple, juste après And We Go Gentle, Moss nous remue dans tous les sens, ne nous laisse aucun répit. Il prend tout son temps et pourtant le rythme est frénétique.

Il faut l’entendre pour bien saisir le génie des instrumentations et des arrangements du groupe australien. Les synthétiseurs sont imposants et souvent déjantés, ne semblent pas venir du même univers que les harmonies célestes, et pourtant tout se complète à la perfection.

Catégoriser la musique d’un groupe comme celui-ci revient forcément à amoindrir la complexité de son offre. S’il fallait nommer des genres, il serait question de jazz, de neo soul, de funk, d’électro et de rock, mais aussi d’une certaine influence prog, de musique ambiante et de musique psychédélique. Brassez le tout, confiez la livraison de ce mélange éclectique à des musiciens aguerris et laissez la magie opérer. C’est à cela, en résumé, qu’on a eu droit jeudi.

Dans le froid et l’allégresse

Il faisait anormalement froid jeudi. Le vent a tenté de freiner les ardeurs des festivaliers parfois bien trop peu vêtus pour cette fraîche soirée. À 21 h 30, alors que le spectacle débutait à peine et que plus une once de soleil ne pouvait réchauffer un tant soit peu les spectateurs, ceux-ci se sont faits plus nombreux encore, noircissant le parterre de la Place des Arts. Le Quartier des spectacles était bien en vie malgré la température quelque peu hostile.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Bien qu’inadéquatement vêtus pour certains, les spectateurs étaient présents en grand nombre pour le concert de Hiatus Kaiyote à la place des Festivals, jeudi soir.

Interagissant peu avec le public, Hiatus Kaiyote a laissé la somptueuse musique faire son travail. Il y avait quelque chose de très satisfaisant dans la façon dont les chansons qu’on nous présentait coulaient l’une dans l’autre, ne nous donnant que peu d’occasions de sortir de notre état d’hypnose (ou même d’applaudir). Elle est là aussi, la grande habileté du groupe, qui a su concevoir un spectacle où l’on ne nous sert pas simplement ce que le disque renferme déjà, mais où l’on amène cette même musique à un autre niveau.

Malgré tous les remous que provoque la complexité instrumentale de sa proposition, Hiatus Kaiyote ne semble avoir perdu que très peu de spectateurs durant l’heure et demie qu’a duré sa prestation. La foule est restée compacte, attentive. Ici réside la preuve de la puissance de sa musique. Quand est arrivée l’entraînante Telescope (ce refrain !), après Sip Into Something Soft et Chivalry, notamment, au milieu du spectacle, le parterre était encore bondé jusqu’à la rue Sainte-Catherine loin derrière.

On comptait bien sûr de nombreux admirateurs du groupe dans le public. Lorsque Red Room a débuté, la réaction de la foule nous l’a confirmé. Après de longues années sans spectacle à Montréal, bien que la notoriété du groupe ne cesse de grimper, Hiatus Kaiyote a certainement fait plaisir à beaucoup de monde.

Le spectacle a été interrompu lorsque Nai Palm a aperçu un membre du public ayant besoin d’aide… mais cela a au moins permis de recommencer cette chanson favorite du public du début et aussi de se rendre compte que l’auteure-compositrice-interprète, même si elle préfère se concentrer sur son chant, est une hôtesse très divertissante (et bien équipée de quelques mots de français).

La soirée s’est poursuivie sur la ludique Nakamarra. Quelques mots de l’une des choristes ont été prononcés pour rendre hommage aux peuples autochtones auxquels appartenait le territoire où ont lieu cet été les festivals montréalais, avant un magnifique solo de piano de Simon Mavin. Le spectacle a malheureusement dû être encore interrompu (et même écourté, amputé du rappel) en raison d’un autre incident dans la foule. La groovy Make Friends a été une belle conclusion à cette soirée frisquette mais bouillante.

À 23 h, quand est venu le temps de se quitter, notre idée était faite : Hiatus Kaiyote est une des formations les plus fascinantes et solides en son genre (ou plutôt… ses genres).

Yaya Bey réchauffe (plutôt bien) la foule

L’Américaine Yaya Bey, qui a fait paraître plus tôt cette année son superbe album Ten Fold, avait la tâche de le présenter à une foule de début de soirée de prime abord peu attentive, mais prête à être convaincue.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Yaya Bey

On a voulu être happée par les airs de neo soul, de funk et de house, mais quelque chose a manqué. Cela avait peu à voir avec la performance de la chanteuse. Sa voix grave et sensuelle, posée sur une mélodie de basse, a rapidement attiré les festivaliers. Son chant qui parfois flirte avec le hip-hop a ensuite convaincu les curieux de rester, tandis que la chanteuse a semblé elle-même prendre de plus en plus d’aisance. Mais ce n’était pas aussi convaincant qu’on l’aurait espéré.

Notre théorie : Yaya Bey aurait été mieux servie par un spectacle en salle, la grande scène du Jazz n’était pas tout à fait adéquate pour cette performance feutrée.

Sur des arrangements instrumentaux minimalistes et entraînants, Yaya Bey a amené une saveur beaucoup plus ancrée dans le jazz sur scène que sur enregistrement. Ceux qui connaissaient l’album ont sûrement été heureux de voir les morceaux de Yaya Bey prendre vie en spectacle (même si nous nous sommes dit que le disque est meilleur que le concert l’a suggéré). Plusieurs de ceux qui ne connaissaient pas l’artiste qu’ils découvraient sur scène jeudi en début de soirée ont probablement eu l’occasion de faire une belle découverte.

Le 44e Festival de jazz est officiellement lancé.