Cinquante ans de carrière, forcément il y a quelques histoires à raconter. Et un nouveau disque pour en témoigner. Entrevue avec Stephen Barry.

Après une longue soirée à jouer plusieurs sets au Bistro à Jojo, l’obligé bar blues de la rue Saint-Denis, il quitte les lieux à 3 h du matin. En arrivant à sa voiture stationnée dans la ruelle juste derrière, il constate qu’un coup de feu a été tiré sur le pare-brise. Appel au 911.

« Bonjour, j’aimerais rapporter un incident. Votre nom ? Stephen Barry. Et le policier de répondre : Stephen Barry du Stephen Barry Band ? Je suis parti à rire, j’étais stupéfait et ahuri, notre groupe n’était pas connu du grand public, mais de notre agent de la paix, oui. »

L’auteur de ces lignes a vu le bluesman originaire de Lachine et élevé à Notre-Dame-de-Grâce pas loin d’une centaine de fois : au Pretzel Enchaîné, rue Clark, au G-Sharp, ce juke joint devenu le Barfly, en accompagnant Johnnie Johnson, le pianiste de Chuck Berry, ou plus tard durant les années 1990 accompagné de Hubert Sumlin et de Pinetop Perkins.

Québec blues

La formation originale était composée d’Andrew Cowan et de Jorn Reissner aux guitares et de Paul Paquette à la batterie. Sur la scène du Gesù, on verra le sidérant Cowan, Gordie Adamson à la batterie, Jody Golick au saxophone ténor et l’avocat de profession, l’harmoniciste Martin Boodman. Tous des cracks sur leurs instruments.

Nous aurons une pensée pour le guitariste Michael Jerome Browne qui fut brièvement de l’effectif.

Cette bande d’anglos de Montréal a toujours rayonné à l’extérieur de la métropole.

Notre public, c’est surtout des Québécois francophones, mais cela n’a jamais été un problème pour les unilingues anglophones que nous étions. On a même appris un joli patois : tabarnak !

Stephen Barry

Tournées en Gaspésie, sur la Côte-Nord jusqu’à Natashquan, pas un coin de la Belle Province ne leur a échappé.

« Tout le monde dans le groupe avait deux blondes, c’était une autre époque. Je me souviens d’avoir entendu de la part d’un spectateur [admiratif] en région : on trouve ce genre de blues band seulement à New York ! »

Autre anecdote, provenant cette fois de Saint-Hyacinthe.

« Un petit bar de spectacles rempli de jeunes trop heureux de nous voir, ça sentait le cannabis partout. Au milieu d’une chanson, une fille monte sur la scène, joint au bec, offrant des shotguns soufflés directement dans la bouche des musiciens. Une fois rendue à Reissner [qui mesure 6 pi 7 po], elle s’avance, prête à lui injecter son tabac comique, et lui, en plein solo de guitare, pense qu’elle veut l’embrasser, alors il lui donne un baiser sur la bouche ! »

Jouer dans la cour des grands au Soleil Levant

Le Stephen Barry Band s’est frotté aux légendes du blues de Chicago et du Mississippi qui débarquaient au showbar Rising Sun de la rue Sainte-Catherine que possédait le regretté Doudou Boicel. Le plus souvent, ces derniers arrivaient seuls et nos Montréalais de la note bleue étaient les élus qui allaient donner du corps à leurs chansons. Nous sommes à la fin des années 1970.

Buddy Guy s’est caché dans un coin, à notre insu, dans la noirceur, pour nous observer en répétition, se demandant si nous allions être à la hauteur. Pour des ti-culs comme nous, c’était assez un rite initiatique !

Stephen Barry

Un jour, Big Mama Thornton (Hound Dog fut enregistrée par la chanteuse en 1952, Elvis en a fait un tube) a vivement réagi à un couple de femmes assises tout près de la scène qui jacassaient sans cesse et n’écoutaient pas la Mama.

« Fortement imbibée, l’une d’elles s’écria : “En français !” Big Mama, originaire du Mississippi et pas barrée à quarante, lui rétorqua coup sur coup :Shut your hole !” (ta gueule !) alors qu’elle maîtrisait à peine l’anglais ! »

Ce n’était qu’un rêve

Si Céline Dion nous a jadis pris aux tripes en exprimant sa désillusion avec sa chanson, l’album Only a Dream : 50 ans de blues, sous étiquette Disques Bros, est d’une tout autre rugosité.

Pour tout dire, même les plus initiés au répertoire du Stephen Barry Band sont bouche bée devant la sélection de chansons parues le 21 juin dernier : Freedom Jazz Dance (Eddie Harris), Inner City Blues (Marvin Gaye), Addicted to Love (Robert Palmer), Si j’avais un char (de l’inébranlable Stephen Faulkner, interprétée ici en duo avec la coauteure du classique, Sylvie Choquette). « J’ai appris à bien prononcer “char” en joual », confesse notre homme.

Sans oublier les immortelles, Born in Chicago, That’s How Strong My Love Is, Shakey Ground (Phoebe Snow, Etta James), qui sont reprises avec la même assurance cool des 50 dernières années. En prime, une reprise de Happy Man, chanson autobiographique écrite et enregistrée par Barry il y a plus de 20 ans.

Fier de son p’tit nouveau enregistré au Studio Piccolo devant public, il contemple sa sortie avec lucidité.

« C’est un jalon important, 50 ans, mais je perçois plus ça comme une épreuve d’endurance qu’autre chose. J’ai souvent eu envie de dissoudre le groupe et de passer à autre chose. »

Le 27 juin, au Gesù, à 18 h

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Only a Dream : 50 ans de blues

Blues

Only a Dream : 50 ans de blues

Stephen Barry Band

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