Disparu à 87 ans le 30 décembre 2018, Claude Gingras, critique de musique classique de La Presse durant des décennies, a légué sa collection de disques et ses archives à l’Université de Montréal. Visite dans les coulisses de ce don exceptionnel.

Héritière de l’immense collection de disques 33 tours, de CD et de documents de Claude Gingras, journaliste à La Presse de 1953 jusqu’à la fin de 2015 et spécialiste de la musique classique, l’Université de Montréal (UdeM) entend créer une vitrine virtuelle afin de la mettre en valeur au bénéfice du grand public.

C’est ce que les dépositaires de la collection ont expliqué à La Presse alors que le traitement et le catalogage de la collection sont toujours en chantier, plus de cinq ans après la mort de notre collègue, le 30 décembre 2018. Car la tâche de passer au travers de plus de 40 000 documents est immense et complexe.

« Sur le plan de la recherche, il fallait faire en sorte que chaque objet de la collection soit dûment documenté pour créer une base de données spécialisée. Ce sont les chercheurs qui vont davantage l’utiliser », indique Stéphanie Gagnon, directrice générale de la Direction des bibliothèques de l’UdeM.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Stéphanie Gagnon, directrice générale de la Direction des bibliothèques de l’UdeM

Pour le grand public, nous allons créer une vitrine virtuelle qui sera au cœur de nos activités pour rendre accessible la collection de M. Gingras au monde entier.

Stéphanie Gagnon, directrice générale de la Direction des bibliothèques de l’UdeM

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le centre de conservation de l’Université de Montréal, où sont stockés tous les artefacts musicaux légués par Claude Gingras

Cette vitrine, dont la conception a été confiée à l’agence créative montréalaise Kffein, introduira le public à une petite partie de la collection du critique. On ne pourra pas tout numériser. Cependant, l’UdeM veut faire en sorte que cet outil incitera les curieux à aller plus loin dans leur connaissance de ce don exceptionnel.

Que sera cette vitrine ? « Une découverte du personnage Claude Gingras, répond Morgane De Bellefeuille, directrice adjointe de la Direction des bibliothèques. On va autant découvrir son métier de critique que sa méthode de collectionnement et les grands sujets qu’il a couverts. La vitrine donnera un aperçu de son œuvre à travers de petits extraits et des moments marquants de sa carrière. Mais aussi des moments marquants de l’histoire de la musique du Québec. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La collection de Claude Gingras comprenait quelque 20 000 vinyles et 11 686 disques compacts classés dans les étagères que l’on voit au premier plan de cette photo. Une partie des deux premières étagères visibles à l’arrière-plan abrite d’autres éléments de sa collection.

Au-delà des milliers de disques, de CD et de livres de la collection, Claude Gingras avait créé et constamment mis à jour une abondante documentation associée à son travail. Cet aspect de la collection est le plus singulier et intéresse grandement les dépositaires. M. Gingras avait par exemple constitué des dossiers sur l’OSM, sur l’Orchestre Métropolitain, sur Yanick Nézet-Séguin, sur Kent Nagano, sur le Festival de Lanaudière, etc.

Il associait un chef d’orchestre avec certaines critiques, certains ouvrages documentés ou certains CD. En ouvrant un de ses CD, on retrouvait la critique papier de celui-ci, pliée méticuleusement avec des éléments soulignés et des annotations référant à d’autres enregistrements, à des partitions, etc.

Morgane De Bellefeuille, directrice adjointe de la Direction des bibliothèques de l’UdeM

Une des pièces de l’appartement qu’habitait notre collègue au square Saint-Louis était remplie de tels dossiers thématiques.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Jacqueline Desmarais et Claude Gingras en février 2016 à la remise des prix OPUS

Jacqueline Desmarais

Selon Stéphanie Gagnon, il est très rare qu’une bibliothèque accueille une si grosse collection que celle léguée par Claude Gingras. Son traitement bénéficie de l’aide philanthropique de Mme Jacqueline Desmarais (1928-2018) et de sa succession. La femme de Paul Desmarais (1927-2013), ancien président de Power Corporation, était une grande passionnée de musique classique et une mécène. Elle était aussi une amie de Claude Gingras et tous deux échangeaient régulièrement sur leur passion commune.

Au total, le don est de 3 millions de dollars.

C’est Mme Desmarais qui a eu la vision et qui a mis le projet de valorisation de la collection sur pied. À la suite de son décès, ses fils Paul Jr et André ont voulu poursuivre l’engagement et la vision de leur mère.

Geneviève O’Meara, porte-parole de l’UdeM

Le don de Mme Desmarais permet aussi de verser des bourses à des chercheurs dont le travail nécessitera une exploration plus approfondie de la collection. « Ici, la Faculté de musique de l’UdeM est notre partenaire numéro un », indique Stéphanie Gagnon.

Les chercheurs ont accès aux artefacts depuis septembre 2022. Pour les consulter, ils doivent se rendre à l’entrepôt de l’université où la collection est toujours en traitement et en catalogage. Ils peuvent aussi emprunter certains documents.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Claude Gingras assistait aux concerts avec des partitions annotées, ce qui lui permettait de faire des comparaisons, pas toujours flatteuses, entre ce qu’il entendait et des versions antérieures.

Grand public

De son vivant, Claude Gingras avait demandé que son don soit accessible au grand public. Il le sera notamment grâce à la vitrine virtuelle, comme nous l’avons écrit plus haut. Mais il reste encore des éléments à définir.

  • La sonate pour piano no 29, opus 106, dite Hammerklavier, de Beethoven était une des œuvres préférées de Claude Gingras, indique la bibliothécaire Lina Picard, une des personnes affectées au traitement du don. Or, cette pièce de Beethoven se trouve sur le disque Florilège du piano, de Mozart à Messiaen de l’interprète française Yvonne Loriod. Selon une recherche de Mme Picard, on trouve seulement cinq exemplaires de ce disque dans le catalogue collectif WorldCat auquel contribuent notamment des bibliothèques nord-américaines et européennes.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    La sonate pour piano no 29, opus 106, dite Hammerklavier, de Beethoven était une des œuvres préférées de Claude Gingras, indique la bibliothécaire Lina Picard, une des personnes affectées au traitement du don. Or, cette pièce de Beethoven se trouve sur le disque Florilège du piano, de Mozart à Messiaen de l’interprète française Yvonne Loriod. Selon une recherche de Mme Picard, on trouve seulement cinq exemplaires de ce disque dans le catalogue collectif WorldCat auquel contribuent notamment des bibliothèques nord-américaines et européennes.

  • Reportage au centre de conservation de l’Université de Montréal, où sont stockés tout les artefacts musicaux légué par Claude Gingras suite à son décès.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Reportage au centre de conservation de l’Université de Montréal, où sont stockés tout les artefacts musicaux légué par Claude Gingras suite à son décès.

  • Une carte de presse de Claude Gingras

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Une carte de presse de Claude Gingras

  • Un calendrier annoté de Claude Gingras

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Un calendrier annoté de Claude Gingras

  • Claude Gingras assis à son bureau, chez lui

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Claude Gingras assis à son bureau, chez lui

  • La collection Claude Gingras compte plus de 40 000 documents, dont 20 000 vinyles et 11 686 disques compacts (CD).

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    La collection Claude Gingras compte plus de 40 000 documents, dont 20 000 vinyles et 11 686 disques compacts (CD).

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« Pour faire rayonner le don et créer un sens à travers l’immense collection, nous avions besoin d’une agence [Kffein] pour nous accompagner dans la scénarisation, dit Morgane De Bellefeuille. Il faut trouver des extraits, des moments forts pour les mettre en valeur et créer une histoire qui va susciter l’intérêt des gens. »

Pour avoir un exemple de vitrine virtuelle, on ira voir le site web Reading with Austen de l’Université McGill par lequel les visiteurs peuvent explorer les ouvrages que l’autrice britannique Jane Austen, célèbre pour son roman Pride and Prejudice, consultait dans la bibliothèque de son frère Edward.

Consultez le site Reading with Austen (en anglais)

Dans le cas de Claude Gingras, la vitrine virtuelle pourrait prendre la forme d’une reconstitution de son appartement pour montrer comment étaient classées ses possessions. Mais il reste bien des choses à définir et il est encore trop tôt pour dire si le contenu de cette vitrine sera renouvelé au fil des ans.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Claude Gingras était tellement ordonné dans le classement de sa collection que les dépositaires ont créé une codification directement inspirée de celui-ci. Les œuvres sont ainsi classées en musique de chambre (CHA), piano (PIA), opéras (OPE), avec des sous-catégories telles « i » pour interprète et c pour « compositeur ».

Enfin, une porte d’entrée vers la collection sera aussi créée à la bibliothèque de la Faculté de musique, car les étudiants de celle-ci forment un des publics cibles à qui elle s’adresse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Un des quelque 20 000 vinyles de Claude Gingras dans les mains de la bibliothécaire Lina Picard

Plus de 40 000 documents, dont 20 000 vinyles

Claude Gingras a plus d’une fois affirmé que sa collection comptait quelque 150 000 vinyles, ce qu’ont rapporté La Presse et d’autres médias au fil des ans. Or, quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre qu’il en possédait beaucoup moins. « Vous êtes sûre ? », a-t-on demandé à Stéphanie Gagnon, directrice générale de la Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal, lorsqu’elle a avancé le chiffre de 20 000 disques 33 tours. « On a tout pris ! Tout, tout, tout ! répond-elle avec conviction. Nous avons pris l’intégralité de la collection. » Après la mort de M. Gingras, le personnel des bibliothèques n’a eu que quelques semaines à sa disposition pour vider l’appartement. « Il y avait des disques du plancher jusqu’au plafond, dans toutes les armoires et jusqu’au-dessus du réfrigérateur », relate-t-elle. La Direction des bibliothèques a répertorié :

  • environ 20 000 vinyles
  • 11 686 disques compacts (CD)
  • 2800 partitions musicales, dont certaines annotées
  • 1500 livres
  • 4593 revues
  • une centaine de vidéos en DVD et VHS
  • plusieurs boîtes d’archives personnelles constituées essentiellement de correspondance dont l’accès au grand public devra respecter la Loi sur la protection des renseignements personnels
En savoir plus
  • 89
    La collection Claude Gingras compte 55 CD, 33 disques vinyle et un DVD, soit 89 enregistrements, où l’on entend la sonate pour piano no 29, opus 106, dite Hammerklavier, de Beethoven.
    Source : Lina Picard, bibliothécaire à la direction des bibliothèques de l’université de montréal
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    On dénombre 23 livres consacrés à Maria Callas dans la collection Claude Gingras. Il est possible que d’autres soient en traitement.