« Il y a tellement de monde, ça a aucun rapport ! Ça va être le plus gros show de nos carrières. C’est trop gros pour moi, lance Philippe Brach. C’est sûr que c’est la première et dernière fois qu’on va jouer sur le plus gros stage ! »

Un grand sourire aux lèvres, laissant échapper à quelques reprises son rire un peu fou, Philippe Brach a fait ce constat en tout début de spectacle, comme incrédule face au moment qu’il était en train de partager avec des milliers de festivaliers. S’il a paru impressionné toute la soirée de se retrouver sur cette si grande scène, devant tant de monde, il n’a jamais eu l’air de ne pas être à sa place, bien au contraire.

« On est-tu ben dans un hostie de four ? » C’est tout d’abord avec ces mots que Philippe Brach a salué les spectateurs, alors qu’il donnait son premier concert sur la plus grande scène du festival. Dès son arrivée, vêtu d’un peignoir, en chaussettes et arborant son chapeau-champignon, il nous a conviés dans son monde un peu bancal. Tant qu’à avoir trop chaud, autant avoir trop chaud en bonne compagnie.

Brach a commencé avec une de ses chansons récentes les plus revendicatrices, La peur est avalanche, entouré de son groupe de musiciens, impeccables toute la soirée. Comme il le fait souvent, il y décrit ce qui ne tourne pas rond dans le monde, à coup d’images qui disent tout sans rien dire. Racisme, pédophilie et stupidité humaine y passent.

Il n’y a que lui pour ouvrir un spectacle ainsi. Ses acolytes ont pu tout de suite en mettre plein la vue avec une belle envolée instrumentale. Brach a attrapé sa guitare acoustique, Last call a suivi, les festivaliers ont été séduits par ses mots incendiaires.

Belle musique et grande chaleur

Il faisait si chaud mercredi soir, le soleil pourtant bien couché, que c’en était… franchement désagréable. Et pourtant, rien ne nous aurait fait quitter la place des Festivals, tant ce qui se déroulait sur scène était captivant, nous faisant presque oublier que nous étions en train de nous liquéfier sur place. La canicule ne peut rien contre ces artistes qui dissipent les inconforts à grands coups de bonheur. Philippe Brach était visiblement très heureux d’être là et son public avait clairement très envie de profiter du moment également.

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Des spectatrices lors du concert de Philippe Brach sur la place des Festivals mercredi soir

« Bravo, parce que la journée où il faisait 43 degrés, vous vous êtes dit que vous alliez aller dans le pire îlot de chaleur de la ville. Merci pour ça ! »

Crystel, Nos bleus désirs, Né pour être sauvage (les superbes harmonies !)… Brach a enchaîné les chansons plus anciennes et plus connues de son répertoire. Il était tout en voix, jamais décevant à cet égard. Il a dansé, s’est amusé, s’est laissé aller et a semblé prendre beaucoup de plaisir. Un plaisir partagé.

L’entraînante pièce Tic tac a ramené le nouvel album. Le rythme plus frénétique est alors retombé tout de suite : Le bonheur tousse moins qu’avant, parue en 2015 sur le magistral Portraits de famine, a maintenu le tempo plus lent. Le spectacle a été pensé en montagnes russes, il y a les hauts des morceaux qui font sauter sur place et danser, puis les moments de douceur où l’on atterrit au bas de l’enlevante descente pour un moment de répit.

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Philippe Brach et ses musiciens sur la place des Festivals, mercredi soir

Brach a alors joué le VJ de MusiquePlus en animant un segment télé dans la caméra sur la scène pour présenter ses premiers invités, Population II. « Vous êtes pas prêts », a-t-il prévenu : le rock-prog-électro plein de distorsions et de voix dopée au reverb a pris le relais du spectacle. C’était génial.

La somptueuse Soleils d’automne suivie d’Alice ont permis de redescendre dans un temps calme des montagnes russes. Et puis Héroïne a amorcé un nouvel instant d’émotions fortes auquel s’est ensuite opposé le calme de La fin du monde, qui a mené à un très généreux moment instrumental où le guitariste Simon Trottier a brillé.

Nouvel hilarant segment télé à la MusiquePlus alors, pour présenter la seconde invitée du spectacle, l’électrique Lisa LeBlanc pour une interprétation funky de sa chanson Gossip.

Du bien qui écorche

Retour ensuite au programme principal. Les chansons de Philippe Brach font du bien et font aussi mal parfois, parce qu’elles écorchent l’humanité tout entière, lui reprochent ses déviances. Après la géniale C’est tout oublié, la lugubre mais groovy (oui, oui, les deux en même temps) Mes mains blanches en est une autre qui nous place face à la critique du monde que Brach écrit et chante. Il le fait sans le côté moralisateur de ceux qui pensent tout connaître, il le fait avec un sens de l’humour noir ingénieux, souvent dans l’introspection.

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Philippe Brach, arborant son chapeau-champignon

Le ridicule l’emporte souvent dans un spectacle de Brach. Comme lorsqu’il a vissé sur sa tête un casque de champignon et d’herbe sur lequel est accrochée une GoPro qui filme son visage de très, très proche. Sa reprise de l’hymne national canadien, pleine de sous-entendus, a ensuite été entonnée avec une solennité que l’on devine factice, avec ce plan grotesque du chanteur projeté sur les grands écrans. C’est du bonbon, du grand divertissement.

Révolution est venue juste après. Un hymne à nos fausses révolutions, à nos indignations indignes. Après une interprétation déjantée de Dans ma tête, une chanson au texte aussi décalé que l’air est entraînant, pour dire au revoir à une foule qui a bravé la chaleur pour partager ce beau moment de musique, Philippe Brach a chanté Un peu de magie, guitare à la main.

Après un court rappel (« OK, d’abord, OK ! »), la soirée s’est conclue sur Bonne journée, a capella. « Le soleil vient de se lever, il pleut des cendres sur Gaza… », commence la chanson, sortie en 2015, mordante de pertinence près de dix ans plus tard. « Mais à MétéoMédia, ils ont dit que c’est une hostie de belle journée ! », poursuit Brach.

Le monde ne tourne pas rond, on le sait et Philippe Brach nous le rappelle. Et, en même temps, subtilement, il nous rappelle aussi l’importance de se rassembler, de chanter, de s’indigner ensemble, de faire du malheur une blague pour que la misère soit un peu moins accablante. La soirée sous la chaleur écrasante de la canicule qui frappe Montréal a en tout cas semblé bien plus légère grâce aux airs fous de Brach.