Jas M. Morgan signe, avec nîtisânak, un premier roman coup de poing sur la famille au sens large : celle du sang, la famille adoptive, et surtout la famille queer choisie. Un récit autochtone aussi frais que sans compromis, d’une franchise décapante. Sans oublier… « sexy » !

Disons-le d’emblée : c’est un texte qui détonne, quand on pense a priori au genre autochtone. Pardonnez le stéréotype, mais c’est écrit tel quel dans le texte : « J’en ai soupé, des œuvres centrées sur les symboles visuels et culturels qui traitent de la disparition des Autochtones – une plume par-ci, une coiffe de chef par-là […]. Pourquoi les Autochtones ne peuvent-ils pas être jeunes, dévergondés, bruns, libres, indomptables et en train de baiser ? »

Chose certaine, ils le sont ici, dans ce premier roman exigeant qui est aussi beaucoup plus que ça, bien évidemment. À savoir : engagé, féministe, anticolonialiste, il va sans dire. À cet effet, le Canada est dans ces pages le KKKanada, les réserves sont des rez (« fuck la rez ! »), et la narration est au nom des « bitchs métisses prolétaires et batailleuses ». Ça vous donne une idée du ton.

Oui ! Moi, je pense que le livre est fun, le texte est sexy ! Mais il y a aussi cette réalité : nous, les Autochtones, nous avons aussi tous un trauma. Et nous mélangeons tout ça dans nos écrits, et cela peut être vraiment cathartique !

Jas M. Morgan

Pensez : racisme, masculinité toxique, culture du viol, carrément culture de la pédophilie. Sans oublier cette subjectivité entourant la notion de vérité. Parce que « dans les Prairies, la Vérité est un homme blanc »…

Jas M. Morgan enseigne au département de communications à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. Son roman, qui vient tout juste d’être traduit en français aux éditions du Marchand de feuilles, a reçu un sacré accueil, remportant deux prestigieux prix pour auteurs émergents (le Writers’ Trust of Canada Dayne Ogilvie Prize for LGBTQ Emerging Writers et le Quebec Writers’ Federation Concordia First Book Prize).

« Cet accueil m’a vraiment surpris, je pense que c’est peut-être juste excitant d’entendre des histoires qu’on n’a pas entendues encore dans une perspective autochtone. […] Et puis il y a un manque, en matière de titres féministes, pour aborder les thèmes autochtones. »

Un manque qui commence tranquillement à se combler : « Je pense, sans aucun doute, que je fais partie d’un mouvement de nouveaux auteurs autochtones. On a grandi en lisant des livres sur des sujets difficiles, comme les pensionnats. Maintenant, on dirait qu’on a envie d’écrire sur des sujets plus le fun, comme le désir, le sexe et l’amour ! »

Au-delà des clichés

Un mot ici sur le titre, qui signifie littéralement « mes proches » en cri. Jas M. Morgan, qui est d’origine crie, métisse, saulteaux, y voit une allusion aux « cousins, à la fratrie, aux relations ». Mais attention, pas celles que vous pensez. Dans le texte, une série de courts chapitres, qui se lisent comme autant de réflexions sur la jeunesse queer dans les Prairies, c’est surtout de la famille adoptive qu’il est question. À nouveau, pour tirer un trait sur ces représentations du passé exploitées à l’excès, comprend-on.

« Je n’avais pas envie d’exploiter ma famille autochtone de la même manière que les histoires de nos ancêtres ont déjà été exploitées. » En gros : oubliez ici les clichés à la Edward Curtis, ce photographe qui a fait carrière avec ses fameux portraits des Premières Nations de l’Ouest américain, « en peuple triste et mourant ». « Je ne voulais pas perpétuer ces images… »

Et puis nîtisânak porte évidemment, on l’a dit, sur la famille choisie, ou plutôt « trouvée », à savoir la famille queer.

Jas M. Morgan, qui se considère comme « culturellement trans » (ou « non-binaire selon le schéma colonial »), explique à cet effet que chez les Autochtones, il existe une « discussion sur la souveraineté du genre ». Exit la médicalisation, « par souveraineté, on entend la liberté de vivre son genre comme on le ressent, sans intervention médicale ».

Didactique, vous dites ? Le roman se lit effectivement par moments comme un essai. À nouveau, ça bouscule, et c’est voulu. « J’espère mélanger les lecteurs ! Brouiller leurs cartes, en matière de stéréotypes autochtones ! On n’est pas qu’un peuple romantique dans les musées. On existe, dans le monde autour de vous ! »

nîtisânak

nîtisânak

Marchand de feuilles

242 pages