Dans la série balado Juste entre toi et moi, des artistes ouvrent les portes de leurs souvenirs, de leurs réflexions et de leurs rêves, le temps d’un entretien sans presse.

Dans les semaines précédant ce qui demeurera son ultime présence sur scène en solo, le 3 novembre 2023 à Saint-Eustache, Lise Dion sentait bien que son corps lui intimait de ralentir. Jusque dans les heures avant le lever du rideau, l’humoriste vomissait, et vomissait, et re-vomissait, les prémices de l’infarctus qui la contraindrait à interrompre un spectacle qui commençait à peine.

Pourquoi n’a-t-elle pas tout simplement annulé la représentation, avant le début de la soirée ? « On n’annule jamais un spectacle », tranche-t-elle avec la même fermeté que si elle rejetait l’idée d’assassiner quelqu’un. Ah bon ? « Parce qu’il y a des gens qui ont leur billet et que t’es supposée d’être en forme. T’es supposée agir comme si c’était la première fois que tu faisais le spectacle. Tu ne peux pas dire au monde que tu ne feeles pas. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Lise Dion en entrevue

Beaucoup de qui aura été Lise Dion en tant qu’artiste se trouve contenu dans ces quelques phrases. Beaucoup de sa loyauté envers ses nombreux fidèles. Beaucoup de ses inquiétudes face à la pérennité de sa carrière. Beaucoup de sa capacité presque dangereuse à s’oublier elle-même, sans laquelle elle ne serait jamais arrivée à offrir jusqu’à 514 représentations de son deuxième spectacle, un marathon à cause duquel elle a été visitée par des idées noires, confie-t-elle. Sa tournée d’adieu, plus modeste, s’est interrompue à la représentation 337.

En 35 ans de blagues, Lise Dion est donc montée sur scène dans tous les états imaginables. Présenter un spectacle sous l’emprise d’une bronchite ? « Et je te parle d’une bronchite solide à faire pipi quand tu tousses ! » Donner un spectacle assis ? « Oui, mais ça, c’était de ma faute. J’avais gratté mes pieds avec une lame et la lame était rentrée dans mon pied. »

« La pire affaire, c’est d’annuler un show, martèle-t-elle. Quand t’es obligée de rester chez vous, c’est un cauchemar. Tu ne t’amuses pas le soir où tu ne peux pas faire le show. T’es chez vous et tu penses aux gens déçus. »

La vie d’factrie

Les origines modestes de Lise Dion appartiennent à la légende, en grande partie grâce au numéro qui l’a révélée au festival Juste pour rire, en 1991, et dans lequel elle revêtait son uniforme de serveuse de chez Dunkin’ Donuts.

Mais des boulots éreintants, Lise Dion en a occupé plus d’un avant les beignes, dans des usines de néons, de couvre-lits ou de draperie. Le quotidien d’une usine, c’est tout le début de sa vie adulte. « Sauf que je faisais toujours des discours drôles dans l’escabeau, le vendredi avant qu’on finisse, se souvient-elle. Les emplois de manufacture, ç’a été vraiment dur, parce qu’il n’y a pas d’humanité, il faut que tu produises. »

Dîner assise sur un convoyeur, avec des rats comme camarades ? Lise se souvient de ça aussi, parce que malgré ses 1,2 million de billets vendus, et un compte en banque qu’on lui souhaite conséquent, ça ne s’oublie tout simplement pas.

Quand je passe sur Métropolitain, devant les manufactures, j’ai encore le cœur gros.

Lise Dion

Son respect pour son public n’est évidemment pas sans lien avec cette ancienne vie de factrie, Lise Dion sachant trop bien que de se payer un billet représente pour plusieurs le fruit de quelques séances de serrage de ceinture.

« Quand j’ai commencé à faire des sous, raconte-t-elle, je me suis dit : “Je ne vais pas faire suer mon public avec l’argent, jamais, jamais, jamais.” Un jour, j’ai acheté une petite décapotable et ça m’a pris deux ans à l’assumer. Elle était dans le garage, j’étais fière de l’avoir, mais je n’osais pas me promener avec parce que je ne voulais pas faire mal aux gens qui n’ont pas de sous. »

Embellir l’histoire

En jetant un œil dans le rétroviseur de la carrière de Lise Dion, il serait tentant de conclure qu’il suffit de croire en ses rêves pour qu’ils se matérialisent, la morale sur laquelle débouchent généralement les récits Cendrillon comme le sien.

« Mais moi, je n’y ai jamais cru, c’est peut-être ça, la recette », lance-t-elle en éclatant de rire et en revenant sur sa rencontre avec l’humoriste Yves Rousseau.

Un soir, en s’arrêtant prendre un café au Dunkin’, celui qui animait alors les Lundis Juste pour rire propose à Lise de tenter sa chance comme stand-up, ce à quoi elle n’avait jamais songé, malgré quelques expériences de théâtre amateur et un passage au Conservatoire LaSalle où ses incarnations d’Antigone s’étaient sans cesse heurtées à l’hilarité qu’elle provoquait.

Son pouvoir comique, elle l’avait jusque-là utilisé « juste pour rendre la vie plus facile », précise-t-elle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Lise Dion en entrevue

C’est triste, une shop. Faque moi, je faisais rire les filles pour embellir notre histoire. J’ai toujours voulu embellir l’histoire.

Lise Dion

Sa vie à elle sera considérablement embellie par le succès de son inoubliable numéro du point G, en 1995, le triomphe à partir duquel elle s’autorisera à ne plus jeter un œil à la section des offres d’emploi de La Presse.

La tournée, c’est donc fini, mais d’une certaine manière, à 68 ans, la vie de Lise Dion ne fait que commencer. Elle a des rêves de télé, de cinéma, d’écriture.

« Pour moi, il n’y a jamais rien eu de vraiment grave, à part la maladie ou la mort », dit-elle en se lançant dans une tirade digne d’une motivatrice ou d’une chanteuse de gospel. « La vie est le fun au boutte. Prends le temps de la regarder, prends le temps d’y goûter, va te chercher un cornet, fais quelque chose. J’étais déjà comme ça avant, et depuis que j’ai failli mourir, c’est encore meilleur, la vie. »

Trois citations tirées de notre entretien

À propos de son respect du public

« Quelqu’un qui a le droit de faire une crise de vedette, c’est quelqu’un qui vient de t’opérer au cerveau, ou qui vient d’opérer ton enfant, ou qui m’a opérée pour le cœur. Ça, pour moi, ce sont des gens qui pourraient avoir des caprices. Mais des artistes qui font la vedette, qui font suer leur entourage, j’ai ben de la misère avec ça. C’est un non-respect de ton équipe, un non-respect du public. Si tu joues quelqu’un d’autre pendant que t’es sur scène, ça se peut qu’en entrevue, à un moment donné, le public s’en aperçoive que tu n’es pas aussi fin que t’en as l’air. »

À propos des médias sociaux

« J’ai déjà dit à des artistes : “On s’en fout de tes voyages.” Mes photos de voyage, je ne vais pas faire suer le monde avec ça. Parce qu’il y a des gens qui rêvent d’aller quelque part et qui n’ont pas l’argent pour le faire. Tu peux passer ta vie à avoir des rêves et ne pas avoir l’argent de tes rêves. Alors moi, en plus, juste pour en ajouter, je vais te montrer que je suis allée là et que c’était donc le fun ? »

À propos de ses très longues tournées

« Je pense que j’aurais pu me contenter de moins de shows, mais en même temps, quand il y a une demande, tu ne peux pas dire non. Quand j’ai voulu avoir des congés, même si j’avertissais cinq mois d’avance de me donner un mois pour récupérer, mon ancien agent me disait : “Ouain, mais les billets sont déjà vendus.” Parfois, ce n’était peut-être pas vrai. Mais il ne voulait pas que j’arrête. Faque je n’arrêtais pas. Et moi, si tu me dis : “telle date, il y a 20 billets de vendus”, je vais être là. »

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