Rien n’est jamais « normal » avec Céline Dion.

Ses performances hors du commun, ses entrevues où elle part en vrille tout le temps, l’adoration totale de ses fans, l’obsession du Québec pour ses moindres apparitions, et même cette maladie très rare, le syndrome de la personne raide (SPR), dont je n’avais jamais entendu parler avant qu’elle ne révèle en souffrir. Car il fallait bien sûr que ce soit une maladie qui frappe une personne sur un million, ai-je pesté quand j’ai appris la nouvelle.

La sortie du documentaire Je suis : Céline Dion, réalisé par Irene Taylor, ne pouvait être qu’un évènement, que je ne voulais pas rater, malgré cette impression que je n’allais rien apprendre de nouveau tellement elle a multiplié les entrevues « exclusives » avant la première du film. Et que puis-je ajouter de plus quand à peu près tout le monde en a parlé ?

Mais je trouve très important ce qu’elle tente de nous dire, qui va au-delà de sa maladie. Soit qu’il faudra faire le deuil de la « voix du Bon Dieu », mais pas encore de Céline – et j’espère bien, Bon Dieu.

C’est peut-être même cette Céline-là que j’attendais. Celle qui nous parle sincèrement de sa maladie, mais aussi de la magie de la musique et de son partage, qui ne se résume pas à une note impossible à tenir.

J’ai vu le documentaire le soir de la première à Montréal au Théâtre Maisonneuve alors que Céline était à la projection de New York.

Pendant presque deux heures, j’ai été subjuguée. J’ai ri, j’ai pleuré, et j’ai eu le cœur brisé, deux fois ; en voyant la crise de SPR de Céline et en apprenant la mort de Bear, ce sympathique chien un peu obèse qui restait tranquille aux côtés de la star solitaire, à qui le film est dédié. Une petite phrase au générique qui m’a achevée. Pas le chien en plus, pour l’amour ! Alors qu’elle semble si seule, entourée uniquement d’employés et de ses jumeaux en plein âge ingrat.

PHOTO LA PRESSE CANADIENNE, FOURNIE PAR AMAZON MGM STUDIOS

Une séquence du documentaire Je suis : Céline Dion

C’était très étrange, la première à Montréal, en fait. Avec le tapis rouge, des vedettes, des admirateurs, des drag queens, des photographes, des journalistes et une partie de la famille Dion. À l’entrée, il y avait quelque chose de festif, mais à la sortie, tout le monde était silencieux et bouleversé – on a même dû interrompre le film et demander s’il y avait un médecin dans la salle, parce que des spectateurs ont eu des malaises.

Tout le long du documentaire, je pensais à ma mère. Comment allait-elle prendre ça de voir SA Céline dans cet état d’extrême vulnérabilité ? On ne l’a jamais vue autrement qu’en pleine possession de ses moyens.

Cette scène où nous la voyons en pleine crise de SPR m’a hantée jusqu’à la sortie du documentaire sur Amazon Prime le 25 juin, qui était une occasion d’inviter ma mère à la maison, parce qu’elle n’est pas abonnée à cette plateforme et voulait absolument le voir.

Je ne craignais pas trop son malaise. Ma mère a vu à peu près toutes les maladies possibles en ayant été longtemps préposée auprès des personnes âgées, un métier qui lui a cassé le dos pour toujours. Je craignais plutôt un flot de larmes.

J’ai acheté une boîte de Kleenex préventive, car quand ma mère commence à pleurer, elle n’est plus arrêtable. Et elle adore Céline depuis ses débuts, j’avais écrit une longue chronique là-dessus lors du lancement de sa tournée Courage en 2019.

Lisez la chronique « Céline, ma mère et moi »

Dans cette chronique, je m’étonnais que Céline ne soit jamais passée par un purgatoire ou l’enfer de la drogue, comme beaucoup de mes artistes préférés (dont certains sont morts trop jeunes), et soit restée au sommet à peu près toute sa vie, ce qui forçait l’admiration, qu’on soit fan ou pas. Dans ce film, elle nous dit que pour ça, le prix à payer est très lourd, et je ne suis pas étonnée.

D’apprendre que les premiers symptômes ont commencé il y a 17 ans, ça m’a sciée un peu. Pendant presque deux décennies, Céline a dû performer sans savoir ce qu’elle avait.

J’ai toujours pensé qu’elle poussait sa machine à bout, je trouvais donc normal qu’elle tombe malade, qu’elle s’épuise et qu’elle s’abîme en vieillissant. Comme ces athlètes de haut niveau perclus d’arthrite à un jeune âge pour gagner des médailles, alors qu’ils devraient incarner la grande forme.

J’ai ri quand Céline avoue envier les gens qui fument, boivent, font la fête, et qui sont capables avec leurs voix rauques de faire autant lever les foules qu’elle dans sa discipline monastique. « Je bois de l’eau et je dors 12 heures par nuit », dit-elle, alors qu’on sait qu’elle s’est pliée à des cures de silence qui duraient des semaines pour protéger son « instrument ». Vrai que c’est totalement injuste qu’elle aboutisse à un tel diagnostic en ayant été aussi sage, j’ai même lu sur X des fans écrire que ça aurait plutôt dû arriver à Puff Daddy.

Céline dit qu’elle aurait aimé parfois être « un gars qui fait du rock » et quand elle raconte à ses fils qu’elle a plusieurs fois fait le tour du monde sans avoir rien vu, on la croit.

« Personne n’a donné autant à son public », estime ma mère, pour qui le plus triste aujourd’hui est que Céline n’a pas vraiment pu profiter de la vie.

On ne le mentionne pas trop, mais les gens qui sont atteints du SPR ne deviennent pas centenaires. En découvrant dans ce film l’entrepôt de Céline rempli de souvenirs, qui n’est pas loin de ressembler à celui de Citizen Kane, on se dit qu’il y a de quoi créer un musée, mais je me demande quel est son « rosebud ».

Après ce documentaire, je suis définitivement tombée dans le camp de Céline, que je vais suivre jusqu’au bout. J’irai où tu iras, Céline, comme tu le chantais, que ce soit le punk, le rock’n’roll, le rap, le country ou le chant grégorien.

De toute façon, la seule chose qui faisait obstacle dans mon admiration était ces chansons-performances où elle me perçait les tympans. N’empêche, je n’en revenais pas quand elle sortait la note la plus aiguë d’All by Myself, comme si elle comptait un but en finale de la Coupe Stanley, un exploit qu’elle devait répéter à toutes les représentations, trop nombreuses, ce qui n’a plus rien à voir avec le bonheur de la musique.

« Je vais toujours t’aimer, Céline ! », a crié ma mère devant la télé, quand la chanteuse se demande si son public va accepter qu’elle passe à un autre registre, à un autre répertoire, parce que sa voix a changé et ne sera plus jamais la même. Elle qui rêvait d’incarner au cinéma Maria Callas, son idole…

Personnellement, j’ai toujours secrètement espéré d’elle un album de jazz, après avoir découvert sa virtuosité sur D’eux, composé par Jean-Jacques Goldman, qui utilisait la voix de la diva de Charlemagne autrement, mais ça n’avait pas l’air d’être dans les plans de son mari et gérant.

Ma mère n’a pas que pleuré, elle a été tétanisée par la fin du documentaire. « C’est affreux », a-t-elle dit, avant d’ajouter, lucide : « Nous aurons vu son dernier gros show. » En effet, en 2019, au Centre Bell, où nous avons chanté I’m Alive avec Céline, le dernier spectacle que j’ai vu avec ma mère.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Céline Dion en spectacle au Centre Bell, en 2019

Après, il y a eu la pandémie, les annulations, le diagnostic de SPR, la condition de ma mère qui s’est détériorée, et maintenant ce documentaire. En se relevant péniblement de mon divan pour retourner chez elle en transport adapté – je vois ma mère souffrir du dos depuis au moins 15 ans –, elle a lancé à la blague : « Je suis comme Céline, au fond. »

The show must go on, certes. Mais ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini non plus et Céline n’a pas l’intention d’abandonner, tant qu’on ne l’abandonnera pas. Ce qui, à mon humble avis, n’arrivera jamais, et certainement pas au Québec. J’espère qu’elle ne s’infligera pas l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, comme le veut une rumeur persistante, mais si oui, ce sera à n’en pas douter la performance la plus attendue de ces Jeux, et je serai évidemment au rendez-vous. Avec ma mère.