Il s’est dit beaucoup de choses dernièrement sur l’avenir de notre télévision. Certaines sont convenues, mais d’autres apportent un éclairage intéressant, comme les propos que le comédien, animateur et producteur Charles Lafortune a tenus mercredi au micro de Louis Lacroix sur les ondes du 98,5.

Alors que le mot « découvrabilité » de notre contenu est sur les lèvres de tous les leaders de monde audiovisuel, Charles Lafortune croit plutôt qu’il faut rendre plus accessibles nos propres plateformes.

« Il faut ramener la télé dans la télé », a-t-il répété.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Lafortune

Plusieurs diffuseurs et plateformes spécialisées ont comme propriétaires des Québécois et Canadiens (TVA+, Tou.tv, GEM, Crave, etc.).

Selon Charles Lafortune, il faut offrir une plus grande visibilité à ces canaux et mieux protéger notre écosystème télévisuel si nous voulons mettre de l’avant notre contenu.

Le vice-président contenu et création de Pixcom montre du doigt les fameuses télés connectées qui, contrairement à la télédiffusion traditionnelle, ne sont soumises à aucune obligation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour mettre en valeur les chaînes locales et nationales. Elles privilégient donc des plateformes et des chaînes étrangères avec lesquelles elles signent des accords.

Ce point de vue mérite d’être regardé de près par les membres du groupe de travail créé par le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe. Ce comité, dirigé par Monique Simard, ex-PDG de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), et Philippe Lamarre, président et fondateur d’URBANIA, aura la lourde tâche de revoir les modes de financement de nos productions cinématographiques et télévisuelles.

Là-dessus, je salue l’initiative du ministre. Il faut dépoussiérer cette manière de faire qui n’est plus de son temps.

Dans plusieurs entrevues, Mathieu Lacombe insiste sur la « fracture générationnelle » qui secoue notre univers télévisuel. « Nos jeunes sont sur TikTok. Nos jeunes sont sur YouTube. Est-ce que l’on pourrait investir dans des productions qui seraient diffusées directement sur ces canaux-là ? », a rapporté Le Journal de Montréal il y a quelques jours.

Là, j’avoue que je sursaute quand je lis ça. J’espère que les conclusions du comité n’iront pas dans ce sens. Allons-nous commencer à produire du contenu que nous allons ensuite offrir sur un plateau d’argent à ces plateformes qui sont en train de nous étrangler ? Ça serait le monde à l’envers.

Je veux bien qu’on repense les formats et qu’on se mette à créer des séries sous forme de capsules de 60 secondes, mais là, on est en train de dire qu’il faudrait produire du contenu pour le mettre ensuite sur TikTok et sur YouTube. Mathieu Lacombe l’a encore évoqué chez Luc Ferrandez le 10 juin dernier.

À qui profiterait réellement ce genre d’entente ? À qui iront les recettes publicitaires, si recettes il y a ? Que diraient nos diffuseurs d’une telle entente ?

Si nous commençons à offrir aux plateformes étrangères des productions créées avec nos fonds publics, comment voulez-vous après ça que nous exigions des redevances auprès de Google ou de Meta pour aider nos médias ?

Nous perdons notre argument de négociation. Il faut être cohérent.

Parlant de cohérence, l’exercice que nous sommes en train de faire ne peut atteindre des objectifs clairs sans un véritable dialogue avec le fédéral. Beau casse-tête en perspective.

Il faut savoir que les séries et les émissions que vous regardez sont financées par un mélange parfois complexe de crédits d’impôt et d’argent alloué par Québec et Ottawa. À cela s’ajoutent les revenus publicitaires et de câblodistribution. Ceux-ci connaissent depuis quelques années une chute importante dans un contexte de féroce concurrence de la part des géants du numérique.

Est-ce que le provincial et le fédéral travailleront ensemble pour réussir cette nécessaire révolution ? Il faut savoir qu’Ottawa doit composer avec les réalités des autres provinces.

La réflexion que nous avons, d’autres pays l’ont aussi. Chacun tente de tirer son épingle du jeu dans ce terrible maelstrom et de trouver des solutions pour protéger son industrie audiovisuelle. Est-ce que cela pourrait passer par un accroissement de coproductions avec d’autres pays ?

Des exemples récents nous montrent que nous avons tout ce qu’il faut pour créer des ententes avec des partenaires étrangers.

Bref, c’est un chantier gigantesque qui s’offre à ceux qui osent s’y attaquer. « Ce n’est pas un enjeu qu’on peut régler en pesant sur un bouton », a reconnu Mathieu Lacombe.

Là-dessus, je suis d’accord avec lui.

Je reviens sur le reportage de mon collègue Marc-André Lemieux, publié mercredi, portant sur le contenu télévisuel que des usagers offrent sans vergogne sur YouTube. Comme a dit Ysolde Gendreau, spécialiste du droit d’auteur à l’Université de Montréal : « Avoir de vieilles VHS ne vient pas avec un droit de les diffuser sur l’internet. »

Lisez le dossier « La télé-nostalgie a la cote »

Je suis franchement renversé de voir que les ayants droit ne font aucun effort pour empêcher la diffusion de ce contenu sur des plateformes étrangères.

En revanche, on nous fait payer un abonnement afin de voir avant tout le monde du contenu sur Tou.tv. Et on nous dit qu’une diffusion étendue des archives de Radio-Canada ne peut se faire pour des questions de droits d’auteur.

Pendant ce temps, je peux regarder gratuitement des épisodes de D’Iberville et du Sel de la semaine sur YouTube que des collectionneurs de vidéocassettes offrent inconsciemment à ce géant américain.

Je ne comprends plus rien !