Alain Simard défie la croyance qui dit que pour réussir en affaires, tu dois afficher une attitude rigide et belliqueuse. Celui qui a façonné l’empire Spectra avec ses groupuscules et ses festivals a fait son chemin avec une attitude cool cat qui m’a toujours fasciné.

Voilà pourquoi j’ai plongé avec un plaisir non dissimulé dans la lecture de Je rêvais d’un festival, un ouvrage autobiographique qui retrace son impressionnant parcours. Il se permet même de remonter aux sources, celles de son arrière-grand-père et de son grand-père, Philorum et Omer, qui furent très impliqués dans la vie culturelle de Montréal au cours du XXsiècle.

C’est ce même sang qui coule dans les veines du jeune Alain, passionné de musique et de spectacles, qui, après un voyage marquant à Vancouver, quitte l’adolescence. Puis, ce seront les premiers chocs formateurs : Grateful Dead, Dylan, Kerouac et l’inévitable premier joint. Expo 67, les contestations étudiantes de 1968 et les festivals peace and love de 1969 compléteront le travail.

Nourri de tous ces fruits, Alain Simard, qui n’a pas encore franchi le cap de la vingtaine, se met en tête de faire découvrir la musique underground au public montréalais. C’est en voulant marcher hors des sentiers battus que ce futur grand producteur s’est fait un nom. « Je l’avoue, j’ai été prétentieux de penser que les musiques que j’aimais étaient plus valables que ce que les autres aimaient », dit-il en entrevue.

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL, TIRÉE DU LIVRE JE RÊVAIS D’UN FESTIVAL

Alain Simard avec Oscar Peterson

Avec des amis, dont Pierre Huet, ça sera l’aventure du café-spectacle La Clef. Les clients pénétraient dans une entrée en forme de trou de serrure et traversaient ensuite un tunnel tapissé de papier aluminium éclairé par une black-light. Cet endroit, situé sur le boulevard Henri-Bourassa (avant de déménager rue Saint-Paul et à Terrebonne), devient vite le repaire des artistes champ gauche.

Au début de 1971, La Clef fusionne avec l’Organisation, une coopérative de jeunes producteurs idéalistes ayant à sa tête André Di Cesare. Puis, ce sera la création de La Maison et des Productions Campus qui, en compagnie des Productions Kosmos, programmeront la crème de la musique underground. Quelques exemples ? Pink Floyd, Gentle Giant et Genesis, rien de moins.

Après la fin de Kosmos, Alain Simard se joint officiellement en 1977 à Paul Dupont-Hébert et aux Productions Beaubec. Il y retrouve André Ménard, qu’il a connu plus tôt et qui deviendra un fidèle allié. C’est une période effervescente pour la musique québécoise. Harmonium, Raôul Duguay, Octobre, Beau Dommage… Alain Simard travaille avec tout le monde. Ou presque.

C’est en 1978 qu’Alain Simard enregistre légalement le nom Festival international de jazz de Montréal. Ce projet, il en rêve depuis des années. Pour lui, c’était l’objectif à atteindre. En 1980, une première édition a lieu. « Un festival était pour moi la nouvelle messe, dit-il. Cette idée que les gens vont communier à l’autel de la musique m’enchantait. J’étais idéaliste et naïf, mais c’est ce que je croyais. Cela dit, le Festival international de jazz a transformé le visage de Montréal. »

  • Alain Simard et André Ménard dans leurs jeunes années

    PHOTO ARCHIVES LA PRESSE, TIRÉE DU LIVRE JE RÊVAIS D’UN FESTIVAL

    Alain Simard et André Ménard dans leurs jeunes années

  • Oscar Peterson et Oliver Jones avec Alain Simard

    PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL, TIRÉE DU LIVRE JE RÊVAIS D’UN FESTIVAL

    Oscar Peterson et Oliver Jones avec Alain Simard

  • La place des Festivals

    PHOTO JEAN-FRANÇOIS LEBLANC, FOURNIE PAR LE FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL, TIRÉE DU LIVRE JE RÊVAIS D’UN FESTIVAL

    La place des Festivals

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Alain Simard continue de voir grand et crée Spectra et ses nombreuses activités avec Spectel Vidéo, le Spectrum, Audiogram (avec Michel Bélanger et Rosaire Archambault), les Francos et, plus tard, Montréal en lumière.

Quant aux artistes dont il s’occupe, ils ont pour noms Paul Piché, Claude Dubois, Zachary Richard, Michel Rivard, Offenbach, Carole Laure, Jean Leloup et Louise Forestier. « Ce qui m’animait, c’était de faire connaître les artistes que j’aimais. C’était ça, ma motivation première », confie-t-il.

On le sent bien, si Alain Simard a mené cette carrière, c’est surtout pour les rencontres qu’elle lui permettait de faire. D’ailleurs, tout au long du livre, il s’arrête sur des figures qui l’ont marqué : Dave Brubeck, Oscar Peterson, Michel Legrand, Oliver Jones, Miles Davis et plusieurs autres.

Combiner les relations d’amitié et les affaires n’a jamais été un problème pour lui. « C’était facile. Je n’ai jamais eu de mal à négocier. Paul Piché, qui est revendicateur comme tout le monde sait, me disait que c’était grâce à lui que ma maison de disques était devenue Audiogram. Il voulait un deal spécial parce qu’il était le parrain d’Audiogram. Je comprenais ça et j’ai accepté. Même chose avec Jean Leloup, qui me trouvait trop paternaliste. On s’est parlé. »

PHOTO TIRÉE DU LIVRE JE RÊVAIS D’UN FESTIVAL

Alain Simard dans son bureau

Des questions d’argent ont toutefois mis un terme à sa relation avec Gerry Boulet. Ça et une histoire avec les membres de Corbeau.

Pour le reste, Alain Simard a navigué à travers tous ces projets et ces artistes avec le sourire qui est éternellement plaqué sur son visage. Même le tour pendable de Plume Latraverse n’a pas réussi à le faire sortir de ses gonds. Programmé à la place des Nations, Plume a demandé qu’on ajoute 2500 $ à son cachet de 10 000 $. Il a toutefois promis d’offrir un « élément surprise » à ce spectacle intitulé Plume et ses Melons d’eau.

Alain Simard a alors imaginé que l’artiste iconoclaste allait ajouter une chorale ou un ensemble de cuivres. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir le soir du spectacle que Plume avait disposé sur le devant de la scène… 12 melons d’eau. « Je n’aurais sans doute pas trouvé ça drôle si j’avais perdu de l’argent, dit le producteur. Mais la salle était pleine. Il méritait de faire plus d’argent. »

Alain Simard a toujours dit qu’il n’écrirait pas sa biographie. Pourtant, il offre un témoignage riche qui nous en apprend beaucoup sur l’homme, mais aussi sur la période foisonnante qu’il a traversée.

« Ça fait des années que des amis me disent que je devrais partager le point de vue privilégié que j’ai eu sur la musique. L’écriture du livre fut une merveilleuse expérience. Sans trop m’en rendre compte, j’ai défoncé plusieurs portes. Cela dit, je crois que j’ai toujours été au bon endroit, au bon moment. »

Alain Simard résume trop simplement le succès de son parcours. Naïf ? Il l’a sans doute été. Rêveur ? Résolument. Mais il a surtout été un grand visionnaire et bâtisseur. Et ça, on le doit à sa « tête dure » et à une incroyable détermination.

En librairie le 20 juin

Des affiches, des photos et des objets souvenirs relatant le riche parcours d’Alain Simard seront présentés à la salle d’exposition de la Place des Arts durant la prochaine édition du Festival international de jazz de Montréal, du 27 juin au 6 juillet. L’auteur sera présent tous les soirs, de 17 h 30 à 19 h 30, pour des séances de dédicaces. Un encan aura lieu au profit de la Fondation de la Place des Arts.

Je rêvais d un festival

Je rêvais d un festival

Éditions La Presse

288 pages