Peu d’animateurs survivent à la guerre des empires médiatiques, qui les force quasiment à signer un pacte de loyauté avec le sang de leur premier-né. Stéphan Bureau, l’homme téflon, est l’exception.

Dans les trois dernières années, l’animateur a parlé dans le micro de la radio de Radio-Canada, a traversé chez l’ennemi TVA pour revenir à Télé-Québec, où il pilotera à l’automne le grand plateau d’affaires publiques Une époque formidable.

Stéphan Bureau survit aussi au combat des idées, qui le place régulièrement en porte-à-faux avec une élite médiatique plus progressiste ou plus woke, selon les points de vue. Par exemple, ses propos nuancés – ou moins paniqués – à propos de Donald Trump hérissent un contingent important de commentateurs politiques.

En entrevue, Stéphan Bureau maintient sa position, sur un ton calme et poli. « Ce qui m’embête, c’est la réduction ad Hitlerum que l’on fait de lui. Peut-on sortir des réductions simplettes ? Depuis 2016, Donald Trump incarne davantage notre époque que bien d’autres gens. On parle toujours de lui de façon hystérique. Il y a 75 millions de personnes qui ont voté pour lui, ça ne peut pas être tous des demeurés. Je refuse de succomber à la démonisation systémique du personnage », explique en entrevue Stéphan Bureau.

Selon lui, « nier ou hystériser » une figure polarisante ne l’invisibilisera pas auprès de son public. Ce principe s’applique aussi à un Mathieu Bock-Côté, collègue de Stéphan Bureau chez Québecor. On peut le critiquer, on peut ne pas l’aimer, mais on ne peut pas nier qu’il a de l’impact, rappelle Bureau, qui vit également à Paris, comme Mathieu Bock-Côté.

Télé-Québec a donné carte blanche à Stéphan Bureau pour le choix des sujets de société abordés à Une époque formidable. Chacun des épisodes d’une heure, dont la case horaire n’a pas été précisée, comptera trois thèmes principaux, pas nécessairement collés à l’actualité brûlante.

Des exemples ? Stéphan Bureau refuse de dévoiler ce qui constituerait une émission type d’Une époque formidable, question de ne pas alerter la compétition.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphan Bureau

Contrairement au Monde à l’envers, Stéphan Bureau ne s’entourera pas d’analystes patentés à Télé-Québec, mais bien de gens touchés directement par le sujet de l’émission. Il tient cependant à s’exécuter devant un parterre de spectateurs. « Le public est un élément très important, ce sera très interactif. Je serai en conversation avec les gens dans la salle. Il y aura un petit côté ‟Stéphan veut savoir”. Un peu dans la lignée de Janette Bertrand et de Claire Lamarche », glisse Stéphan Bureau.

L’animateur observe actuellement le mouvement des plaques tectoniques et parle de changements sociaux « aussi féconds que dévastateurs ». Un point de bascule, constate-t-il. « C’est l’occasion de prendre nos destins en main et de refuser l’indifférence. Si on se tait, on va rater un grand rendez-vous », pense-t-il.

Déjà, on sent que Stéphan Bureau entend brasser la cage avec son nouveau projet, que produira Sphère Média. Sera-t-il volontairement provocateur ? Stéphan Bureau préfère le mot « audacieux ». Il ne versera pas dans la « provocation simplette », assure-t-il.

Stéphan Bureau enchaîne : « Le Québec est peut-être un peu plus ouaté que les États-Unis ou l’Europe. Les convulsions du monde semblent moins nous affecter », remarque-t-il.

C’est extrêmement difficile d’accoler une étiquette à Stéphan Bureau. Il demeure une énigme depuis son entrevue controversée avec le médecin Didier Raoult, qui a provoqué son départ de Radio-Canada en août 2021.

Redoutable intervieweur, il mène de solides entrevues avec des Marie-France Bazzo, Fanny Ardant ou Monia Chokri pour sa série balado Contact, puis il y reçoit des invités aux idées discutables, ou controversées.

À l’émission Tout peut arriver sur ICI Première, ses joutes oratoires avec l’animatrice Marie-Louise Arsenault sont épiques. Du gros calibre. Puis, le ballon se dégonfle et Stéphan Bureau visite la chaîne Élo veut savoir d’Éloïse Boies, une vlogueuse obsédée par le satanisme chez les vedettes d’Hollywood ainsi « que les enfants de stars qui deviennent trans ».

Comme s’il existait deux Stéphan Bureau depuis l’affaire Raoult. Un brillant intervieweur qui plaît à son premier public avec des échanges vifs et fouillés. Et un autre, à contre-courant, qui présente des entrevues plus réceptives aux théories du complot. Le décalage entre ces deux versions de Bureau m’étonne toujours.

Les engagements de Stéphan Bureau à Télé-Québec ne compromettent pas ses participations régulières au TVA Nouvelles de 22 h, de même que ses interventions à QUB ou à Salut Bonjour !. Son contrat avec les médias de Québecor se termine au printemps prochain. En France, Stéphan Bureau décortique la course à la présidence américaine pour la chaîne d’informations BFMTV.

Pour revenir à Télé-Québec, Stéphan Bureau espère qu’Une époque formidable durera plusieurs saisons. « Tu ne veux pas lancer une fusée pour qu’elle revienne rapidement sur Terre. J’ai vécu ça l’an dernier à TVA », note-t-il, en glissant que « Télé-Québec ne traverse pas la crise que traverse TVA ». Selon un plan de grille qui circule dans les agences de publicités, Une époque formidable jouerait les mercredis à 20h, tout juste avant Dans les médias.

« Nous fûmes les canaris dans la mine, des canaris qui annonçaient des temps difficiles », dit Stéphan Bureau, dont Le monde à l’envers a été débranché en août 2023, trois mois avant la suppression de 550 postes au Groupe TVA.

À cinq semaines de fêter ses 60 ans, Stéphan Bureau ne ressent pas d’angoisse ni de nostalgie. Rien du tout. « Ça me laisse complètement indifférent. Ça ne sera même pas souligné », affirme-t-il.

Peu importe le chiffre, pense Stéphan Bureau, « si tu es là, peux-tu encore être pertinent ? »

C’est une question que davantage d’animateurs de télé devraient se poser.