Audacieuse, diverse, provocatrice, la plus importante exposition d’art visuel au monde donne cette fois la parole à des artistes qui gravitent à l’extérieur des grands cercles occidentaux. À l’occasion de la 60Biennale d’art de Venise, présentée jusqu’en novembre, La Presse vous propose un survol en huit points de ce que vous devez savoir si vous passez par la Sérénissime.

Foreigners Everywhere

PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

Dès l’entrée de l’Arsenale, on peut voir l’installation lumineuse Takapau, du collectif Mataah, regroupant des artistes maoris de Nouvelle-Zélande.

Foreigners Everywhere (Étrangers partout). C’est le thème de l’exposition commissionnée par le Brésilien Adriano Pedrosa, qui lui donne deux sens : d’abord, peu importe le lieu où l’on se trouve, on croise partout sur notre chemin des étrangers. Mais aussi : partout où nous allons, nous sommes nous-mêmes des étrangers aux yeux des autres. De nombreux artistes autochtones, artistes ou artisans du Sud, d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen-Orient, ou encore issus des communautés LGBTQ+ – considérés comme des étrangers dans leur propre pays – ont été invités à la Biennale, mais aussi des artistes européens qui ont vécu à l’étranger. Bref, Pedrosa a voulu donner la parole à ceux qui n’en ont pas.

L’Arsenale et les Giardini

PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

Des grandes fresques tissées à la main exposées dans la première salle de l’Arsenale

Ce sont les deux lieux historiques principaux de la Biennale d’art de Venise. L’Arsenale est un ancien chantier naval qui a plus de 1000 ans ! Plus de 350 artistes y exposent leurs œuvres en lien avec le thème Foreigners Everywhere. Un arrêt à mi-chemin est prévu pour prendre une pause et se ravitailler. Dans les Giardini, ce sont les pavillons des différents pays participants que l’on peut visiter dans une ambiance d’exposition universelle assez unique. Mais d’autres pavillons et musées abritent également des délégations qui se trouvent disséminées dans les rues labyrinthiques de la ville. La Biennale fournit évidemment une carte détaillée des lieux d’exposition. Au total, 88 pays sont représentés à la Biennale cette année. On vous recommande notamment les pavillons de la Finlande, de l’Égypte, de la France et du Japon, entre autres…

La dimension politique

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Le pavillon israélien a été fermé à la demande même de l’artiste Ruth Patir.

Impossible d’ignorer la dimension politique de la Biennale, l’équivalent des Jeux olympiques des arts visuels. Cette année, la Russie a carrément été bannie de la Biennale (il y a deux ans, c’est l’artiste russe qui s’était désistée en réaction à l’invasion en Ukraine), mais pas Israël, dont la présence a irrité de nombreux pays. Cette fois, c’est l’artiste israélienne Ruth Patir qui a choisi de suspendre son exposition. « L’artiste et les conservateurs du pavillon israélien ouvriront l’exposition lorsqu’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages sera conclu », peut-on lire sur la vitrine de l’édifice. Un geste salué par beaucoup d’observateurs. Seule ombre dans ce Giardini idyllique, deux soldats italiens armés montent la garde.

Le Canada bien représenté

  • Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

    PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

    Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

  • Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

    PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

    Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

  • Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

    PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

    Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

  • Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

    PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

    Pacotille, de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga

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L’artiste canadienne d’origine tanzanienne Kapwani Kiwanga, qui a grandi à Hamilton, en Ontario, a été choisie pour représenter le Canada cette année. Son installation baptisée Pacotille – une commande du Musée des beaux-arts du Canada – est constituée de plusieurs rideaux de petites perles de verre provenant de l’île vénitienne de Murano, autrefois utilisées comme monnaie d’échange, aujourd’hui considérées comme des objets de pacotille. Les rideaux qui entourent les murs extérieurs du pavillon sont bleus, ceux qui tapissent les murs intérieurs créent des motifs avec plusieurs couleurs. Tout cela pour illustrer « la façon dont certaines sociétés ont été édifiées à travers le commerce, les échanges et les rencontres entre les peuples ». Une autre artiste canadienne représentée à la Biennale, la Montréalaise Joyce Joumaa, présente son installation Memory Contours dans le pavillon central des Giardini.

Lisez notre entrevue avec Kipwani Kiwanga

L’immigration au cœur de la Biennale

PHOTO FOURNIE PAR LA BIENNALE DE VENISE

The Mapping Journey Project, de l’artiste franco-marocaine Bouchra Khalili

Le thème de l’immigration, éminemment d’actualité en Europe (comme ailleurs), est exploré de brillante manière dans plusieurs œuvres et installations de cette Biennale. Parmi elles, The Mapping Journey Project, de l’artiste franco-marocaine Bouchra Khalili, une installation de huit vidéos réalisées entre 2008 et 2011 que l’on peut voir à L’Arsenale. Sur de grands écrans, on entend le récit chaotique de plusieurs migrants ayant quitté leur pays pour toutes sortes de raisons. Sur une carte, on voit leur main tracer au feutre les multiples trajets qui les ont menés (ou pas) jusqu’à leur destination finale. Des témoignages souvent poignants pendant lesquels, en l’absence d’un visage, on s’accroche aux histoires.

La guerre à Gaza évoquée

PHOTO JEAN SIAG, LA PRESSE

Come, let me heal your wounds. Let me mend your broken bones, de l’artiste Dana Awartani

Une installation émouvante créée par l’artiste d’origine palestinienne et saoudienne Dana Awartani se trouve dans le premier tiers du parcours de l’immense salle de L’Arsenale. Come, let me heal your wounds. Let me mend your broken bones est un requiem pour tous les sites culturels et historiques détruits à Gaza depuis le début de la guerre. Awartani a conçu un assemblage de toiles de soie déchirées à plusieurs endroits, chaque déchirure correspondant à la destruction d’un lieu. Mais en y regardant de plus près, chaque déchirure a été recousue. Les toiles ont ensuite été trempées dans un mélange d’herbes et d’essences qui favorisent la guérison.

Le pavillon déjanté de la Suisse

PHOTO FOURNIE PAR LA BIENNALE D’ART DE VENISE

Le film de Guerreiro do Divino Amor célèbre le chauvinisme suisse de manière outrancière, faisant usage de tous les clichés imaginables sur les grandes puissances.

Le pavillon de la Suisse est comme une respiration dans ce parcours souvent chargé – politiquement, socialement, émotivement – par des œuvres très fortes. L’artiste Guerreiro do Divino Amor a conçu une œuvre immersive kitsch pleine d’autodérision qui représente une Suisse toute puissante, qui ferait partie d’une civilisation supérieure. Une expo qui s’inscrit dans un projet encore plus vaste baptisé Super Superior Civilizations. Il est ainsi question du miracle helvète, et dans un film de dôme projeté à 360 degrés, le créateur suisse d’origine brésilienne s’en donne à cœur joie en nous présentant une allégorie de la Suisse superpuissante, paradis terrestre, avec ses jardins luxuriants et ses divinités. Une surprise nous attend à la sortie, clin d’œil à la chute des grands empires.

Le Lion d’or national à l’Australie

PHOTO FOURNIE PAR LA BIENNALE D’ART DE VENISE

L’artiste Archie Moore devant son installation présentée à Venise

L’installation australienne Kith and Kin, conçue par Archie Moore, nous plonge dans la pénombre. Sur les murs d’ardoise qui encerclent la pièce, et même au plafond, on distingue un arbre généalogique monumental des Premières Nations écrit à la craie blanche, avec des trous à combler. Un arbre dense, mais incomplet, qui retrace une histoire vieille de 65 000 ans (à laquelle appartient l’artiste). Au centre, on a déposé des centaines de documents sur un îlot, dont des rapports de coroner évoquant des morts suspectes ou des sévices subis par ces peuples aux mains de l’État. Le jury a choisi de récompenser cette œuvre qui a nécessité des années de recherche et des mois pour inscrire tous les noms à la craie pour « son esthétique, son lyrisme et l’évocation de son passé occulté ». L’artiste franco-turque Nil Yalter a aussi reçu un Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre.

La Biennale d’art de Venise est présentée jusqu’au 24 novembre 2024.

Visitez la page officielle de la Biennale (en anglais)