Pour la 60Exposition internationale d’art – La Biennale di Venezia, qui a débuté la semaine dernière, le Pavillon du Canada est couvert de perles : un véritable tour de force signé par l’artiste invitée, Kapwani Kiwanga, qui y présente l’exposition Trinket [Pacotille]. Entrevue avec celle qui a transformé le pavillon canadien.

De sa résidence d’artiste à la Villa Médicis de l’Académie de France à Rome, Kapwani Kiwanga peut maintenant affirmer, quelques jours après l’ouverture de l’évènement, que son œuvre est un succès. « C’était une grande joie de savoir que les gens avaient de bonnes réactions quand ils entraient dans le pavillon », souligne celle qui est originaire d’Hamilton, en Ontario. « C’est très fort en émotions parce qu’on travaille pendant pas mal de temps sur un projet, collaborativement, et on espère que ça va bien fonctionner. Un jour ou deux avant l’ouverture, on avait réussi à tout finaliser et je me suis dit “enfin ça fonctionne” », souligne-t-elle.

Depuis une semaine, la prestigieuse Biennale de Venise a ouvert ses portes sur le thème Des étrangers partout [Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere], qui pose des questions liées aux déplacements géographiques et de genre. Une véritable réflexion sur les enjeux de migration, d’exode et d’exil. L’exposition principale a été dirigée pour la première fois par un commissaire brésilien, Adriano Pedrosa, directeur du Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand – MASP. Les arts négligés par l’Occident ainsi que les artistes de la diaspora et en marge des courants principaux sont à l’honneur dans cette exposition.

Dans les Gardini, le Pavillon du Canada s’est transformé en un environnement immersif pour l’occasion : le bâtiment entier devient une sculpture, comme le souligne Jonathan Shaughnessy, directeur des initiatives curatoriales au Musée des beaux-arts du Canada et coprésident du comité de sélection des artistes pour la représentation canadienne à la Biennale de Venise.

PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

Vue d’installation de l’exposition Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024, Pavillon du Canada.

« Peu d’artistes veulent travailler avec le bâtiment en soi et [Kapwani Kiwanga] l’a fait », fait remarquer M. Shaughnessy, qui souligne l’ambition du projet, soutenu par le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), et l’’importance d'user de l’espace du lieu d’exposition pour cette édition.

L’artiste retenue a relevé le défi de créer une œuvre qui dialogue avec son site d’accueil. Le Pavillon du Canada, qui, architecturalement parlant, est assez complexe par ses formes et ses matériaux, a vu sa façade en bois remplacée par du verre, l’œuvre de Kapwani Kiwanga jouant sur la transparence et reliant l’intérieur et l’extérieur du lieu.

  • Kapwani Kiwanga, Impiraresse (Blue) [Impiraresse (Bleu)], 2024, perles de verre bleu de cobalt, fil métallique recouvert de nylon, composants métalliques, dimensions variables. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

    PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

    Kapwani Kiwanga, Impiraresse (Blue) [Impiraresse (Bleu)], 2024, perles de verre bleu de cobalt, fil métallique recouvert de nylon, composants métalliques, dimensions variables. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

  • Kapwani Kiwanga, Impiraresse (Blue) [Impiraresse (Bleu)], 2024, perles de verre bleu de cobalt, fil métallique recouvert de nylon, composants métalliques, dimensions variables. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

    PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

    Kapwani Kiwanga, Impiraresse (Blue) [Impiraresse (Bleu)], 2024, perles de verre bleu de cobalt, fil métallique recouvert de nylon, composants métalliques, dimensions variables. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

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Des perles vénitiennes

Si Trinket [Pacotille] est une œuvre grandiose et majestueuse, elle incite aussi les visiteurs à être attentifs aux petits éléments. Lorsqu’on la scrute de près, « on se rend compte que c’est fait avec des perles de Murano », décrit l’artiste. Cette île située à Venise, dans la lagune, est reconnue pour ces perles nommées « conteries » ou perles de rocailles. Au XVIsiècle, de tels bijoux étaient utilisés comme monnaie d’échange, au-delà de leur appréciation esthétique. Le Pavillon du Canada est donc tapissé de ces petits ornements, du mur au sol, en plus de présenter quatre sculptures qui dévoilent un perlage minutieux au fur et à mesure que l’on s’en approche.

Les recherches qui mènent mon projet sont souvent liées à un endroit, à un dialogue avec un espace, soit architectural, culturel, social ou historique.

Kapwani Kiwanga

Dans ce cas-ci, il s’agissait de saisir les spécificités de Venise, soit les échanges commerciaux.

« L’idée m’est venue parce que je me demandais comment cette petite île qui a été tellement puissante dans l’histoire a touché tous les coins du monde. Je trouvais ça assez intéressant. »

Lors de la Biennale, « le monde » vient à Venise, alors il devenait pertinent pour Kapwani Kiwanga de renverser la question et de saisir comment Venise est allée à la rencontre du monde en tant qu’État mercantile.

  • Kapwani Kiwanga, Transfer III (Metal, wood, beads) [Transfert III (métal, bois, perles)], 2024, bois, encre de Pernambouc, cuivre, perles de verre, 160 cm × 100 cm × 66 cm. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

    PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

    Kapwani Kiwanga, Transfer III (Metal, wood, beads) [Transfert III (métal, bois, perles)], 2024, bois, encre de Pernambouc, cuivre, perles de verre, 160 cm × 100 cm × 66 cm. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

  • Vue d’installation de l’exposition Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

    PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

    Vue d’installation de l’exposition Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

  • Kapwani Kiwanga, Transfer II (Metal, breath, beads) [Transfert II (métal, souffle, perles)] et Transfer IV (Metal, wood, breath, beads) [Transfert IV (métal, bois, souffle, perles)], 2024, bronze, verre soufflé, perles de verre ; bronze, feuille de palladium, bois, verre soufflé, perles de verre, 160 cm × 120 cm × 32 cm ; 164 cm × 100 cm × 70 cm.

    PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

    Kapwani Kiwanga, Transfer II (Metal, breath, beads) [Transfert II (métal, souffle, perles)] et Transfer IV (Metal, wood, breath, beads) [Transfert IV (métal, bois, souffle, perles)], 2024, bronze, verre soufflé, perles de verre ; bronze, feuille de palladium, bois, verre soufflé, perles de verre, 160 cm × 120 cm × 32 cm ; 164 cm × 100 cm × 70 cm.

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L’artiste anthropologue de formation, qui a vécu à Montréal avant son départ pour Paris, passe de nombreuses heures à plonger dans les archives sur la thématique qu’elle affectionne. Rien n’est laissé au hasard et chaque projet est nouveau. « Une grande majorité du temps de mon travail est vraiment la recherche. […] lire des articles, rencontrer des experts. » Pour Trinket [Pacotille], Kapwani Kiwanga s’est d’abord intéressée à la fabrication des perles, ensuite à leur circulation, ce qui l’a menée à interroger les formes de pouvoir que créent les transactions commerciales. Comment ces perles ont-elles servi au troc et ont-elles été échangées ? Comment ont-elles eu un impact sur les relations sociales et économiques ? Comment sont-elles absorbées par les cultures locales ?

Pour celle qui a travaillé en collaboration avec la commissaire Gaëtane Verna, directrice générale du Wexner Center for the Arts, pendant toute la durée du processus de création, il s’agit de prendre le pouls de nos sociétés par des projets artistiques : « Ce qui m’intéresse, ce sont les asymétries de pouvoir et c’est de comprendre structurellement pourquoi certaines choses sont comme elles sont : il n’y a pas toujours de justice et de beauté partout. »

PHOTO VALENTINA MORI, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

Kapwani Kiwanga, Transfer I (Metal, breath, palm oil, beads) [Transfert I (métal, souffle, huile de palme, perles)], 2024, acier noir, verre soufflé, huile de palme, perles de verre, 163  cm × 72,5 cm × 30 cm. Vue d’installation, Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille], 2024

De la poésie avant tout

Trinket [Pacotille] révèle plusieurs couches de sens pour rejoindre à la fois le grand public et le public plus aguerri. « Dans tout ce que je propose, je veux qu’il y ait une complexité, plusieurs histoires, que ce soit ouvert. » Les visiteurs pourront ainsi être rassurés de saisir l’œuvre : l’artiste ne transpose pas nécessairement ses recherches de manière hermétique, intellectuelle ou conceptuelle. Ce sont les formes et les couleurs qui dominent. « Après en avoir appris plus sur le sujet, je commence à me lancer. Je vois comment je vais trouver des formes pour transmettre ces informations. »

Et qu’est-ce que l’artiste souhaite que l’on retienne de sa présence à Venise ? Elle espère « rendre visibles toutes les petites choses qui ont façonné notre monde. Des choses dont on ne se rend pas compte, mais qui sont là devant nous et qui ont eu un impact assez important ». Trinket [Pacotille] montre en somme que de minuscules perles ont été capables de modifier, voire de déstabiliser les relations sociales et économiques, créant des rapports de force entre dominants et dominés. L’artiste invite le public à être curieux et à avoir sa propre lecture du projet, car « c’est ce qui est beau dans l’art ».

La 60Exposition internationale d’art, La Biennale di Venezia a lieu jusqu’au 24 novembre 2024.

Consultez le site officiel de l’évènement (en anglais)

Qui est Kapwani Kiwanga

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

Kapwani Kiwanga

  • Artiste canadienne et française qui vit et travaille à Paris.
  • Elle a reçu le Prix d’art de Zurich (2022), le prix Marcel Duchamp (2020), le Frieze Artist Award (2018) et le Prix Sobey pour les arts (2018).
  • Ses expositions personnelles ont été présentées dans plusieurs endroits en Europe et au Canada.
  • Elle est représentée par la Galerie Poggi à Paris, la Goodman Gallery à Johannesburg, au Cap et à Londres et par la Galerie Tanja Wagner à Berlin.
  • Kapwani Kiwanga : Trinket [Pacotille] est organisée par le Musée des beaux-arts du Canada et présentée en partenariat avec le Conseil des arts du Canada et la Fondation du Musée des beaux-arts du Canada.