Dans cette série estivale, nos journalistes vont à la rencontre de personnes ou d’institutions qui font rayonner la culture hors des grands centres.

Lorsqu’elle a décidé de quitter la ville, Priscilla Guy a fait une recherche sur Centris pour voir ce qu’il y avait de disponible pour son petit budget. Ça l’a menée à Marsoui, en Haute-Gaspésie, où elle a trouvé beaucoup plus qu’une maison : elle y a trouvé un village qui ne demandait qu’à danser.

« Je voulais créer un lieu de résidence artistique en dehors de Montréal », explique la chorégraphe, rencontrée ce printemps dans sa terre d’adoption.

Priscilla Guy fait de la danse contemporaine et a fait quelques performances in situ à Marsoui, lorsqu’elle s’y est établie, en 2017.

« C’était surprenant », admet Renée Gasse, la mairesse du village de presque 300 habitants qui se trouve en bord de mer, à 25 minutes de route de Sainte-Anne-des-Monts.

« Au début, c’était comme une bibitte qui arrivait à Marsoui », précise celle qui est mairesse depuis 2021, mais qui a été présidente du comité de développement de la ville durant 15 ans.

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« Quand on a su qu’il y aurait un festival de danse contemporaine ici, on se demandait ce qui allait se passer », confie la mairesse, Renée Gasse.

Soyons francs : il n’y a pas grand-chose à faire à Marsoui. Quand l’hiver arrive, le vent frappe fort. Il a pratiquement emporté le quai municipal plus d’une fois. Le paysage côtier se transforme, marqué par des intempéries parfois violentes. La mer ne gèle plus. Il faut avoir la couenne dure pour bien vivre les mois où le soleil se couche tôt.

Mais il y a là une fibre artistique qui ne demande qu’à vibrer.

La mairesse Gasse est aussi autrice. Elle a signé le texte de la pièce féministe Chez Gina, salon de coiffure pour dame. C’est la directrice générale de la municipalité, Anne Sohier, qui en a fait la mise en scène.

La pièce, jouée par les femmes de Marsoui, a été présentée deux fois au village devant des salles combles. Environ 130 personnes l’ont vue. C’est la moitié de la population de la municipalité.

La mairesse travaille sur une suite.

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La danseuse et chorégraphe Priscilla Guy

C’est culturel, la Haute-Gaspésie. Il y a beaucoup de place pour amener de nouvelles idées.

Priscilla Guy

En plus des lettres, il y a à Marsoui quelques très bonnes danseuses, menées par sœur Annette. Elles sont spécialistes de la danse en ligne.

Priscilla Guy s’est initiée au style – apparemment pas simple du tout. Un dialogue s’est amorcé autour de l’art. « Ça s’inscrit dans l’art, dans la culture, dans le mouvement, dans la passation des traditions, raconte la chorégraphe. Ce sont toutes des femmes qui leadent ces projets-là, intergénérationnels. »

Il y a maintenant un Cabaret féministe au village qui comprend des performances, des lectures et des discussions. Il est précédé d’une retraite d’écriture féministe, qui dure quelques jours, au printemps.

Un festival d’envergure

Marsoui accueillera aussi cette année, pour la cinquième fois, un important festival de danse contemporaine baptisé Furies, à la fin juillet. Une dizaine d’artistes de la Compagnie Marie Chouinard présenteront une performance sur la plage. La programmation compte une trentaine de spectacles et d’ateliers durant trois jours : réalité virtuelle, polka, hip-hop, concerts, bains de voix. Beaucoup de danse.

Au total, ce sont 75 professionnels du spectacle qui débarquent en Haute-Gaspésie pour l’évènement.

La danse en ligne y a aussi sa place. « Plein d’artistes de Montréal n’avaient jamais fait ça parce qu’ils ne viennent pas d’une famille où le folklore était alimenté, dit Priscilla Guy. Ils découvrent une partie du folklore québécois en venant à Marsoui. »

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« On vit de très beaux moments, dit la mairesse Renée Gasse, à propos de Furies. Ça nous ouvre à la culture. Ça enrichit le village. »

Les visiteurs sont logés partout où c’est possible, considérant que la municipalité haute-gaspésienne ne comporte ni hôtel ni auberge.

C’est d’ailleurs un enjeu qui freine le développement touristique du village, dont le restaurant La Couquerie est vide et ne trouve pas preneur, malgré le potentiel indéniable du bâtiment patrimonial.

Le tourisme a été négligé dans le développement du village, concède la mairesse, qui cite des voisins mieux nantis pour attirer des voyageurs. Mais le cœur de Marsoui bat fort à L’Hybride, un sympathique café-librairie qui appartient à la municipalité, mais qui a été 100% aménagé par Mandoline Hybride, la compagnie de Priscilla Guy. Il est devenu le repaire des artistes, mais aussi de tous les villageois qui s’y sentent inclus.

« Le monsieur qui allait chercher son café à Sainte-Anne vient maintenant une fois sur deux à L’Hybride », souligne Priscilla.

La vie de village favorise les amitiés transgénérationnelles. De même, un festival comme Furies est accueilli avec beaucoup d’honnêteté par la population, comme toutes les autres manifestations artistiques qui ont lieu à Marsoui.

Les œuvres expérimentales et audacieuses y sont bien reçues, mais pas toujours aimées, ce qui est très bien comme ça.

Selon Priscilla Guy, les gens du village qui vont à Furies se sentent inclus, qu’ils aiment ou non. « Il y a une fierté d’avoir le droit de dire que tu n’aimes pas ça ici, dit-elle. Quand tu te sens intelligent et interpellé, tu peux faire partie de la conversation. »

Un dollar pour l’église

Il y a donc de la vitalité dans cette petite ville qui se trouve au cœur de la MRC la plus dévitalisée du Québec – la Haute-Gaspésie est 104e sur la liste des 104 MRC de la province, classées par indice de vitalité.

Ça ne stoppe vraisemblablement pas la faction féministe et artistique de Marsoui : Mandoline Hybride, la compagnie de Priscilla Guy, vient de faire l’acquisition de l’église, fermée il y a quatre ans. Le projet, soutenu par la municipalité, est de créer un espace artistique et communautaire, possiblement avec des logements abordables et des résidences d’artistes. L’achat, payé un symbolique dollar, est conditionnel à une étude de faisabilité qui sera réalisée dans la prochaine année.

L’année dernière, la municipalité a dévoilé son plan d’action quinquennal appelé Musée des paysages marsois dont le but est de faire du village un musée à ciel ouvert.

Le centre récréatif – l’ancien cinéma de Marsoui – a d’ailleurs été rénové pour en faire un lieu de diffusion permanent.

« L’art peut être un levier économique et un levier de développement dans un village », dit Priscilla Guy, qui rappelle que les gestionnaires du milieu culturel ont des compétences en administration et en promotion.

De l’espace pour de nouvelles idées

Les artistes en tout genre représentent autour de 10 % de la population de Marsoui. Ça pourrait augmenter, car des danseurs et des chorégraphes vont y faire des résidences au bord du fleuve. La mairesse espère que certains, comme Priscilla, décideront de s’y établir.

Car il manque de relève à Marsoui, disent en chœur Priscilla Guy et Renée Gasse. Pour l’administration, pour acheter la Couquerie et en faire un projet porteur, pour prendre le relais des bénévoles qui assurent le service des déjeuners à l’école. Il manque de profs.

Il y a eu un arrivage en Haute-Gaspésie avec la pandémie. Des jeunes travailleurs autonomes, des artistes. C’est dur s’établir ici parce que c’est dur de trouver du logement. Il n’y a pas beaucoup de maisons à vendre.

Priscilla Guy

La chorégraphe, elle, a choisi de s’installer dans la vallée – ce qu’elle appelle la banlieue de Marsoui –, dans la dernière maison de la route asphaltée.

Sa maison, qui s’appelle Salon 58, est un lieu de vie et de création, parfois de diffusion.

« Il y a ici beaucoup d’espace pour amener de nouvelles idées, dit-elle. Et tu sens que tu es utile, que tu fais une différence. Quand tu proposes de nouvelles choses, ça résonne tout de suite. Les gens sont curieux. »

Le festival Furies se tient du 25 au 28 juillet

Consultez le site du festival

Pendant que vous êtes là…

Si vous passez par Marsoui ou si vous vous rendez à Furies cet été, vous pouvez enrichir votre escapade culturelle en faisant une visite au mythique Sea Shack de Sainte-Anne-des-Monts qui présente une trentaine de spectacles jusqu’à la fin août.

Consultez le site de l’auberge festive

La Pointe Sec à Mont-Louis est un autre lieu de diffusion très apprécié des résidants. On y présente des artistes émergents et établis, essentiellement de la musique, mais aussi de l’impro. Conserves de produits de la mer et vins naturels à la buvette adjacente.

Consultez le site du lieu de La Pointe Sec

Qui ?

Priscilla Guy, chorégraphe, danseuse et entrepreneure culturelle

Où ?

À Marsoui, village de presque 300 habitants, situé en Haute-Gaspésie, sur la côte

Quoi ?

Priscilla Guy, appuyée par la mairesse Renée Gasse et son équipe, est derrière plusieurs projets culturels depuis qu’elle s’est installée en Gaspésie, dont le festival de danse contemporaine Furies qui se tient à la fin du mois de juillet.

Elle a remporté le Prix du Conseil des arts et des lettres du Québec – Artiste de l’année, pour la Gaspésie.

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