Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier.

Au 4e étage d’un ancien entrepôt de vêtements dont la vue donne sur le mont Royal comme sur le Marché Central, Daria Fontaine-Pasquali nous présente ses sculptures en bronze et en aluminium qui évoquent « l’idée du cycle, de la transformation, de la résistance ».

L’artiste parle bien entendu de son art, mais aussi, sans le savoir, de la mutation du pôle artistique qui accueille son exposition tenue avec deux autres finissants de l’Université Concordia.

Loyers en hausse, menaces d’éviction : les nouvelles sont souvent mauvaises quand on parle des ateliers d’artistes. Mais l’histoire du déménagement, ou plutôt de l’ancrage des Ateliers Belleville dans le « District Central » – mieux connu sous le nom de quartier Chabanel – a un dénouement heureux.

En 2019, quand nous avons rencontré le cofondateur Jonathan Villeneuve, le portrait était beaucoup plus sombre : beaucoup de temps et d’argent avaient été investis pour emménager dans une ancienne usine de munitions à l’angle des rues Beaubien et Waverly, mais un employé de la société immobilière Canderel était venu cogner à la porte pour annoncer la construction d’un campus d’intelligence artificielle.

C’est plutôt devenu un immeuble multifonctionnel avec des bureaux et des commerces, où les Ateliers Belleville sont par ailleurs toujours locataires jusqu’en mai 2025 (avant que le loyer soit appelé à augmenter radicalement). « Certains de nos artistes vont rester jusqu’à la fin. Nous les appelons nos derniers Gaulois », dit Alexis Bellavance, autre cofondateur des Ateliers Belleville.

Lisez notre reportage de 2019 « Un OBNL pour protéger des ateliers d’artistes »

« Ça permet une transition », souligne Jonathan Villeneuve.

Une transition vers quoi ? Vers le bâtiment de 50 000 pieds carrés du 545, rue Legendre Ouest, dont les Ateliers Belleville sont propriétaires.

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Les codirecteurs des Ateliers Belleville, Alexis Bellavance et Jonathan Villeneuve, aux côtés de l’artiste, commissaire et coordonnatrice Jézabel Plamondon

Pour leur plan d’affaires et la prospection immobilière, Jonathan Villeneuve et Alexis Bellavance ont notamment bénéficié du soutien du groupe de ressources techniques Bâtir son quartier. C’était vertigineux de passer chez le notaire et d’apposer sa signature à côté de la somme de 6,2 millions de dollars. « C’était un saut dans le vide, mais un beau risque », indique Alexis Bellavance.

C’est aussi un risque calculé, puisque la Commission municipale du Québec a accordé aux Ateliers Belleville une exemption de taxes foncières. Il faut savoir qu’ils sont reconnus comme un organisme de production et de diffusion culturelle et que leur modèle repose sur le partage des lieux.

Nous ne sommes pas un gestionnaire locatif. Les artistes sont membres et non locataires. Personne n’a de bail.

Alexis Bellavance, cofondateur des Ateliers Belleville

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Grâce à l’aide financière de plusieurs instances, dont le Fonds immobilier de solidarité FTQ, les Ateliers Belleville ont acquis 55 000 pieds carrés d’espaces adaptés, modulables et abordables pour le développement de pratiques artistiques indépendantes.

Il y a 80 membres actuellement, soit le maximum atteignable avant les travaux de rénovation qui doivent débuter en novembre et qui permettront d’en accueillir à terme quelque 120 de plus (sans compter 200 membres externes qui viendront bénéficier des installations sans avoir un espace d’atelier et 36 autres en résidence).

« Des ateliers d’artistes, il en manque à la tonne », laisse tomber le cofondateur Jonathan Villeneuve.

Des artistes de renom ont migré rue Legendre, dont Maria Ezcurra (qui fait partie de l’exposition femmes volcans forêts torrents du MAC) et Lynn Kodeih (lauréate de la Bourse Claudine et Stephen Bronfman).

  • Un nouveau cours d’art public de l’UQAM sera donné dans cet espace des Ateliers Belleville cet été. Les étudiants seront notamment appelés à concevoir un projet d’art public éphémère destiné au Réseau express métropolitain (REM).

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    Un nouveau cours d’art public de l’UQAM sera donné dans cet espace des Ateliers Belleville cet été. Les étudiants seront notamment appelés à concevoir un projet d’art public éphémère destiné au Réseau express métropolitain (REM).

  • Le quai de livraison sert d’entrée et de terrasse quand il y a des évènements ou des spectacles.

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    Le quai de livraison sert d’entrée et de terrasse quand il y a des évènements ou des spectacles.

  • En 2019, Jonathan Villeneuve a notamment réalisé Le spectre des lumières, l’œuvre d’art située dans le tunnel menant à l’hôtel du Parlement.

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    En 2019, Jonathan Villeneuve a notamment réalisé Le spectre des lumières, l’œuvre d’art située dans le tunnel menant à l’hôtel du Parlement.

  • Alexis Bellavance est aussi cofondateur du festival VIVA! Art Action.

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    Alexis Bellavance est aussi cofondateur du festival VIVA! Art Action.

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La sculptrice et joaillière Anne Dahl y est installée depuis un an, entourée de plantes. « Je suis déménagée d’Ottawa, indique-t-elle. J’aime les outils et les installations partagées, mais surtout la communauté. Avant, j’avais un studio à la maison, mais c’est tellement plus vivifiant et soutenant quand d’autres gens sont autour. »

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La sculptrice et joaillière Anne Dahl

« Je n’avais jamais eu d’atelier avant. J’avais envie d’une communauté et de rencontrer des gens », renchérit l’artiste du verre Geneviève Grenier, qui est membre des Ateliers Belleville depuis juillet dernier. Lors de notre visite, elle expérimentait la fonte d’éclats de pare-brise dans un pot spécial allant aux micro-ondes.

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C’est précieux d’avoir un « lieu à soi » en dehors de son appartement, souligne l’artiste Geneviève Grenier.

Une visite s’impose

Le soir de notre visite avait lieu le septième spectacle de la série ÉCHOS : musique pour grand espace. Un autre s’organise en collaboration avec le festival Elektra.

On développe une communauté et on répond à un besoin de salle.

Alexis Bellavance, cofondateur des Ateliers Belleville

À l’un des quatre étages, nous avons aussi pu voir l’installation de l’artiste Navid Navab créée à partir d’un ancien orgue Casavant modifié robotiquement.

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Avec son œuvre Organism, Navid Navab souhaite raviver la « matérialité turbulente » de l’orgue à tuyaux.

Au dernier étage se terminait l’exposition Golden Rod (nom anglais de la verge d’or), montée par trois finissants de l’Université Concordia. Les œuvres de Daria Fontaine-Pasqualli, Lucy Gill et Jacob Lepp explorent les thèmes des cycles, de l’identité et de la préservation à travers les multiples vies que peuvent avoir les objets et la matière. Daria a conçu des sculptures inspirées des cimetières et du passage du temps, alors que Lucy a créé des feuilles de cuir avec du concombre, des bananes ou du cantaloup.

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Lucy Gill devant ses feuilles de cuir végétal

Alors que la crise des ateliers est toujours en cours (même ceux inaugurés par Marc Séguin rue Crémazie ont été l’objet d’importantes hausses de loyers), Alexis Bellavance et Jonathan Villeneuve se réjouissent d’avoir pu préserver l’esprit do it yourself des Ateliers Belleville, même si l’aménagement de leur bâtiment de la rue Legendre est loin d’être terminé.

« Nous avons gravi une montagne, mais il reste une chaîne », dit Jonathan Villeneuve.

Les Ateliers Belleville incarnent néanmoins déjà « une vision utopiste qui prend forme », se réjouit-il.