Des centaines d’artistes se sont rassemblés jeudi après-midi devant les bureaux montréalais du ministre de la Culture pour redire l’ampleur de leur mécontentement face au sous-financement de leur milieu.

Des cris de ralliement, des pancartes aux messages percutants, des larmes également… L’émotion habitait les voix et les visages des artistes rassemblés rue De Bleury, entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard De Maisonneuve, où loge le principal interlocuteur des artistes. Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, n’est pas descendu dans la rue pour échanger avec les manifestants comme il l’avait fait il y a quelques semaines, alors que la Grande Mobilisation des artistes du Québec (GMAQ) avait lancé un premier appel à la protestation.

Pour la deuxième fois en un mois, jeudi, les artistes se sont rassemblés par centaines, réitérant les mêmes revendications qu’à la mi-avril, celles-là mêmes qui les animent depuis plus longtemps encore. Malgré l’annonce de Québec mardi d’une bonification de 15 millions de dollars au budget du Conseil des arts et des lettres (CALQ), destiné plus précisément à l’aide aux organismes, la GMAQ ne considère pas que ses demandes sont entendues. Le regroupement estime plutôt qu’il faut une bonification d’au moins 100 millions pour atteindre un seuil minimal vivable pour les artistes.

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Les artistes se sont réunis au centre-ville de Montréal pour manifester contre le sous-financement de leur milieu.

Toutes les formes d’art, de la musique à la danse, en passant par le théâtre, les arts visuels, le cinéma et la littérature, étaient représentées. Un moment plutôt rare, comme l’ont relevé certains intervenants sur scène, qui marque l’importance du mouvement actuel.

Un groupe de jeunes se tenaient face à la scène encore vide en début de rassemblement. Interrogés par La Presse, ces jeunes élèves (dont un finissant) de l’École nationale de théâtre ont exprimé une réelle crainte de ne pas pouvoir exercer leur métier.

« C’est un peu épeurant d’être à l’école, témoigne Aimée Lambert-Béland. On veut faire ce métier, qui est aussi valide que n’importe quel métier. C’est décourageant et aberrant d’avoir un gouvernement qui accorde aussi peu d’importance à la culture. On va sortir de l’école sans vraiment savoir si on va être capables de gagner notre vie dans ce métier pour lequel on étudie. On voudrait juste être capables de faire ce qu’on aime dans de meilleures conditions. »

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L’auteur Louis Clermont

Je pense qu’en étudiant là-dedans, on ne s’attendait pas à être payés comme des médecins. Mais on a besoin d’un minimum. La culture est aussi importante que des domaines comme la santé ou l’éducation.

Louis Clermont, jeune auteur

Pour Aimé Tuyishimé, fraîchement émoulu de l’École de théâtre, « le milieu est un peu désespéré et n’a pas grand-chose à nous offrir ». « Le peu de structure qui soutenait les jeunes s’écroule », dit-il, citant l’exemple de la troupe du Quat’Sous qui ne peut soutenir cette année les finissants comme elle le fait habituellement pour de premières productions. « Beaucoup de personnes ici sont là pour défendre la culture avant tout, mais on sent aussi beaucoup de soutien pour la relève. »

« Changer de métier »

Ils étaient de tous les domaines, mais aussi de tous les âges, jeudi. Un groupe de jeunes élèves, en tutu, accompagnaient la danseuse, chorégraphe et directrice artistique de l’École supérieure de ballet Anik Bissonnette. « Ce sont de futurs danseurs, témoigne-t-elle. Ils veulent faire continuer leurs rêves. Ça prend 10 ans de formation. Mais si la danse n’existe plus, il n’y aura plus rien pour eux, même pour ceux qui deviendront de futurs membres du public. Ils ont besoin de continuer. Il faut encourager ces jeunes. On demande pour le milieu de la danse que nos jeunes puissent rêver. »

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La directrice artistique de l’École supérieure de ballet, Anik Bissonnette

Un peuple est reconnu par ses artistes à travers le monde. C’est absolument nécessaire de les soutenir.

Anik Bissonnette, directrice artistique de l’École supérieure de ballet

Le budget du CALQ, sur lequel comptent les créateurs de tous les milieux pour permettre aux œuvres d’être créées, diffusées, promues et pérennisées, est au cœur des revendications des manifestants. Jeudi, il a été possible de comprendre les répercussions réelles de ce que les artistes considèrent comme un sous-financement des arts.

Sans soutien financier adéquat, « on envisage de changer de métier ou on n’a pas la vie qu’on souhaite mener », estime Marie-Claude Plante, administratrice du Regroupement des artistes en arts visuels. « Ce qui est malheureux, c’est qu’on va effriter le tissu socioculturel. Il y a des conséquences immédiates, mais aussi à long terme. »

« Les conditions de pratique et de vie des artistes doivent être améliorées, ajoute-t-elle. On attendait plus de soutien et de réforme. Il faut être plus audacieux, oser changer les processus, inclure de vrais projets itératifs qui vont pouvoir changer la donne. Entre ce qui se passe dans les hautes structures et le terrain, il y a une grande différence. »

Cris du cœur

La musique festive qui animait la rue a été remplacée après une demi-heure par une série de discours, sur une scène installée directement en face de l’édifice du ministère de la Culture.

Le comédien et metteur en scène Mani Soleymanlou, les comédiennes Violette Chauveau, Macha Limonchik et Anne-Marie Cadieux ont récité ensemble, juste avant la marche, un texte écrit pour l’occasion par l’autrice Rébecca Déraspe, demandant une reconnaissance réelle de la valeur des artistes. Dans la foule, des larmes ont coulé à l’écoute des mots poignants de celle qui ne pouvait être là pour l’occasion.

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La comédienne Anne-Marie Cadieux dans la foule

« On peut trouver que 15 millions, c’est une belle somme, mais c’est un peu ridicule aussi », a rappelé l’une des membres de la GMAQ au micro, rappelant que la Culture représente 1 % du budget de Québec, sous les huées de la foule. « On demande 85 millions de plus. »

« La culture ne peut pas rayonner si on ne peut pas payer le loyer », lisait-on sur une pancarte. « L’art comptant-pour-rien », disait une autre. « Attention à nos artistes, c’est peut-être la/le vôtre… », reprenait une grande pancarte inspirée de la signalisation routière.

Sara A. Tremblay, artiste visuelle, a quant à elle profité de l’occasion pour lancer un cri du cœur aux médias, qui selon elle « invisibilisent » son corps de métier en ne lui faisant pas assez de place, dans les journaux, à la radio ou à la télévision. « Il est urgent de réaliser que la culture n’est pas un acquis permanent et que, non, il ne restera pas toujours la culture », a-t-elle dit au micro.

Valérie Lefebvre-Faucher, écrivaine et directrice de la revue Liberté, a lancé un appel à ne plus tolérer le « mépris » du gouvernement. « On est ici ensemble pour mettre des mots sur l’injustice, pour prendre soin de nous tous et pour exiger notre part de joie. »

Émilie Fortin, trompettiste et directrice artistique, a commencé son discours en signifiant qu’« être en permanence sur le bord du burn-out, c’est un lifestyle ». Elle a également rappelé que des organismes qui ne sont pas des OBNL ne tireront aucun bénéfice de la bonification de 15 millions que le ministre Mathieu Lacombe vient d’annoncer. Quand on lui demande si elle travaille encore en musique, dit-elle, elle sent que la réponse est de plus en plus négative, alors que le gouvernement fragilise le filet de sécurité d’artistes comme elle.

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Les artistes se sont réunis au centre-ville de Montréal pour manifester contre le sous-financement de leur milieu.

Rosalie Beauchamp, directrice générale du Monastère, représentait sur scène les arts du cirque. Dans une allocution forte en émotions, elle a rappelé que des spectacles sont annulés faute de financement et que des artistes quittent le secteur, non par manque de passion, mais par épuisement professionnel.

La chorégraphe Mélanie Demers s’est désolée de voir le milieu de la danse « malade ». « On est épuisés d’avoir à se battre pour danser, a-t-elle lancé au micro. Il faut se rappeler que la danse a un pouvoir dans la société. Il est plus facile de contrôler une population qui n’a pas envie de danser. »

Visiblement émus, épuisés, mais solidaires, les artistes ont ensuite marché dans le centre-ville de Montréal pour encore mieux faire entendre leur désir de survie.