Quand le code informatique de la mission Apollo 11 a été rendu accessible au grand public en 2016, on a fait une découverte émouvante : dans ces trois mégaoctets de données se cachaient de petites blagues, comme le commentaire « BURN_BABY_BURN » (« Brûle, bébé, brûle ») pour lancer la procédure d’allumage.

Ce code, en fait, regorge d’allusions culturelles de l’époque, au point où certains l’ont décrit comme une « capsule temporelle ». Cette anecdote a ravi Benoit Baudry, professeur au département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal, qui y voit la marque de la légendaire Margaret Hamilton, qui a conçu ou révisé le code des missions Apollo.

« On a halluciné le jour où on a trouvé cet exemple, raconte-t-il. Apollo 11, ce sont les Américains qui vont sur la Lune, c’est quand même marquant dans l’histoire de l’humanité. Malgré le fait qu’elle avait un tout petit ordinateur et de très fortes contraintes, elle et son équipe ont jugé vraiment urgent de mettre des blagues dans le code. »

Culture geek internationale

Cette découverte est venue couronner une recherche du professeur Benoit Baudry, qui a prépublié à l’hiver, avec trois chercheurs, un article ensuite révisé par les pairs s’intéressant à l’humour caché dans le code informatique. Sous le titre Avec du grand humour vient le grand engagement des développeurs, on y démontre comment ces blagues cachées révèlent toute une sous-culture commune aux développeurs.

« Ça fait 25 ans que je fais de la recherche en informatique dans un domaine qui s’appelle le génie logiciel, comment on fabrique du logiciel, quelles sont les méthodes, explique M. Baudry. Au fil des années, je me suis rendu compte qu’il y a quand même un très fort aspect culturel dans la culture des développeurs, la culture geek. Ils ont tous cet amour du code, ils traînent sur les mêmes forums internet, ils vont sur les Reddit, ils utilisent sans cesse des mèmes. »

Comme ces références culturelles peuvent difficilement se retrouver formellement dans du code informatique, il a noté qu’on utilisait les commentaires cachés dans le code ou des bases de données aléatoires pour ces clins d’œil.

« Dans n’importe quel programme aujourd’hui, il y a des commentaires en français, en anglais, en chinois. Les développeurs expliquent à leurs collègues ce qu’ils ont voulu faire, mais ce n’est pas utilisé par la machine. Tu peux mettre des explications, tu peux aussi mettre des blagues, des poèmes, des paroles de chansons, des mots d’amour. »

Une des sources précieuses de blagues est la base de données Faker, utilisée pour générer des contenus aléatoires, par exemple une liste de noms de clients, l’équivalent du lorem ipsum en graphisme. Au lieu des termes banaux, on y trouve des milliers de références humoristiques à des œuvres comme The Big Lebowski ou la série Seinfeld.

Codes sociaux

Au-delà des anecdotes et des exemples rigolos, le professeur Benoit Baudry a voulu déterminer pourquoi les développeurs tenaient à inclure ces notes personnelles.

« Ils utilisent l’humour pour communiquer, résume-t-il. Les gens ne sont pas dans des bureaux, ne se voient pas à la pause café. En fait, toutes les blagues qu’on fait normalement à la pause café, ils les font à travers le code. Ça, c’est une manière de gérer la distance. »

Il s’agit également, a-t-il conclu, d’une façon de mettre un peu d’âme dans la programmation, de signer son code, en quelque sorte. « Ce que ça montre, c’est que la personne qui a écrit ça fait attention à ce qu’elle fait. C’est encore mieux parce qu’on passe des valeurs, de bonnes valeurs à propos de ce qu’on fait, à propos du fait qu’on a envie d’y passer du temps. »

Enfin, a-t-il remarqué, il s’agit tout simplement d’une méthode pour évacuer le stress. « Pourquoi est-ce qu’on fait des blagues à la pause café ? C’est parce que des fois, on est un peu fatigué, on en a un peu marre, on fait des blagues. Ils font un métier difficile, ces gens-là. Ils utilisent l’humour comme un levier pour relâcher un peu la pression, ne pas trop se prendre au sérieux et, du coup, travailler dans de bonnes conditions. »

L’intérêt de cette culture geek internationale, c’est que tous, peu importe le pays d’où ils proviennent, peuvent l’accaparer. Il cite une pratique bien connue chez les jeunes, le rickroll, qui consiste à cacher un lien vers une vidéo YouTube de Rick Astley. « L’humour a une dimension universelle. Comme on travaille avec des équipes très internationales, en fait, aujourd’hui, un Chinois, un Indien et un Équatorien de 30 ans, ils rickrollent. Si tu sais rickroller, tu sais parler à des gens du monde entier. »

Lisez l’étude With Great Humor Comes Great Developer Engagement (en anglais)