Laurence* voudrait y voir plus clair. S’il s’agissait d’un tunnel, une direction serait donnée et un jour apparaîtrait à son extrémité. Laurence se trouve plutôt à une croisée des chemins nappée d’un brouillard dense.

« Mes revenus ont été sérieusement réduits dans les dernières années pour être disponibles pour ma mère, qui est décédée en novembre dernier », relate la femme de 54 ans.

Laurence a hébergé sa mère pendant trois ans dans sa maison en périphérie de Montréal.

Son domicile est depuis devenu trop grand. Elle y vit seule avec sa fille adolescente, qui achève sa quatrième secondaire, « 100 % à ma charge ».

De grands dilemmes

« Je suis devant de grands dilemmes », dit-elle.

Je suis fatiguée de gérer cette grande maison et ses tâches inhérentes. Je souhaite la mettre en vente à l’été 2025… ou pas. Je suis confuse.

Laurence

En appliquant un facteur de 1,5 à l’évaluation municipale, elle estime sa valeur à environ 525 000 $.

Sa part de l’héritage de sa mère lui permettra d’acquitter le solde hypothécaire et de rembourser les quelques dettes accumulées depuis trois ans et demi.

« J’estime qu’il restera 40 000 $ de la succession, que je pourrai utiliser ou placer. »

Devrait-elle vendre la maison, placer 400 000 $ d’ici la retraite « en espérant un rendement de 8 % par année » ?

Dès lors, faut-il racheter plus petit ou louer ?

« Je sais bien qu’à cause des loyers, ça risque d’être dispendieux ! », s’exclame-t-elle.

Serait-il préférable de mettre la maison en location pour environ 3000 $ par mois pendant qu’elle loue elle-même un logement plus petit ?

S’y entremêle un autre objectif : « J’aimerais prendre ma retraite au maximum à 63 ans, si possible avant. »

Pour répondre à cette question, deux données sont indispensables : ses revenus et son budget.

Les deux sont pour l’instant incertains.

Laurence travaille à son compte dans les services d’accompagnement et maintien à domicile, pour un revenu d’environ 30 000 $ par année avant impôt.

Suffit-il à payer ses dépenses, ce qui permettrait d’approximer son coût de vie ? « Non, je devrais gagner 46 000 $ net selon mon budget réel, réplique-t-elle. Je suis à la recherche d’un emploi régulier sur le marché du travail, je ne gagne pas assez comme travailleuse autonome. Cela convenait pendant que j’étais aidante pour ma mère et que j’avais besoin de flexibilité. »

« Je demande un salaire autour de 55 000 $ ou 60 000 $, poursuit-elle, mais je ne sais même pas si c’est dans le marché actuel. »

Elle pose le problème autrement : « Est-ce qu’un salaire de 70 000 $ serait approprié pour mon objectif ? »

Autre paramètre budgétaire : la fin des études secondaires de sa fille, dans un an, fera disparaître les frais de 6000 $ de l’école privée. Pour ses études postsecondaires, l’étudiante pourra compter sur un REEE de près de 40 000 $.

Elle ajoute encore une pièce au casse-tête : « J’aimerais voyager avec ma fille une fois par année d’ici la retraite. Budgéter 4000 $ me semble correct ? »

Puis une autre.

« Je paye actuellement une assurance vie temporaire de 350 000 $ au coût de 432 $ par année. Elle prendra fin bientôt. Devrais-je la renouveler ? Je présume que la prime sera beaucoup plus élevée. »

C’est ici qu’une autre échéance intersecte ce carrefour brumeux : d’ici son 55anniversaire, la femme de 54 ans pourrait encaisser la valeur d’un régime de retraite à prestations déterminées chez un ancien employeur, où elle avait travaillé jusqu’en 2014.

Avant le 20 août 2024, elle doit choisir entre une rente non indexée de 1124 $ par mois versée à compter de 65 ans et un transfert de 140 510 $ dans un véhicule d’épargne-retraite immobilisée.

« Est-ce qu’il serait sage de laisser les sous là pour recevoir la rente plus tard, ou est-ce qu’il serait bénéfique de la retirer pour l’investir moi-même ? »

Bref, elle est dans le brouillard.

« Comment faire, s’il vous plaît ? J’ai plusieurs réflexions à faire et je m’y perds. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

LES CHIFFRES

Laurence, 54 ans

Revenus autonomes actuels : 30 000 $

Revenus espérés dans un nouvel emploi : entre 55 000 $ et 70 000 $

Actuellement en REER : 57 000 $

CELI : 0 $ (mais elle prévoit y verser 40 000 $ provenant d’un héritage)

REEE de sa fille : 40 000 $

Régime de retraite à prestations déterminées

Rente de 1124 $/mois, non indexée, à partir de 65 ans

Rente de retraite du RRQ prévue à 65 ans

1125 $/mois

Propriété

Valeur approximative : 525 000 $

Solde hypothécaire acquitté sous peu avec l’héritage

Taxes municipales : 2948 $

Taxes scolaires : 332 $

LES CONSEILS

Bien que dans le brouillard, Laurence s’en va dans la bonne direction, constate d’emblée Mélanie Beauvais, planificatrice financière au cabinet Bachand Lafleur groupe conseil.

Il faut ajuster l’itinéraire, mais Laurence « semble l’avoir vu et se prend en main pour faire les ajustements nécessaires », dit-elle.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Mélanie Beauvais, planificatrice financière

Réglons d’abord les questions périphériques.

L’assurance vie

En réponse aux interrogations de Laurence, la planificatrice a conservé la prime d’assurance vie au budget.

« Je n’ai pas poussé la réflexion pour savoir combien exactement on avait besoin et si le montant de l’assurance était trop élevé, commente-t-elle. Mais avec une enfant qui est encore 100 % à sa charge, j’aurais de la difficulté à annuler complètement l’assurance et ne pas la renouveler. »

Le rendement

Laurence évoquait un rendement de 8 % pour ses économies. « Un rendement de 8 %, ça veut dire que j’ai un profil très agressif », relève Mélanie Beauvais, sans qu’elle puisse se prononcer sur la véritable tolérance au risque de notre lectrice.

En respectant les normes de projection de l’Institut de planification financière, « je n’arrive pas à 8 % de rendement, à moins d’être 100 % en actions émergentes », constate-t-elle.

Dans ses calculs, elle a plutôt retenu le rendement d’un portefeuille équilibré, soit 3,7 %, net des frais de gestion.

La rente de retraite

Laurence devrait-elle conserver la rente viagère de son ancien régime de retraite ou encaisser la valeur accumulée pour l’investir elle-même ?

Mélanie Beauvais a posé le problème ainsi : quel rendement Laurence devrait-elle obtenir sur la valeur accumulée pour qu’à 85 ans (son espérance de vie), les deux options soient équivalentes ?

« Il faut avoir un rendement de 5 % par année, calcule-t-elle. Ça veut dire que j’ai une grande exposition aux actions. A-t-elle cette tolérance au risque ? »

Pour une cible de 90 ans, le rendement doit avoisiner 5,25 % par année.

Dans le cadre d’une planification de retraite, Mélanie Beauvais suppose que les épargnes de Laurence doivent lui permettre d’atteindre 96 ans. Dans ces conditions, il est plus raisonnable – et plus rassurant – de compter sur la rente garantie à vie.

Ce sont les données qu’elle a utilisées dans ses divers scénarios.

Le point de départ

Le point de départ du trajet est donné par le budget de 46 000 $ avancé par Laurence.

D’ici quelques mois, les frais annuels de l’école privée de sa fille (6000 $) et les versements hypothécaires (environ 4200 $ par an) seront effacés de l’ardoise.

Il en résultera un coût de vie de 36 000 $.

« Si je considère son revenu actuel de 35 000 $, je n’y arrive pas », constate la planificatrice, en un bel euphémisme.

Mais Laurence se cherche un emploi qui lui procurerait un revenu entre 50 000 $ et 70 000 $.

« Avec un revenu de 65 000 $ jusqu’à 63 ans, je suis capable de maintenir son coût de vie de 36 000 $ », calcule Mélanie Beauvais.

Ce budget n’inclut aucun des voyages auxquels Laurence aspire. Toutefois, dans cette hypothèse, elle habite toujours sa maison.

Bifurcation : qu’advient-il si Laurence conserve un revenu modeste de 35 000 $, vend sa maison et achète une propriété plus petite et moins coûteuse ? En supposant que cette chaîne de transactions lui laisse un capital de 100 000 à 125 000 $, Laurence serait en mesure de maintenir des dépenses de 40 000 $ jusqu’à 84 ans. Elle épuise alors ses liquidités et ne peut plus compter que sur ses rentes publiques et de retraite. Mais il lui reste sa propriété.

Parvenue là, « elle va devoir réduire son coût de vie ou vendre la maison », constate la planificatrice.

La location

Mais Laurence envisage aussi la location d’un logement. Mélanie Beauvais suppose alors que la vente de la maison procurerait un bénéfice net d’environ 500 000 $ – l’héritage a alors soldé l’hypothèque. Elle pose l’hypothèse d’un loyer de 1500 $ par mois.

Avec un modeste revenu de 35 000 $, Laurence est alors en mesure de maintenir un coût de vie de 40 000 $ jusqu’à son hypothétique décès à 96 ans.

« Je suis capable de conserver mon coût de vie, et je suis aussi capable de voyager, souligne la planificatrice. Si j’ai un loyer de 1500 $ par mois, ça fonctionne. »

Le résultat est cependant conditionnel à l’ampleur du loyer. La planificatrice ajuste les dépenses à l’inflation, mais si le loyer s’emballe, la trajectoire à long terme s’infléchit dans la mauvaise direction.

C’est un risque que Laurence ne court pas avec l’achat d’une petite propriété, un condo, par exemple. Puisque ce domicile serait acquis sans hypothèque avec le fruit de la vente de la maison actuelle, il serait insensible aux fluctuations des taux d’intérêt. Il s’agit alors de s’assurer que le prix d’achat de la nouvelle propriété lui conserve un minimum de 125 000 $ en liquidités.

Louer sa maison ?

Parmi les avenues qui se présentaient au carrefour, Laurence lorgnait celle d’une mise en location de sa maison actuelle, pour faire l’acquisition ou la location d’un plus petit logis.

Notre conseillère ne s’est pas engagée très loin sur cette voie.

« J’ai fait des scénarios, ça marche sur papier si elle est capable de louer sa maison pour 3000 $ par mois », avance la planificatrice.

« La seule chose, c’est qu’elle mentionne d’entrée de jeu qu’elle est fatiguée de s’occuper d’une grande maison. En plus de gérer la maison, il lui faudrait gérer des locataires, les trouver, etc. Oui, financièrement, c’est une manière d’améliorer sa situation, mais elle conserve encore le volet d’entretien. »

La décision appartient à Laurence, bien sûr.

Mais la réponse dépendra en bonne partie de son emploi. Il serait sage qu’elle confirme un salaire avant de se départir de sa maison. Elle sera alors mieux placée pour départager la location et l’acquisition d’un logis – un choix qui sera alors vraisemblablement dicté par l’agrément des lieux.