Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Lorsque vous m’écrivez, c’est presque toujours pour me poser des questions sur les placements, me parler des changements payants que vous avez faits à vos investissements, ou encore pour me dire que vous harcelez vos adolescents ou jeunes adultes en leur envoyant les textes de cette rubrique.

Parmi cette vague de positivité, il arrive qu’un message ou deux ne sonnent pas comme les autres.

« Hey, le grand, commence typiquement ce type de message. Bravo d’épargner ton argent et de ne pas avoir de vie. Mais, explique-moi : ça donne quoi d’économiser si on ne peut pas en profiter ? La vie est courte ! Ce n’est pas tout le monde qui a envie de se priver. Réveille ! »

Ces messages me font plaisir, parce qu’ils sont la preuve que mon travail ici n’est pas terminé. Ils me signalent qu’au moins un citoyen de notre belle province se promène, vit sa vie, élève ses enfants, travaille, vote et lit le journal, tout ça sans jamais avoir été foudroyé sur place par le concept absolument surréel qu’est la puissance des intérêts composés.

Secrètement, j’envie cette personne. C’est que le moment où on réalise 1) qu’on n’a pas à se priver et 2) que notre argent peut travailler beaucoup plus fort que nous ne l’a pas encore happé. Lorsqu’on le vit, on ne regarde plus jamais nos dollars de la même façon.

Pour l’expliquer, j’aimerais vous présenter un petit exercice imaginé par l’auteur financier à succès et ex-enseignant en finances personnelles Andrew Hallam. Je le reprends ici avec sa permission.

Tout le monde peut le faire. Mais si vous avez un adolescent à la maison, vous pouvez lui demander d’arrêter de ranger sa chambre quelques instants le temps de calculer la réponse.

Ça pourrait s’intituler « la paresse payante des intérêts composés ».

Imaginons deux personnes, Justin et Emma. Ils ont le même âge, font les mêmes études, et ont un salaire identique durant leur carrière.

Justin commence à épargner et à investir à l’âge de 19 ans. Il épargne et investit 10 $ par jour, ce qui revient à 3650 $ par année.

Emma, elle, n’épargne pas et n’investit pas. Elle veut profiter à fond de la vie. Elle se dit qu’elle pourra épargner plus tard, quand elle gagnera plus d’argent.

Finalement, à 40 ans, Emma décide de s’y mettre. Elle commence à épargner et à investir 20 000 $ par année. Justin, lui, continue d’épargner et d’investir ses 10 $ par jour.

À 65 ans, Justin et Emma décident de prendre leur retraite.

Alors, ma première question. Combien chacun a-t-il épargné durant sa vie ?

C’est ici que votre ado pourra faire le calcul lui-même. Justin a mis de côté 3650 $ par année pendant 46 ans. La réponse : il a épargné 167 900 $ de son salaire durant sa vie.

Emma, elle, a épargné 20 000 $ par année pendant 25 ans. Elle a mis de côté 500 000 $ de son salaire.

Deuxième question : qui a pu profiter de la vie au maximum ? Qui a pu voyager plus souvent, manger au resto plus souvent ? Gâter sa famille et ses amis plus souvent ?

La réponse : c’est Justin, bien sûr. Emma a épargné beaucoup plus d’argent que lui. Elle s’est davantage privée durant sa vie.

Maintenant, ma troisième et dernière question : qui finit plus riche, s’ils avaient tous les deux obtenu 9 % de rendement annuel sur leurs placements, soit le rendement à long terme de la Bourse canadienne ?

Est-ce Justin, qui a épargné 3650 $ par année pendant 46 ans ? Ou Emma, avec ses 20 000 $ par année pendant 25 ans ?

Pour faire ce calcul, vous pouvez utiliser une calculatrice d’intérêts composés comme celle du site Moneychimp.

Consultez le site de Moneychimp (en anglais)

Après avoir entré la somme investie chaque année, la durée du placement et son rendement annuel (taux d’intérêt), on a la réponse.

Justin finit avec 2,3 millions de dollars. Et Emma finit avec 1,8 million de dollars.

Non, ce n’est pas une erreur.

Encore une fois, pour ceux assis derrière : qui a le plus profité de la vie ? Justin. Et qui finit le plus riche ? Justin aussi.

Le problème d’Emma n’est pas qu’elle n’a pas assez épargné. Le problème, c’est qu’elle a commencé deux décennies après Justin. Elle a dû réduire son train de vie, et investir beaucoup plus. Tout ça pour finir moins riche.

C’est la force des intérêts composés, qui sont tout simplement du rendement qui vient s’ajouter au rendement de l’année précédente qui lui s’ajoutait au rendement de l’année d’avant, et ainsi de suite.

Notre cerveau n’est pas équipé pour se représenter cette croissance qui s’accélère avec les années. Il perçoit l’épargne un peu comme une part de gâteau qu’on garde pour plus tard. Mais dans la réalité, notre part de gâteau nous donnera peut-être quatre ou cinq gâteaux complets plus tard.

Contrairement à ce que croient votre beau-frère et vos compagnons de golf, bien investir ne veut pas dire essayer d’avoir une performance étincelante dans les marchés cette année. Bien investir veut dire être dans les marchés le plus tôt possible, et pour la plus longue période possible. (J’ai donné les outils pour commencer à investir dans ce texte intitulé « Comment investir en Bourse quand on n’y connaît rien »).

Lisez l’article « Comment investir en Bourse quand on n’y connaît rien »

Si vous avez déjà passé l’âge de 19 ans, ne vous découragez pas. Une personne de 50 ans pourrait avoir encore 45 ans dans les marchés, voire davantage – mon collègue Martin Vallières en parle d’ailleurs aujourd’hui dans son texte intitulé « Sans épargne à 50 ans... que faire pour sauver sa retraite ? ». On ne cesse pas d’être investisseur parce qu’on avance en âge.

« Les gens paresseux commencent à investir le plus tôt possible dans la vie, conclut Andrew Hallam. Ils épargnent moins que les gens normaux, qui attendent avant de commencer à investir. Mais les paresseux finissent plus riches. »

Dans son expérience d’enseignant, M. Hallam a réalisé que la clé était de laisser les adolescents calculer eux-mêmes les réponses à cet exercice. Les fournir toutes prêtes, a-t-il observé, ne provoque pas le même déclic.

« Ensuite, vous leur dites de vous faire signe lorsqu’ils seront prêts à investir. Et il se peut qu’ils soient prêts dès maintenant. »