Ce n’est pas encore à l’échelle industrielle, mais Rio Tinto franchit une autre étape dans la production d’aluminium 100 % vert avec une nouvelle usine de « démonstration ». Québec et Ottawa délient les cordons de la bourse pour permettre à ce projet de 375 millions de voir le jour.

La multinationale déploiera la technologie Elysis dans un bâtiment qui sera érigé sur le site de son usine d’Arvida, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le démarrage est prévu en 2027. À environ 2500 tonnes par année, la production sera modeste. Par exemple, l’aluminerie AP60, annoncée l’an dernier par Rio Tinto, table sur une production annuelle de 160 000 tonnes de métal gris.

« On a une approche assez prudente, affirme le directeur principal des opérations Atlantique de Rio Tinto Aluminium, Sébastien Ross, en entrevue téléphonique. Étant donné que c’est une technologie de rupture, il y a beaucoup de choses qu’il faut développer de zéro. »

En développement au Saguenay depuis 2018, Elysis est considérée comme très prometteuse, mais elle en est encore à ses balbutiements. Rio Tinto, Alcoa et Apple ont financé une partie du projet. Le gouvernement Legault a déjà injecté 80 millions dans l’aventure, contre 60 millions pour le gouvernement fédéral.

L’industrie québécoise de l’aluminium est moins polluante qu’ailleurs dans le monde grâce à l’hydroélectricité, mais son procédé de fabrication fait de ce secteur le principal émetteur industriel de gaz à effet de serre (GES) du Québec. Elysis parvient à produire du métal gris sans aucun GES, mais à très petite échelle dans un environnement contrôlé.

Pour passer à l’étape suivante, Rio Tinto et Investissement Québec (IQ) mettent sur pied une société en commandite afin d’utiliser la licence d’Elysis. Le géant minier australo-britannique met 235 millions sur la table, tandis que le bras financier de l’État québécois injecte 140 millions.

Ottawa offre également plusieurs dizaines de millions de dollars, mais au moment d’écrire ces lignes, il n’avait pas été possible de connaître le montant. Rio Tinto n’a pas voulu dire si l’argent du gouvernement Trudeau atténuera la somme qu’elle débourse pour la construction de l’usine de démonstration d’aluminium vert.

Ces détails ont été dévoilés, vendredi à Saguenay, dans le cadre d’un évènement réunissant M. Ross, le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, ainsi que sa collègue aux Affaires municipales, Andrée Laforest.

Cet investissement de Rio Tinto s’ajoute à celui de 1,4 milliard annoncé l’an dernier à Saguenay pour la construction de 96 cuves de la technologie AP60, ce qui représente la production d’environ 160 000 tonnes métriques d’aluminium primaire. Ce chantier, qui bénéficie d’un prêt-subvention de 150 millions du gouvernement Legault, permettra de réduire les émissions de GES de 50 % par rapport aux vieilles cuves de l’usine d’Arvida.

Premier pas

Les dix cuves qui seront aménagées dans l’usine de démonstration d’Elysis à Arvida seront quatre fois plus petites que le format habituel. M. Ross assure qu’il y a une demande pour l’aluminium 100 % vert – des entreprises comme Apple et le géant brassicole AB InBev figurent parmi les clients –, mais qu’il y a encore des « apprentissages » à réaliser avec cette nouvelle technologie.

« Ce sont les matières premières utilisées dans le procédé qui sont différentes et qui sont assez rares sur la planète, affirme-t-il. J’irais jusqu’à dire cela. C’est un enjeu technologique important. La plus grave erreur que l’on pourrait faire, c’est de sauter les étapes et faire une faute qui serait fatale et qui aurait le potentiel de tuer la technologie. »

Pour l’instant, il est impossible, selon le dirigeant de Rio Tinto, de savoir quand on pourra industrialiser ce processus. Le niveau de risque doit encore être abaissé, dit-il. Penser aux profits, à cette étape-ci, est un peu « utopique ».

N’empêche, M. Fitzgibbon estime que le risque financier pour l’État québécois est modéré dans ce projet. L’entente avec Rio Tinto prévoit que la multinationale finira par racheter la participation de Québec dans la société en commandite, si tout se déroule comme prévu.

« On a négocié [une mécanique] où le rachat va être égal au coût des fonds et on a un rendement potentiel intéressant que l’on peut faire aussi, affirme le ministre québécois de l’Économie. Que l’on réalise un rendement de 4 % ou de 7 % sur l’investissement, c’est secondaire par rapport à l’avantage comparatif que le Québec aura si nous sommes les premiers à produire de l’aluminium vert. »

Est-ce que le gouvernement québécois pourrait éventuellement être appelé à injecter davantage d’argent dans la société en commandite pour éviter la dilution si d’autres investissements sont nécessaires ? Peut-être, concède M. Fitzgibbon, en ajoutant que Rio Tinto devra être en mesure de mener le projet à terme.

« À un moment donné, ce n’est plus au gouvernement de supporter cela », dit-il.

Selon Rio Tinto, les travaux de démolition et de préparation débuteront « dès maintenant » et la construction de la nouvelle usine devrait s’amorcer « au début de 2025 ».

En savoir plus
  • 37 %
    Participation de Québec dans la société en commandite qui exploitera l’usine de démonstration d’Elysis à Arvida
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    220 millions
    Somme allongée par le gouvernement québécois dans le projet d’aluminium 100 % vert depuis 2018
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