Le projet de Recyclage Carbone qui veut transformer des résidus non recyclables en biocarburants à Varennes avance bien, mais il pourrait bifurquer vers d’autres marchés, comme celui de l’hydrogène.

« On sera le plus gros producteur d’hydrogène vert au Canada et peut-être même en Amérique du Nord », a expliqué Stéphane Demers, directeur général de ce projet d’investissement de 1,3 milliard, lors d’une visite du chantier.

« On suit beaucoup le marché de l’hydrogène, qui originalement dans le projet n’était pas nécessairement une priorité, a-t-il précisé. Mais tout le marché de l’hydrogène évolue rapidement. On regarde TES [à Shawinigan] et Air Liquide. Il y a de l’effervescence dans le marché. »

Pour le moment, Recyclage Carbone croit que sa production d’hydrogène, soit 40 tonnes par jour, servira uniquement au processus de transformation des résidus en méthanol. Mais si la bioraffinerie doit être arrêtée et s’il y a de la molécule d’hydrogène disponible, il pourra être valorisé sur le marché, a fait savoir le directeur général de la future usine.

« C’est quelque chose qu’on va regarder aussi. Il y a un marché local qu’on est en train d’évaluer », a-t-il ajouté, en mentionnant les noms d’ArcelorMittal et d’Énergir comme clients potentiels.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Stéphane Demers, directeur général de Recyclage Carbone Varennes

Bien avant que l’électricité devienne une denrée rare au Québec, Recyclage Carbone a obtenu un approvisionnement de 90 mégawatts d’Hydro-Québec pour alimenter son électrolyseur et fabriquer de l’hydrogène pour transformer des déchets en biocarburants. La production d’hydrogène (40 tonnes par jour actuellement) pourrait encore être augmentée si l’entreprise obtenait un jour 20 mégawatts supplémentaires d’Hydro-Québec.

Un projet variable

De 800 à 900 millions de l’investissement total de 1,3 milliard ont déjà été dépensés ou engagés, a-t-on appris lors de la visite. L’approvisionnement de l’usine en déchets doit provenir pour moitié de la biomasse forestière et pour l’autre moitié de ce que les centres de tri ne peuvent recycler. Des négociations sont en cours pour l’acquisition de 200 000 tonnes par année de la matière première pour laquelle l’entreprise pense qu’elle ne paiera rien. Elle espère même être payée pour s’occuper de ces résidus non recyclables.

De même, le marché pour le produit final, 125 millions de litres par année de méthanol vert, n’est pas encore définitif. Recyclage Carbone vise d’abord le marché maritime, où son produit pourrait remplacer le mazout lourd comme carburant des navires.

Mais cela aussi pourrait changer, selon Stéphane Demers.

La molécule de méthanol est très flexible. On peut faire de la gazoline, du carburant d’avion. On suit le marché de près et ça bouge rapidement.

Stéphane Demers, directeur général de Recyclage Carbone Varennes

« On a regardé plein d’options dans ce dossier-là. On n’en est pas arrivé à des conclusions actuellement. »

Le coût du méthanol vert sur le marché est une autre incertitude. Il devrait être au moins le double de celui du méthanol de source fossile, selon Recyclage Carbone.

Depuis son lancement, le projet Recyclage Carbone Varennes a déjà été substantiellement modifié et a reçu beaucoup d’aide publique. Hydro-Québec devait construire l’électrolyseur et produire l’hydrogène nécessaire à la conversion de déchets en gaz synthétique et en biocarburant, avant de se retirer du projet. Enerkem, qui était un actionnaire de l’entreprise, s’est retiré pour devenir le fournisseur de la technologie, qui a été testée pendant 11 ans dans une usine à Edmonton, en Alberta. Cette usine a cessé ses activités plus tôt cette année et l’entreprise a englouti 1 milliard au fil des ans, a indiqué mercredi le président d’Enerkem, Dominique Boies.

Recyclage Carbone Varennes appartient aujourd’hui à quatre actionnaires, soit les pétrolières Shell (36 %) et Suncor (27 %), Investissement Québec (24 %) et Proman (13 %), producteur de méthanol et d’autres produits dérivés du gaz naturel.

Investissement Québec est aussi engagée dans le financement de ce projet de 1,3 milliard, avec un prêt de 150 millions. La Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), une société d’État fédérale, a aussi accordé un prêt de 277 millions.

Il s’agit d’un investissement à risque, a indiqué le directeur principal des investissements de la BIC, Saad Rahali, en raison de la volatilité des prix du méthanol. « Mais pour nous, c’était un no brainer à cause de la présence de partenaires privés comme Shell, Suncor et Proman », a-t-il dit.

La construction du complexe industriel de Varennes a commencé en 2021 et la première production est attendue à la fin de 2025. D’ici la fin de l’été, les 72 modules de la bioraffinerie fabriqués en Asie arriveront par voie maritime à Contrecœur et à Bécancour pour être assemblés sur le site de Varennes.

L’histoire jusqu’ici

Depuis 2000, Enerkem veut transformer commercialement les déchets non recyclables en carburants verts, selon une technologie développée par un professeur de l’Université de Sherbrooke, Esteban Chornet, et son fils Vincent.

Une première usine construite par Enerkem à Edmonton pour tester la technologie a été en activité de 2015 à 2024.

Enerkem est devenu le fournisseur de technologie pour Recyclage Carbone Varennes et a des visées internationales avec d’autres projets ailleurs dans le monde, notamment en Espagne et aux États-Unis.