Équipements non conformes, plusieurs milliers de boulons à changer et un gestionnaire de chantier sur le point d’être remplacé : Nemaska Lithium répare toujours les ratés survenus avant sa débâcle financière, il y a cinq ans. Son volet minier à la Baie-James démarrera un an plus tard que prévu.

La Presse a pu confirmer que l’entreprise – détenue à 50 % par l’État québécois – est toujours en train de corriger d’importantes défaillances dans le broyeur. Pire : l’assemblage du concentrateur, l’autre pièce maîtresse du complexe minier, n’est même pas commencé.

Québec et Nemaska Lithium assurent que ces problèmes étaient connus, mais c’est la première fois qu’ils lèvent le voile sur l’ampleur de l’héritage laissé par l’ex-direction, où Guy Bourrassa a occupé le poste de PDG jusqu’en 2020.

« C’est exactement pour cette raison que nous avons refusé d’investir dans l’ancienne structure financière de Nemaska, affirme Mathieu St-Amand, porte-parole du ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon. Depuis, nous avons repris les actifs avec des partenaires stratégiques qui corrigent ces erreurs. »

Ce projet phare de la filière québécoise des batteries, financé à coups de centaines de millions par Québec, a de moins en moins de marge de manœuvre avec ces délais supplémentaires.

La mise en service de sa mine, prévue en 2025, a été repoussée à l’année suivante. Elle coïncidera donc avec le démarrage de son autre usine qui doit transformer le minerai en hydroxyde de lithium, en construction dans le parc industriel de Bécancour. Les promoteurs assurent qu’ils avancent conformément à l’échéancier dans ce deuxième chantier.

Nemaska Lithium n’a donc plus droit à l’erreur si elle souhaite approvisionner son usine du sud avec du minerai extrait de sa mine située à la Baie-James. Dans un courriel à La Presse, un porte-parole de la compagnie, Louis-Martin Leclerc, maintient que l’objectif reste de démarrer la production simultanément aux deux installations.

Maillon clé

Nemaska Lithium ambitionne de transformer du lithium extrait de la mine de Whabouchi, à environ 300 kilomètres de la Baie-James, pour ensuite produire de l’hydroxyde de lithium – essentiel à la fabrication des batteries lithium-ion pour véhicules électriques – à Bécancour.

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Des forages ont été effectuées en prévision de la mise en route de la mine.

Ce projet coûtera au bas mot deux milliards. Québec prévoit injecter jusqu’à 425 millions dans la deuxième mouture de l’entreprise.

Minée par les retards et les dépassements de coûts, Nemaska Lithium, autrefois cotée en Bourse, s’était placée à l’abri de ses créanciers à la fin de 2019, faisant perdre des dizaines de millions de dollars aux contribuables et à d’autres investisseurs.

Le gouvernement Legault a participé à la relance en devenant propriétaire de la moitié de Nemaska Lithium, transformée en société à capital fermé.

Lourd héritage

Cinq ans plus tard, on continue de réparer les pots cassés. Par exemple, la nouvelle administration doit faire d’importantes modifications au broyeur, qui sert à concasser le minerai avant son traitement.

« Il n’est effectivement pas conforme aux normes en vigueur et nous effectuons actuellement les travaux nécessaires », admet Louis-Martin Leclerc.

Les travailleurs doivent notamment y remplacer des poutres d’acier et d’autres pièces.

Au cœur de ces problèmes structurels : un mauvais choix de boulons, selon deux sources qui ont travaillé sur le chantier et qui ont demandé de conserver l’anonymat pour protéger leur emploi.

« Les boulons en place étaient des boulons mécaniques, et non des boulons structurels », dit l’un des travailleurs avec qui La Presse s’est entretenue. « Ils défont les structures complètement. »

Nemaska Lithium connaît aussi des ratés dans la construction du concentrateur. Cette installation, qui doit produire le minerai à partir de la roche broyée, n’est toujours pas assemblée.

Dans ce contexte, Nemaska Lithium est sur le point de remercier Progesys, la compagnie qui gère la construction de la mine Whabouchi, confirment plusieurs sources qui veulent garder l’anonymat pour protéger leur emploi. Hatch et AtkinsRéalis (ex-SNC-Lavalin), spécialistes de ce genre de projets, sont sur les rangs pour remplacer l’entreprise.

Selon nos informations, Nemaska Lithium doit décider prochainement quelle entreprise prendra les commandes du chantier. Le PDG de Progesys, Riad Faour, dit avoir appris qu’il perdra la gestion du chantier de la bouche de La Presse.

« Notre client ne nous a pas informés de ça », dit-il.

Pas de coupe d’emplois

Nemaska Lithium assure n’avoir aboli aucun emploi dans ses efforts pour terminer le chantier.

« Comme entreprise responsable, nous avons travaillé et travaillons constamment à optimiser le site de la mine Whabouchi afin d’en réduire entre autres les coûts, mais surtout d’assurer son succès », écrit Louis-Martin Leclerc.

Géologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal, Michel Jébrak n’est pas étonné de voir les problèmes se multiplier dans un projet minier touchant à une nouvelle industrie comme le lithium.

« On a toujours une difficulté quand on passe du promoteur minier qui prend tous les risques à la partie industrielle, dit-il. Ce sont des états d’esprit très différents. Le premier, il y croit énormément, il pousse beaucoup à la production. »

Dans le cas de la première mouture de Nemaska Lithium, l’ancien patron Guy Bourassa avait choisi des procédés de traitement innovants, dit le professeur, auteur d’un livre sur les défis de la transformation du lithium. « Donc il doublait les risques. C’est une des raisons pourquoi ça n’a pas marché. »

En savoir plus
  • 50 %
    Québec détient la moitié de Nemaska Lithium ; la société américaine Arcadium Lithium détient l’autre moitié
    Source : Arcadium Lithium
  • 2007
    Fondation de Nemaska Lithium
    Source : Nemaska Lithium