Quelque 300 millions d’investissements privés seront annoncés pour le décollage d’une nouvelle zone d’innovation

Secoué par de grandes turbulences aux États-Unis, Boeing fera atterrir un investissement majeur dans la région de Montréal mardi. Le géant américain sera à l’origine de la majeure partie des 300 millions d’investissements privés qui seront annoncés lors du décollage de la quatrième zone d’innovation par le gouvernement Legault, a appris La Presse.

Très attendue, cette annonce comporte de multiples volets : mise sur pied d’un nouveau centre de développement, recherches sur un nouveau type d’aéronef, ajout de programmes de formation dans le domaine.

L’annonce aura lieu en lever de rideau du Forum innovation aérospatiale international d’Aéro Montréal – qui se présente comme le « plus grand rassemblement de décideurs internationaux du secteur aérospatial au Canada ».

Le gouvernement Legault en profitera pour confirmer la création d’une zone d’innovation en aérospatiale, qui se déploiera dans trois pôles : Longueuil (arrondissement de Saint-Hubert), Montréal (arrondissement de Saint-Laurent) et Mirabel. L’arrivée de Boeing va enrichir la zone où se trouvent déjà des acteurs importants comme Airbus, Bombardier et CAE.

Aide publique

Québec contribuera à hauteur de quelques dizaines de millions de dollars. Dans son budget déposé le 12 mars, le ministre des Finances, Eric Girard, avait d’ailleurs mis de côté une enveloppe de 75 millions en cinq ans (15 millions par année) pour « assurer la croissance du secteur aérospatial ».

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Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard

« D’importants projets devraient démarrer au cours de la prochaine année dans le domaine spatial », pouvait-on lire dans le plan budgétaire.

Il n’y a pas de détails, mais on décode que le gouvernement se préparait à l’atterrissage de Boeing dans la région métropolitaine et à la création de la zone d’innovation.

Engagements

Cette arrivée de l’avionneur américain coïncide avec son obligation de générer des milliards en retombées économiques après avoir remporté, en novembre dernier, un contrat multimilliardaire auprès du gouvernement fédéral. Il s’agit de la livraison de 16 Poseidon P-8A – 14 commandes fermes et 2 options – pour remplacer les avions de surveillance vieillissants de l’Aviation royale canadienne (ARC). Ces avions sont assemblés aux États-Unis.

Ce dossier avait pris une tournure politique puisque l’entente avait été accordée de gré à gré au géant américain alors que Bombardier demandait un appel d’offres pour proposer une version militarisée de son jet privé Global 6500. Le Québec et l’Ontario avaient publiquement appuyé le constructeur québécois.

Les règles du gouvernement fédéral obligeaient Boeing à générer, au Canada, des retombées économiques équivalentes à la portion du contrat entourant la construction des Poseidon. Un suivi des engagements doit en principe être effectué par les fonctionnaires fédéraux.

Boeing avait donné un avant-goût de ses intentions en dévoilant 16 initiatives au moment d’obtenir le contrat auprès d’Ottawa, sans offrir beaucoup de détails. L’annonce la plus concrète concernait un contrat de maintenance pour les hélicoptères militaires Chinook accordé à L3 Harris Canada, ce qui lui avait permis d’ajouter 20 employés à Mirabel, dans les Laurentides.

La multinationale s’était aussi engagée à implanter un centre de recherche et développement, sans toutefois chiffrer l’ampleur de cet investissement, la ville qui l’accueillerait ainsi que le nombre d’employés.

Boeing promettait aussi un « programme de développement des compétences » avec l’Université McGill. Selon nos informations, le créneau de l’établissement québécois qui se spécialise dans le droit aérien et spatial devrait agir à titre de centre de formation pour le département des affaires juridiques de la multinationale américaine.

La contribution de Boeing bénéficiera également au développement de formations à l’École nationale d’aérotechnique, affiliée au cégep Édouard-Montpetit. Un nouveau campus est en chantier, une antenne de l’École de technologie supérieure (ETS).

Dans le cadre des conditions à remplir, l’avionneur américain doit également intégrer des fournisseurs canadiens dans sa chaîne d’approvisionnement, donc sur d’autres programmes que le Poseidon. Établie à Longueuil, Héroux-Devtek, qui génère près de 20 % de ses revenus annuels auprès de la multinationale, devrait en bénéficier. Une nouvelle entente entre cette société et Boeing est dans les cartons.

Avantages d’une zone

Sans être au courant de tous les détails des annonces prévues mardi prochain, Mehran Ebrahimi, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile, est bien au fait que l’industrie québécoise attend d’être désignée comme zone d’innovation.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Mehran Ebrahimi, professeur à l’UQAM et directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile

« Ce concept permet de mieux cibler les investissements, dit l’expert. Actuellement, on saupoudre un peu partout. On pourra mieux structurer autour de thèmes principaux. Par exemple, avec l’École nationale d’aérotechnique et le campus universitaire de l’ETS à Longueuil, on saura que c’est à cet endroit que la notion de formation sera concentrée. »

Jusqu’à présent, Boeing était présente au Québec par l’entremise de filiales. Wisk Aero, qui œuvre à la conception d’un taxi volant électrique, compte un bureau à Laval. Jeppesen, qui se spécialise dans les systèmes de navigation, est aussi présente à Montréal. En avril dernier, La Presse rapportait que Wisk souhaitait doubler son effectif – elle compte environ 45 ingénieurs dans la couronne nord de Montréal – et la superficie de ses bureaux.

La réputation du constructeur américain est mise à mal par les temps qui courent en raison d’un récent incident en vol et de problèmes de qualité et de sécurité au chapitre de la production. Boeing est sous la loupe des autorités américaines depuis qu’une porte d’un avion 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines s’est détachée en plein vol, le 5 janvier dernier. Des lanceurs d’alerte – notamment des anciens employés de l’avionneur – ont mis en lumière des failles dans les pratiques du constructeur d’avions.

Le Québec compte jusqu’ici trois zones d’innovation, un projet lancé par le premier ministre François Legault. Les deux premières ont été annoncées en 2022 : sur la science quantique à Sherbrooke et une autre sur les technologies numériques à Bromont. La troisième, annoncée l’an dernier, est la Vallée de la transition énergétique regroupant Bécancour, Trois-Rivières et Shawinigan.

En plus de celle sur l’aérospatiale, une autre zone d’innovation pourrait être créée bientôt, la « Zone bleue » du secteur maritime à Rimouski et à Grande-Rivière.

En savoir plus
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    Nombre de membres d’Aéro Montréal, la grappe de l’industrie québécoise
    Source : Aéro Montréal
    37 000
    Nombre d’emplois dans l’industrie aérospatiale québécoise
    Source : gouvernement du Québec