À 48 heures de l’ouverture du marché des joueurs autonomes dans la LNH, l’épineuse question de la fiscalité canadienne risque encore d’alimenter les discussions des amateurs. Le fisc canadien, justement, lutte actuellement avec une poignée d’athlètes professionnels. Le point sur ces cas et l’effet qu’ils pourraient avoir sur les projets des équipes professionnelles canadiennes.

Prime à l’embauche : le cas John Tavares

Le capitaine des Maple Leafs de Toronto, John Tavares, a signé en 2018 un contrat de sept ans évalué à 77 millions US. La majorité de la rémunération est structurée sous forme de primes réparties chaque année sur la durée du pacte en accompagnement d’un salaire annuel inférieur à 1 million par année.

Le contrat est essentiellement constitué de 71 millions US en bonis et 6 millions US en salaire de base.

L’Agence du revenu du Canada réclame à John Tavares un total de 8 millions de dollars canadiens (6,2 millions en impôts impayés et 1,2 million en intérêts).

Un document juridique déposé cette année devant la Cour canadienne de l’impôt révèle que le fisc juge que la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis ne s’applique pas à la prime à l’embauche touchée par le joueur en 2018 et que le capitaine des Leafs n’est pas admissible à un taux d’imposition réduit de 15 %. Un taux d’imposition de 53 % est donc plus approprié aux yeux de l’agence fédérale dans ce cas-ci.

Le fisc souligne que John Tavares était résident canadien en 2018. Le joueur dit avoir touché une portion de sa prime à l’embauche en juillet cette année-là alors qu’il était encore résident américain (il jouait pour les Islanders de New York avant de se joindre aux Leafs) et qu’il n’est devenu résident canadien que deux mois plus tard, en septembre 2018.

Dans un document de cour déposé le mois dernier, le fisc précise que si la Cour conclut que John Tavares était non-résident du Canada au moment de toucher sa prime à l’embauche de 2018, la somme reçue n’a pas été versée à titre d’encouragement à signer un accord relatif à la prestation de services en vertu de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis.

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John Tavares, capitaine des Maple Leafs de Toronto, a été repêché par les Islanders de New York au tout premier rang lors du repêchage amateur de 2009.

La position du fisc laisse entendre que la prime à l’embauche de 2018 n’était pas un élément « incitatif » et faisait donc partie du salaire de Tavares, affirme l’avocat fiscaliste indépendant David Rotfleisch.

La nature disproportionnée de la prime à l’embauche de Tavares [environ 71 millions US payables sur six ans] par rapport à son salaire [6 millions US sur six ans] est assurément un facteur considéré par le fisc dans l’évaluation du dossier.

David Rotfleisch, spécialiste en droit fiscal au cabinet Rotfleisch & Samulovitch

Cet expert ajoute que les fiscalistes s’interrogent depuis longtemps sur la manière de différencier correctement une mesure incitative – comme une prime à l’embauche – du salaire « normal » d’un athlète.

« La convention fiscale entre le Canada et les États-Unis incite fortement les athlètes à recevoir une plus grande proportion de leur salaire sous forme de primes afin de réduire le droit du Canada à imposer leur rémunération », dit-il.

L’appel de Tavares représente donc à ses yeux une occasion pour le fisc de tester devant les tribunaux les limites de la structure des contrats des athlètes professionnels au Canada.

Les procédures cheminent lentement dans ce dossier et le clan Tavares préfère demeurer prudent dans ses commentaires. « C’est devenu un cas très intéressant et nous espérons une solution rapide », indique simplement à La Presse Mark Feigenbaum, l’un des avocats du cabinet KPMG représentant Tavares.

D’ex-vedettes des Jays en brouille avec le fisc

Trois anciens joueurs étoiles des Blue Jays de Toronto sont également engagés dans une bataille avec l’Agence du revenu du Canada. Le fisc conteste la façon dont le voltigeur Jose Bautista, le receveur Russell Martin – qui a grandi à Montréal – et le joueur de champ intérieur Josh Donaldson ont présenté leur situation lorsqu’ils jouaient pour les Jays il y a quelques années.

La dispute des ex-joueurs de baseball professionnels avec le fisc est liée à des contributions à une convention de retraite, un véhicule permettant de fournir des prestations de retraite futures et de différer la reconnaissance du revenu gagné à une date plus tardive.

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Jose Bautista et Russell Martin alors qu’ils portaient l’uniforme des Blue Jays de Toronto.

Les conventions de retraite sont des régimes intéressants pour les athlètes professionnels qui ont souvent des carrières courtes et qui doivent prévoir leur retraite en amont de celle-ci, souligne l’avocate fiscaliste Marie-France Dompierre, du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg, dans un texte publié dans le cadre de sa pratique.

Elle représente Russell Martin et Josh Donaldson devant la Cour canadienne de l’impôt et n’a donc pas souhaité commenter davantage leur dossier.

Qu’est-ce qu’une convention de retraite ?

Une convention de retraite est un régime d’épargne non enregistré, en vertu duquel un employeur canadien et, s’il y a lieu (ce qui n’est pas le cas ici avec les ex-joueurs des Blue Jays de Toronto), un employé cotisent une somme raisonnable à une fiducie pour financer un revenu à ce dernier lorsqu’il prend sa retraite. L’avocate fiscaliste Marie-France Dompierre explique que les cotisations versées par un employeur à une convention de retraite sont assujetties à un impôt remboursable de 50 % retenu à la source par l’employeur. « L’impôt sur les contributions sera payable au moment où les distributions provenant du régime de convention de retraite seront effectuées. Cela peut être très intéressant si un athlète est un non-résident à ce moment, car ces distributions seront normalement imposées à un taux réduit. »

Au cœur des dossiers de Russell Martin et de Joshua Donaldson se trouve un désaccord quant à la manière de calculer correctement l’impôt payable au Canada par ces derniers, des non-résidents canadiens, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

« La question est d’établir la répartition d’un montant selon le temps passé aux États-Unis et le temps passé au Canada. Il y a différentes façons de faire le calcul. Les athlètes choisissent ce qui convient le mieux pour eux et le fisc, ce qui lui convient le mieux aussi », dit David Rotfleisch.

La cause de Josh Donaldson et de Russell Martin a été prise en délibéré par le juge.

Dans le cas de Jose Bautista, l’Agence du revenu du Canada lui refuse plus de 16 millions canadiens en déductions de son revenu entre 2014 et 2017.

Le fisc conteste la validité de la convention de retraite au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu et rejette les déductions demandées par l’ex-joueur des Jays.

« J’ai du mal à croire que les conseillers de Jose Bautista puissent s’être trompés sur un élément aussi fondamental », dit David Rotfleisch.

« L’erreur est possible, mais il m’apparaît davantage probable que le fisc s’essaie et prend un risque pour voir ce qui peut arriver. Ça ne me surprendrait pas parce qu’il est courant de voir l’Agence du revenu du Canada agir de façon agressive dans des dossiers. » Le fisc prétend qu’il y aurait donc une infraction technique, résume-t-il.

Appelée à réagir pour ce reportage, l’ARC préfère s’en tenir aux renseignements accessibles au public à la Cour canadienne de l’impôt. « L’Agence du revenu du Canada ne fait pas de commentaires sur les détails précis des affaires judiciaires afin de protéger l’intégrité de son travail et de respecter les dispositions en matière de confidentialité des lois qu’elle applique », indique la porte-parole Kim Thiffault.

Des impacts pour 
les clubs canadiens

Bien qu’il pourrait s’écouler plusieurs années avant d’en arriver à une décision ou un règlement dans tous ces dossiers, si le fisc devait avoir gain de cause, la tâche des équipes sportives professionnelles canadiennes souhaitant attirer des joueurs de haut calibre et des agents libres sans restriction – notamment le Canadien de Montréal – pourrait se complexifier.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Une décision favorable au fisc canadien pourrait bien avoir une incidence sur les équipes canadiennes, dont le Canadien de Montréal, qui souhaite attirer des joueurs vedettes.

Surtout que six équipes de la LNH (Kraken de Seattle, Knights de Vegas, Lightning de Tampa Bay, Panthers de la Floride, Prédateurs de Nashville et Stars de Dallas) sont désormais implantées dans des États qui n’imposent pas le revenu de leurs habitants.

Cette situation soulève de plus en plus de questions en raison des inégalités fiscales qu’elle cause. Coïncidence ou pas, la victoire des Panthers de la Floride cette semaine contre les Oilers d’Edmonton vient de donner à la LNH un quatrième champion de la Coupe Stanley en cinq ans provenant d’un État n’imposant pas le revenu de ses résidants (Vegas a remporté la Coupe l’an passé alors que Tampa l’a fait en 2020 et 2021).