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« Qu’est-ce que la “dédollarisation” et en quoi cela pourrait-il affecter le dollar canadien ? » – René Masson

Avant toute chose, il faut comprendre l’origine du mot. Lorsqu’on parle de dollarisation, on fait référence à l’utilisation du dollar américain comme monnaie d’échange à l’international, mais aussi comme complément à la monnaie d’un pays.

« Il y a plusieurs pays en développement, principalement en Amérique latine, dans une grande partie de l’Asie et même en Afrique, où le dollar américain est très prisé et même préféré à la devise locale », explique Pascal Bédard, maître d’enseignement au département d’économie appliquée de HEC Montréal.

Le phénomène de dollarisation remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, où le billet vert est devenu une devise de référence à l’échelle mondiale par la consolidation de sa présence dans les transactions de produits de base ou matières premières.

Au terme du premier trimestre 2024, le dollar américain constituait environ 59 % des réserves de change mondiales, selon les données du Fonds monétaire international (FMI).

Vers la dédollarisation ?

Or, en 1999, la part des actifs en dollars américains constituait 71 % des réserves de change mondiales au terme du quatrième trimestre, selon le FMI : il s’agit d’une baisse de 12 points de pourcentage en 25 ans.

Si le phénomène de mondialisation amène les pays à vouloir diversifier leurs actifs, d’autres raisons peuvent expliquer cette tendance. Certains veulent réduire la présence du dollar américain dans leurs échanges à l’international, surtout pour des raisons géopolitiques ou de méfiance à l’égard de la dépendance mondiale au dollar américain.

C’est ce qu’on appelle le phénomène de dédollarisation.

« La facilité avec laquelle les [États-Unis] ont été en mesure de mettre en œuvre des gels d’actifs et des sanctions contre la Russie pour son invasion de l’Ukraine a retenu l’attention de certains pays qui craignent d’être un jour exclus du système », vulgarise une analyse de la Banque RBC en 2023.

L’analyse cite la Russie et l’Iran, qui utilisent maintenant le yuan chinois pour leurs ventes de pétrole.

Ces pays font partie du BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Éthiopie, Iran et Émirats arabes unis) dont les relations sont menées par les mêmes volontés géopolitiques de non-ingérence. Selon la RBC, les éventuelles infrastructures financières de ce blocus auraient « une portée limitée ».

« Le dollar américain continue de céder du terrain aux monnaies non traditionnelles dans les réserves de change mondiales, mais il reste la principale monnaie de réserve », conclut par ailleurs un récent rapport du FMI.

Les devises occupant les deuxième et troisième places dans les réserves de change mondiales sont encore bien loin derrière le dollar américain au premier trimestre de 2024 : l’euro, avec 20 % des réserves, et le yuan chinois, avec 5 %.

« L’euro stagne beaucoup, car il y a beaucoup de tensions à l’interne. C’est une monnaie commune, mais les pays sont divisés. Ce n’est pas nécessairement tentant pour les détenteurs de portefeuille internationaux », précise le rapport du FMI.

L’effet sur le dollar canadien

A priori, l’effet de la dédollarisation sur le dollar canadien est incertain, d’après Pascal Bédard.

Selon lui, l’aspect le plus visible serait lié aux taux d’intérêt.

« Si le phénomène survenait de façon généralisée, les taux d’intérêt américains auraient tendance à augmenter, et probablement qu’il y aurait un effet de débordement au Canada », note le maître d’enseignement à HEC Montréal.

Si le billet vert se dépréciait de façon marquée, cela pourrait également nuire aux secteurs d’exportation canadiens, puisque les prix des importations ne seraient plus aussi avantageux pour les marchés américains.

« Mais en même temps, [l’appréciation de la devise canadienne] aiderait à notre pouvoir d’achat à l’international », estime M. Bédard.

Il ajoute que la dédollarisation devrait être très marquée pour observer un véritable effet à court terme sur le dollar canadien.

« Les marchés américains sont de loin les plus répandus, matures et complexes, et sont combinés avec des institutions crédibles et une économie prospère. Le combo de tout ça est difficile à remplacer », conclut-il.