Une équipe d’économistes a analysé 20 ans de recherches sur le coût social du CO2, une estimation des dommages causés par les changements climatiques. Conclusion : le coût moyen – révisé avec de meilleures méthodes – est bien plus élevé que le chiffre le plus récent du gouvernement américain.

Autrement dit, les émissions de gaz à effet de serre, au fil du temps, vont coûter plus cher que ce que les autorités prévoient. Ces estimations montent sans cesse : les outils permettant de mesurer le lien entre les phénomènes météorologiques et la production économique s’améliorent. De plus, l’interaction climat-économie amplifie les coûts de manière imprévisible.

On pourrait croire que ce genre de données sonnerait l’alarme dans le secteur financier, qui scrute les données économiques pouvant avoir une incidence sur les portefeuilles d’actions et de prêts. Mais non.

Wall Street se désintéresse de l’investissement vert

Au contraire, depuis peu, Wall Street semble se désintéresser des objectifs climatiques. Banquiers et gestionnaires d’actifs quittent les alliances internationales sur le climat et s’irritent de leurs règles. Les banques augmentent leurs prêts aux producteurs d’hydrocarbures. Les fonds d’investissement durables ont subi de grosses pertes et plusieurs ont fermé.

PHOTO VERONICA GABRIELA CARDENAS, THE NEW YORK TIMES

La ville de Corpus Christi, au Texas, a été inondée après le passage de la tempête tropicale Alberto, le 20 juin. Le Mexique a aussi été très affecté.

Comment expliquer ce décalage ? Souvent, ce sont des cas classiques du dilemme du prisonnier : si les entreprises adoptent collectivement des énergies plus propres, un climat plus frais profitera à tout le monde à l’avenir. Mais à court terme, chaque entreprise voit que le pétrole, le gaz et le charbon sont payants, ce qui handicape la transition.

Or, le secteur financier peine à comprendre l’impact financier du réchauffement climatique sur ses activités.

Mettez-vous à la place d’un banquier ou d’un gestionnaire d’actifs.

En 2021, le président Joe Biden a réintégré les États-Unis dans l’Accord de Paris. Les autorités financières du pays ont commencé à publier des rapports sur le risque climatique pour le système financier. Un groupe international d’institutions financières a pris des engagements d’une valeur de 130 000 milliards de dollars en vue de réduire les émissions, comptant sur les gouvernements pour créer une infrastructure réglementaire et financière soutenant ces investissements. En 2022, la loi américaine sur la réduction de l’inflation a été adoptée.

PHOTO PAUL ELLIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les taux d’intérêt élevés et des problèmes d’approvisionnement ont plombé les actions liées aux énergies propres, entraînant l’annulation de projets éoliens en mer.

Depuis, des centaines de milliards ont été investis dans l’énergie renouvelable aux États-Unis. Mais les stratèges en investissement ne voient pas nécessairement ces projets comme de bons placements.

Les taux d’intérêt élevés et des problèmes d’approvisionnement ont plombé les actions liées aux énergies propres, entraînant l’annulation de projets éoliens en mer.

Les parts des grands fonds négociés en Bourse consacrés à l’énergie solaire ont fondu de 20 % depuis janvier 2023, tandis que le reste du marché boursier montait en flèche.

L’investissement vert est « très difficile » dans le contexte « où on cherche à faire pencher vos portefeuilles du côté des bénéfices », observe Derek Schug, gestionnaire de portefeuilles chez Kestra Investment Management.

Il s’agit probablement d’excellents investissements sur 20 ans, mais nous sommes jugés sur un ou trois ans, alors c’est pas mal plus difficile pour nous.

Derek Schug, gestionnaire de portefeuilles chez Kestra Investment Management

Certains clients institutionnels, comme les caisses de retraite publiques, sont patients en ce qui concerne les rendements et sont prêts à inclure la lutte contre les changements climatiques dans leur stratégie d’investissement. Mais ils sont minoritaires. Depuis deux ans, beaucoup de banques et de gestionnaires d’actifs ont renoncé à tout investissement vert, de peur de perdre des clients dans des États qui rejettent ce genre de préoccupation.

Prêts records au secteur pétrolier et gazier

De plus, la guerre en Ukraine a brouillé les arguments financiers pour une transition énergétique rapide. L’intelligence artificielle et l’électrification augmentent la demande énergétique. Comme l’éolien et le solaire ne suivent pas, les banques ont continué à prêter au secteur pétrolier et gazier, qui fait des profits records. Selon Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase, l’arrêt pur et simple des projets pétroliers et gaziers serait « naïf ».

Tout ce qui précède concerne l’attrait relatif des investissements qui ralentiraient les changements climatiques. Qu’en est-il du risque que les changements climatiques font peser sur les investissements du secteur financier, mégaouragans plus puissants, vagues de chaleur qui font disjoncter le réseau électrique, incendies de forêt qui dévorent des villes ?

PHOTO EMILY KASK, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Certains quartiers de Horseshoe Beach, en Floride, ont été détruits par l’ouragan Idalia fin août 2023. La couverture d’assurance dans cet État est jugée faible.

Banquiers et investisseurs semblent tenir compte de certains risques physiques, mais une grande partie de ces risques ne se sont pas encore révélés.

Depuis un an, la Réserve fédérale a demandé aux six plus grandes banques américaines de calculer l’impact qu’aurait sur leurs bilans un gros ouragan sur le nord-est du pays. Un résumé publié en mai révèle que ces banques peinent à évaluer l’impact sur le taux de défaillance des prêts : elles manquent d’informations sur les caractéristiques des propriétés, leurs contreparties dans le risque et surtout la couverture d’assurance.

Pari Sastry, qui enseigne la finance à la Columbia Business School, a étudié les assureurs fragiles, notamment en Floride. Elle estime que la couverture y est souvent faible, ce qui rend plus probables les défauts de paiement sur prêt hypothécaire après les ouragans.

Cela m’inquiète beaucoup : l’assurance est un maillon faible et opaque. Il y a des parallèles avec certains liens complexes qui ont été un facteur en 2008 [lors de la crise des subprimes], où un marché faible et non réglementé s’est répercuté sur le système bancaire.

Pari Sastry, professeure adjointe de finance à la Columbia Business School

Les régulateurs aussi sont préoccupés : mal comprendre ces effets en chaîne pourrait mettre en danger non seulement une banque, mais tout le système financier. Ils ont mis en place des systèmes de surveillance des problèmes potentiels, qui sont dénoncés comme inadéquats par certains réformateurs.

La Banque centrale européenne a pris en compte le risque climatique dans sa politique et sa surveillance, mais la Réserve fédérale s’est abstenue de jouer un rôle plus actif. Cela même s’il est clair que les conditions météorologiques extrêmes alimentent l’inflation et que les taux d’intérêt élevés ralentissent la transition vers les énergies propres.

« L’argument de la Fed est le suivant : “À moins de pouvoir démontrer clairement que ça fait partie de notre mandat, c’est au Congrès de s’en occuper, ça ne nous regarde pas” », déclare Johannes Stroebel, professeur de finance à la Stern School of Business de l’Université de New York.

Le risque Trump

Définir les risques d’un portefeuille est toujours difficile, mais il y a une incertitude à plus court terme : l’issue de la présidentielle américaine pourrait déterminer si de nouvelles mesures pour le climat seront prises ou si l’effort actuel sera annulé. Investir à fond dans l’économie verte pourrait mal tourner si Donald Trump est élu, alors il semble sage d’attendre.

« Compte tenu de la lenteur de notre système jusqu’à présent, il serait encore temps de sauter de l’autre côté de la clôture », observe Nicholas Codola, gestionnaire de portefeuille chez Brinker Capital Investments.

John Morton a été conseiller climatique de Janet Yellen, au département du Trésor, avant de rejoindre le Pollination Group, une société de conseil et de gestion de portefeuille axée sur le climat. Il note que les grandes entreprises hésitent à investir dans des projets verts à l’approche de l’élection ; selon lui, cette hésitation contient « deux choses erronées et très dangereuses ».

PHOTO CARLOS OSORIO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les grandes entreprises hésitent à investir dans des projets verts à l’approche de l’élection présidentielle de novembre prochain. Si Donald Trump est élu, les mesures gouvernementales qui soutiennent ces investissements pourraient être annulées.

Primo : la Californie et d’autres États adoptent des règles plus strictes en matière d’information financière sur les émissions de CO2 et pourraient les renforcer si Donald Trump gagne. Secundo : l’Europe met en place un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », qui punira les entreprises polluantes désireuses de vendre leurs produits sur son territoire.

« Notre conseil : soyez prudents », dit M. Morton. « Vous serez désavantagés sur le marché si vous vous retrouvez avec un gros sac de carbone dans 10 ans. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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