(Montréal et Ottawa) La compétence de W8banaki pour évaluer les contaminants du dépotoir illégal de Kanesatake soulève des doutes. Le Conseil tribal spécifie qu’il doit plutôt jouer les intermédiaires afin de choisir une entreprise pour procéder aux travaux qui s’annoncent complexes. Entre-temps, les tensions sont toujours vives entre le grand chef de la communauté mohawk et les cinq chefs dissidents.

« Nous tenons à préciser que le rôle pour lequel W8banaki est actuellement ciblé vise à coordonner la prochaine phase de caractérisation du site », a fait savoir sa conseillère en communication, Joanie Rancourt, dans une déclaration écrite. « Nous tenons également à mentionner que nous sommes actuellement en attente de l’obtention officielle du mandat de la part de la communauté. Une fois le mandat officiellement attribué, un fournisseur de service sera choisi afin d’accomplir le travail sur le site, et ce, à la suite d’un processus d’appel d’offres rigoureux. »

W8banaki est le Conseil tribal des bandes abénakises d’Odanak et de Wôlinak, dans le Centre-du-Québec. Il offre divers services techniques aux communautés autochtones et aux municipalités. Ses membres sont « conscients de la délicatesse de l’opération » et comptent s’allier « aux meilleurs experts dans le domaine le moment venu ».

Le dossier du site de G&R Recyclage traîne depuis des années en raison d’un conflit interne au sein du Conseil de bande de Kanesatake, divisé entre deux factions. D’un côté, le grand chef Victor Bonspille et sa sœur jumelle – la cheffe Valerie Bonspille – dénoncent une fronde des cinq autres chefs membres du Conseil de bande qui s’opposent vivement à leurs décisions.

La Presse révélait récemment qu’Ottawa avait mis fin à l’impasse dans le dossier en acceptant la proposition des chefs dissidents qui ont la majorité au conseil, ce qui a suscité la colère du grand chef Victor Bonspille, qui est minoritaire.

W8banaki vont avoir un contrat de plusieurs millions de dollars. Pourquoi utiliser une tierce partie qui devra sous-contracter à une autre quand on aurait pu embaucher directement une entreprise spécialisée dans le domaine ?

Le grand chef Victor Bonspille

« Le conseil de Kanesatake a choisi cet organisme, a rappelé la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, en entrevue. Ils coordonneront l’assainissement du site avec un certain nombre d’experts. On ne sait toujours pas exactement quel est le type de contamination et ce qu’il faudra pour nettoyer. »

Elle espère que les travaux d’évaluation débuteront dès que possible. Ils doivent inclure l’atténuation des mauvaises odeurs.

« Bien que le sujet divise, il est évident que nous collaborerons étroitement avec la communauté de Kanesatake, a indiqué Mme Rancourt de W8banaki. Grâce à notre expérience de longue date avec les communautés autochtones, nous avons une compréhension profonde de la réalité et des enjeux spécifiques de cette communauté. »

« Simplement chargé de projet »

Pour sa part, le chef Serge Simon – qui a été grand chef de 2011 à 2021 – a soutenu en entrevue que W8banaki agira « simplement comme chargé de projet ». Il a tenu à rappeler que l’organisation ne « fera pas la caractérisation ou la décontamination du site ». Son mandat se résume à engager les professionnels détenant les compétences pour le faire.

« Nous faisons affaire avec eux depuis plusieurs années et nous avons confiance en eux », déclare-t-il, indiquant qu’ils seront aussi responsables de la gestion des sommes avancées par le gouvernement. « Aussi, en se tournant vers W8banaki, le Conseil ne devient pas propriétaire du terrain en question et des mauvaises surprises qui peuvent survenir. »

L’évaluation des contaminants constitue la première étape qui mènerait éventuellement à la décontamination du terrain. Elle « permettra de déterminer le meilleur plan d’action pour réhabiliter le site, ainsi que les coûts et les délais pour y parvenir », a fait savoir le ministère des Services aux Autochtones. « Ces détails ne sont toutefois pas encore connus pour le moment, car l’organisation retenue devra elle-même sélectionner un fournisseur de service pour accomplir ce travail sur le site. » Le gouvernement du Québec avait déjà estimé que l’ensemble des travaux s’élèveraient à 100 millions.

Des enquêtes de La Presse l’an dernier avaient permis de constater qu’une eau brunâtre s’écoulant du dépotoir dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons. Le dépotoir pollue ainsi les cours d’eau de la communauté et des municipalités avoisinantes, en plus de générer des odeurs nauséabondes.

Un des « plus gros projets au Canada »

Le dossier est complexe, rappelle Kevin Morin, directeur général du Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec, qui représente les entreprises du secteur environnement : « Ça implique aussi bien le fédéral que le provincial, les communautés autochtones et des municipalités qui se trouvent près du site et qui peuvent être affectées à cause des écoulements sur leur territoire. »

Mais la complexité est également liée aux activités qui s’y sont déroulées au fil des ans. Des couches de matières résiduelles de différentes natures ont été superposées les unes aux autres, à la façon d’un mille-feuille. « Les travailleurs ne savent pas sur quel type de matières ils peuvent tomber en creusant. Est-ce qu’il y a des matières dangereuses ? On ne le sait pas. Tout ça reste inconnu. »

« La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de l’expertise au Québec, mais il faut toutefois s’assurer que ce soient les bonnes entreprises qui travaillent sur ce terrain », dit-il. « C’est un des plus gros projets existants au Canada » sur le plan du volume de matières qui devra être traité.

Avec Tristan Péloquin, La Presse

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