(Ottawa) Un an après que des membres eurent dénoncé la « zone de non-droit » qu’est devenue Kanesatake, ils constatent que rien n’a changé. Le gouvernement fédéral va dépenser des millions pour décontaminer un autre site problématique, celui de G & R Recyclage, mais ils estiment que cela risque d’être un coup d’épée dans l’eau tant que la question de la sécurité publique ne sera pas réglée.

« Le plan sera exécuté dans un contexte où l’intimidation se poursuit sans contrôle, rendant impossible toute consultation de la communauté », déplorent-ils dans une lettre anonyme publiée en ligne la semaine dernière. La Presse a pu parler à un membre du groupe qui a demandé que son identité demeure confidentielle parce qu’il craint que sa maison soit incendiée ou pire…

« Car, en effet, quiconque soulève des questions difficiles s’expose à des représailles de la part de ceux qui sont associés au crime organisé », exposent ces résidants du territoire mohawk.

Le déversement de sols issus de chantiers sur un autre site en bordure de la rivière des Outaouais en est une nouvelle illustration, selon eux. La Presse rapportait lundi que l’entreprise d’excavation Construction Nexus déleste ces sols depuis des mois sur le territoire. L’un des chefs du Conseil de bande a même reçu un coup de poing du propriétaire de l’endroit.

Cet autre site s’ajoute à celui de G & R Recyclage, un dépotoir illégal d’où s’écoule une eau toxique qui dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons et qui pollue les cours d’eau de la communauté et des municipalités avoisinantes. Il appartient aux frères Robert et Gary Gabriel qui traînent tous deux un lourd passé criminel.

Les frères Gabriel avaient été condamnés respectivement à un an et à 15 mois de prison, en 2005, pour leur participation à une émeute au poste de police de la communauté et à la séquestration de 67 agents des Peacekeepers l’année précédente. La maison du grand chef James Gabriel avait également été incendiée après qu’il eut dénoncé publiquement l’influence grandissante du crime organisé sur le territoire.

Depuis ces évènements, le territoire mohawk n’a plus de force policière. C’est la Sûreté du Québec (SQ) qui est chargée d’assurer la sécurité. Malgré tout, des enquêteurs privés ont refusé de se rendre sur le territoire, considérant la situation trop dangereuse, selon des documents que La Presse a pu consulter.

Choix remis en question

Le groupe mohawk remet en question le choix du Conseil tribal W8banaki pour procéder à l’évaluation des contaminants sur le site de G & R Recyclage faite par « un conseil de bande dont les membres font l’objet d’une enquête par l’unité des crimes financiers de la SQ », en référence à une perquisition menée l’an dernier en lien avec une plainte pour fraude entourant un fonds d’aide de 5 millions attribué par le gouvernement fédéral pour la COVID-19.

Ces membres de Kanesatake constatent que « le gouvernement n’a toujours pas agi pour rétablir la sécurité publique dans la communauté » et que l’enfouissement de déchets contaminés se poursuit « dans l’impunité la plus totale » tout comme le trafic d’armes et de drogues.

« L’état de non-droit demeure », résument-ils.

Et la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, refuse de les rencontrer, contrairement à son homologue québécois, Ian Lafrenière. Le gouvernement du Québec « s’est montré à l’écoute et ouvert au dialogue ».

Une communauté sans protection policière accueillant tant de groupes violents ne peut être appelée à « résoudre ses propres problèmes » au nom de l’autodétermination autochtone, en particulier lorsque ces problèmes sont enracinés dans le colonialisme canadien et des décennies de politique du gouvernement fédéral.

Des membres de Kanesatake

Cette lettre a amené l’ex-co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, à interpeller les deux ministres dans une publication sur les réseaux sociaux la semaine dernière. « Le silence de la part de la ministre Hajdu est honteux », a-t-elle dénoncé.

« J’ai aussi envie de demander à notre propre ministre aux relations avec les Premières Nations et Inuit, Ian Lafrenière, ce qu’il en est des pressions de son cabinet auprès du fédéral », a-t-elle ajouté.

« Ce qu’on comprend, c’est que personne ne veut se mettre le nez là-dedans », a-t-elle résumé en entrevue.

Canaux ouverts

À Québec comme à Ottawa, on assure que les canaux de communications sont ouverts autant sur la question du site de G & R Recyclage que sur celle de la sécurité publique, mais on insiste sur le rôle de la SQ.

« C’est un enjeu sur lequel nous travaillons avec le fédéral », a indiqué Maxime Tardif, attaché de presse du ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, avant de nous inviter à nous adresser à la SQ.

« Nos discussions se poursuivent avec le gouvernement du Québec en vue de trouver une solution commune et pérenne concernant les enjeux de sécurité publique à Kanesatake », a fait savoir pour sa part Jean-Sébastien Comeau, directeur adjoint des communications du ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc.

La SQ, en tant que police ayant juridiction sur le territoire de Kanesatake, veille sur les résidants de la communauté. Nous espérons être en mesure de communiquer les prochaines étapes dans un avenir rapproché.

Jean-Sébastien Comeau, directeur adjoint des communications du ministre fédéral de la Sécurité publique

« On suggère fortement à toute personne qui aurait des informations sur des activités criminelles de contacter la Sûreté du Québec », a indiqué à son tour Simon Ross, directeur des communications de la ministre Hajdu. « Le fédéral n’est pas en position de dire quoi faire à la SQ. »

« Oui, on est présent, c’est sûr », a répondu le porte-parole de la SQ pour le district Ouest, Marc Tessier. Il ajoute que des patrouilles ont lieu régulièrement, mais que la question des dépotoirs illégaux relève plutôt du ministère de l’Environnement du Québec. La SQ peut accompagner les employés du ministère au besoin.

« Ce qui nous est signalé, c’est enquêté », ajoute-t-il. La SQ enquête présentement sur quatre voitures qui ont été incendiées récemment sur le territoire.

L’accès au site de G & R Recyclage risque d’être un enjeu pour la première phase d’évaluation des contaminants. Le ministère fédéral des Services aux Autochtones indique que la responsabilité d’obtenir l’autorisation pour accéder au site revient au Conseil de bande.

Avec Tristan Péloquin et Ulysse Bergeron, La Presse

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