Le géant danois de la biométhanisation Nature Energy débarquait au Québec, il y a deux ans, à la façon d’un rouleau compresseur. La filiale de Shell voulait construire jusqu’à 10 méga-usines de biométhanisation pour produire du gaz naturel renouvelable à partir de résidus agricoles. Or, elle doit maintenant revoir son approche et adapter ses ambitions à la réalité québécoise.

« On ne se met pas le couteau sous la gorge en se disant qu’il faut faire 10 usines coûte que coûte, déclare Philippe Lamote, responsable de l’approvisionnement en biomasse de Nature Energy au Canada. On y va projet par projet. Si ce n’est que six usines, ce ne sera que six usines. »

Les propos contrastent avec l’assurance qu’affichait en décembre 2022 le grand patron de Nature Energy, Ole Hvelplund, lors de l’annonce de partenariat avec Énergir. L’entreprise danoise — rachetée deux semaines plus tôt par le géant pétrolier Shell — avait alors soutenu vouloir construire jusqu’à 10 méga-usines de biométhanisation pour produire du gaz naturel renouvelable (GNR) agricole à partir de lisier et de fumier.

Le rendement potentiel de ces projets avait de quoi impressionner. Ces usines, avait-on soutenu, permettraient de produire 200 millions de m⁠ètres cubes de GNR et d’« atteindre le tiers de la cible de 2030 du Québec en matière de GNR, ce qui réduirait les émissions de CO2 d’un maximum de 400 000 tonnes, ce qui équivaut à retirer de la circulation environ 100 000 voitures à essence ».

Or, pour alimenter chaque usine, Nature Energy doit recueillir 700 000 tonnes d’intrants, essentiellement constitués de déjections animales. Même s’il y a d’importants élevages au Québec — l’industrie porcine totalise à elle seule 7 millions de bêtes —, les producteurs sont répartis sur un territoire plus vaste que celui du Danemark.

Si on doit faire 100 kilomètres pour aller chercher du fumier, ça devient compliqué d’avoir un projet économiquement viable. Notre modèle repose sur un nombre important de fermes — entre 100 et 150 fermes — qui doivent se trouver dans un rayon de 45 minutes de transport maximum.

Philippe Lamote, responsable de l’approvisionnement en biomasse de Nature Energy au Canada

L’an dernier, Nature Energy a dû mettre une croix sur la construction d’une usine à Louiseville, dans la MRC de Maskinongé. « Il aurait fallu réussir à récolter les intrants de 100 % des fermes dans un rayon de 45 minutes de transport », dit-il.

Deux usines sont pour le moment dans les cartons de l’entreprise. Celle de Farnham, en Estrie, qui devrait être inaugurée en 2026 aurait accès à « trois fois plus d’intrants » que l’approvisionnement nécessaire. Situation similaire pour l’usine projetée à Saint-Joseph, en Beauce, qui devrait être en service en 2027. Chacune d’elles devrait produire annuellement 20 millions de mètres cubes, l’équivalent de ce que consomment 10 000 maisons de taille moyenne.

Mieux définir le statut du digestat

À l’instar des autres entreprises du secteur, Philipe Lamote estime que Québec pourrait donner un coup de pouce pour favoriser le développement de la filière en « alignant » les objectifs des ministères et autorités impliqués. « Il y a parfois de petites contradictions qui créent des problématiques d’ordre réglementaire. »

Il cite l’exemple du statut du digestat, résidu qui sort du digesteur après le processus de méthanisation. Composé de nutriments, ce fertilisant renouvelable sert à remplacer des engrais chimiques en agriculture.

Or, s’il est permis au Québec d’épandre du lisier et du fumier dans les champs, l’encadrement de l’épandage du digestat est plus serré. La biomasse traitée par Nature Energy est constituée à 80 % de sources agricoles et à 20 % de restants de l’industrie agroalimentaire.

Et c’est là que le bât blesse, concède Philippe Lamote : « Lorsque les deux sont ensemble — comme on le fait —, c’est considéré comme une matière résiduelle fertilisante (MRF). Et là, ça tombe dans une autre réglementation et les coûts pour les utiliser sont très élevés. »

Précision :
Une version antérieure de ce texte mentionnait un projet d’usine à Saint-Georges, en Beauce. Or, il s’agit de Saint-Joseph. Nos excuses.