Quelques semaines après avoir repris les commandes de Gildan, le PDG Glenn Chamandy devra faire face aux avocats du fisc en juillet. Ils ont des questions sur une « perte artificielle » de 218 millions de dollars qui lui aurait permis d’éviter une fortune en impôts, à travers une série de sociétés aux Bahamas et un compte en Suisse. Selon Québec, il aurait aussi omis de déclarer plus de 10 millions en revenus personnels dans le cadre d’une « fausse représentation », voire d’une « fraude ».

En incluant les intérêts et des pénalités, le gouvernement réclame au total près de 48 millions au cofondateur et PDG du fabricant de vêtements, mais surtout à l’une de ses entreprises à numéro personnelles.

Dans le cadre d’un des litiges, le gouvernement conteste une série de transactions d’évitement fiscal jugées abusives. Elles ont permis à l’entreprise de M. Chamandy, 7049960 Canada inc., d’économiser 40 millions en impôts en éliminant le gain en capital sur la vente de plus de 200 millions en actions de Gildan, en 2008.

Le montage complexe implique une série de roulements d’actions, de gains et de pertes d’une société à l’autre, ainsi que des opérations de « stellage » (voir explications ci-dessous). L’équipe des planifications fiscales agressives de Revenu Québec surveille de près ce type de transactions parce qu’elles peuvent servir à reporter indéfiniment le paiement d’impôts.

Qu’est-ce qu’une perte sur « stellage » ou sur « opération de chevauchement » ?

Dans ce type de montage, un contribuable ayant un gain fiscal à éliminer négocie simultanément deux contrats à terme sur la même devise. L’un mise sur sa hausse et l’autre, sur sa baisse. Les transactions produiront donc un gain et une perte équivalents, sans risque. Le contribuable se sert de la perte pour compenser son gain fiscal et l’éliminer. Quant au gain qu’a elle-même produit l’opération de « stellage », il le reporte à une année ultérieure. S’il recommence l’opération d’une année à l’autre, il reporte indéfiniment l’impôt à payer sur son gain d’origine… et le fisc aura des questions.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le gouvernement allègue « plusieurs irrégularités » dans le cadre de cette stratégie fiscale en « trompe-l’œil », créant une « perte fiscale artificielle ».

En entretien avec La Presse en marge de l’assemblée annuelle des actionnaires de Gildan, mardi, Glenn Chamandy assure que selon ses avocats et lui, ces transactions sont valables. « Je vais m’asseoir avec eux et réviser le tout, et on verra le résultat, dit-il. Je ne me sauve pas. »

Les allégations du fisc n’ont pas été prouvées devant un tribunal et aucune date de procès n’est fixée pour l’instant.

Un prêt mystère, sans intérêts

Au cœur des transactions dénoncées figure un prêt sans intérêts de 218 millions à une mystérieuse société des Bahamas, Waterquest Holdings. Dans les documents judiciaires, Revenu Québec mentionne avoir demandé à Glenn Chamandy de révéler qui détient cette société, sans jamais obtenir de réponse.

Aucune explication non plus quant aux raisons ayant motivé les transactions au cœur de cette planification fiscale.

Des millions en impôts personnels réclamés

Au cours du même interrogatoire en juillet, M. Chamandy doit aussi répondre aux questions du fisc dans le cadre d’un deuxième litige, concernant son impôt personnel. Le gouvernement lui réclame plus de 4 millions en cotisations et intérêts sur des revenus non déclarés.

Dans ce dossier, le fisc reproche à M. Chamandy de s’être adonné à « une fausse représentation », voire à « une fraude », en ne déclarant que 259 960 $ en 2009, alors que ses gains étaient près de 40 fois plus élevés.

Selon les allégations du fisc, le PDG de Gildan refuse depuis des années de fournir les renseignements demandés.

Pour Québec, Chamandy ne peut plaider l’ignorance de la loi, étant donné sa longue expérience à la tête du fabricant de vêtements, une société cotée aux Bourses de Toronto et de New York qui vaut des milliards.

Le fisc mentionne également les participations de l’homme d’affaires dans des dizaines de sociétés non seulement au Canada et aux États-Unis, mais aussi « à la Barbade, aux îles Caïmans et aux îles Vierges britanniques », des paradis fiscaux notoires.