Avec notre déficit record, je craignais que les agences de crédit décotent le Québec, comme elles l’ont fait avec la Colombie-Britannique le printemps dernier. Ou du moins qu’elles nous accolent une perspective négative, signe précurseur d’une décote.

La nouvelle aurait ébranlé le gouvernement caquiste et semé le doute sur sa gestion des finances publiques. Une hausse des taux d’intérêt exigés par les prêteurs aurait suivi, avec ses conséquences sur nos finances.

Or, la décote n’est pas venue. Les quatre agences qui suivent le Québec ont plutôt annoncé, tour à tour, qu’elles maintiennent la cote enviable du Québec. Et leurs explications pour ce maintien dénotent une grande confiance envers le gouvernement caquiste et, plus largement, envers l’économie du Québec et la stabilité qu’apporte le Fonds des générations.

Le Québec a une cote à long terme de AA-, selon la typologie de l’agence S&P Global. Cette cote est la 4e meilleure sur une liste qui en compte une vingtaine. Les trois autres agences (Moody’s, Fitch et DBRS) ont des cotes semblables pour le Québec, exprimées autrement.

Parmi les provinces, le Québec est la 2mieux cotée, après la Saskatchewan (AA). À titre de comparaison, le gouvernement fédéral canadien est à AAA, qui constitue la meilleure cote possible, et la France est à AA-.

Comment les agences justifient-elles ce maintien, malgré notre déficit record de 7,3 milliards en 2024-20251 ?

Explication de S&P dans son rapport : « Malgré les récentes difficultés financières, le gouvernement de la Coalition avenir Québec reste concentré sur le maintien de politiques conservatrices ciblant l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette. »

L’agence S&P dit s’attendre à ce que le gouvernement remédie « rapidement » aux problèmes budgétaires et migre progressivement vers des déficits modestes, à la faveur d’une reprise économique et malgré les tentations électoralistes des prochaines élections.

Au sujet de la dette, l’agence Moody’s salue de son côté le Fonds des générations et sa gestion plutôt constante depuis 2006, malgré les changements de gouvernement.

Espoir dans les gains de productivité

Moody’s note que le taux de participation au marché du travail est plus élevé ici qu’ailleurs au Canada, un facteur positif. Elle signale que le vieillissement est de nature à nuire aux recettes fiscales, quoique les retraités vont tout de même payer des impôts sur leurs rentes.

S&P se dit persuadée que le Québec finira par faire des gains de productivité.

Même si cela prendra du temps, les gains de productivité contribueront à soutenir la croissance économique du Québec et atténueront les impacts du vieillissement de la population et de la pénurie de main-d’œuvre.

Extrait du rapport de la firme S&P

Autre facteur favorable, selon Moody’s : « La province entretient de solides relations avec les investisseurs, tant au pays qu’à l’étranger, pour s’assurer d’être en mesure d’attirer un large éventail d’investisseurs potentiels, une nécessité compte tenu des importants programmes d’emprunt annuels », écrit l’agence dans son rapport.

En somme, le ministre des Finances, Eric Girard, et son équipe ont su convaincre les agences que leur plan pour un retour à l’équilibre budgétaire fonctionnera. Et que les prêteurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles : le Québec honorera ses paiements d’intérêts sur la dette rubis sur l’ongle.

Ces constats jurent avec le portrait financier du Québec que j’ai fait dans ma chronique de vendredi dernier intitulée « Notre État providence a de gros défis ». J’y expliquais que le Québec a le 7plus haut niveau de dépenses des pays industrialisés, en proportion de son PIB.

Lisez la chronique « Notre État providence a de gros défis »

Comment expliquer cette différence ? C’est que les agences de notation mesurent la capacité d’un État à engranger des revenus pour financer ses dépenses et payer ses dettes. Or, le Québec parvient à le faire avec ses contribuables – particuliers et entreprises –, chose que ne pourrait faire, au même niveau, une province comme l’Alberta, par exemple, allergique aux taxes.

Autre élément : le Québec a une économie hautement diversifiée, à l’abri des aléas d’un secteur en particulier. Moody’s donne comme exemples de cette diversité les secteurs manufacturier, des pâtes et papiers et de l’aluminium, mais également ceux des hautes technologies, de l’aéronautique et des télécommunications.

Comme un pays souverain… ou presque

Aspect intéressant : Moody’s affirme que le Québec et les provinces canadiennes « bénéficient d’une bien plus grande autonomie [budgétaire] que leurs homologues des autres pays, y compris les länder allemands et les états australiens ».

Cette autonomie aide les provinces à surmonter les ralentissements économiques ou des évènements comme la pandémie, dit-elle.

La politique budgétaire [des provinces] s’apparente davantage à celle des gouvernements souverains qu’à celle de nombre de leurs pairs internationaux infrasouverains.

Extrait du rapport de Moody’s

L’agence rappelle toutefois que sa cote s’appuie aussi sur le fait qu’advenant des problèmes de liquidités, le Québec pourrait compter sur le « soutien extraordinaire du gouvernement canadien ». Elle note également que le Québec peut compter sur la stabilité et la récurrence d’importants transferts fédéraux, notamment en santé.

Le Québec n’est cependant pas à l’abri d’un changement d’humeur des agences. S&P indique qu’elle pourrait décoter le Québec si sa performance budgétaire se traduisait, de façon persistante, par des déficits supérieurs à 10 % des revenus totaux (en incluant dans le déficit les dépenses en capital pour les infrastructures).

Or, le Québec a nettement franchi ce seuil de 10 % cette année. Son déficit après dépenses en capital a atteint 12,2 % au cours de l’année qui s’est terminée le 31 mars. Il augmentera à 14,4 % pour l’année en cours, avant de redescendre à 12,1 % l’année suivante, selon ce qu’indique S&P dans son rapport.

Visiblement, S&P croit Eric Girard quand il lui explique que ce seuil repassera sous les 10 % en 2026-2027.

En comparaison, la Colombie-Britannique a un déficit après dépenses en capital qui atteindra 20,1 % cette année. Et sa gestion erratique des finances a fait perdre patience à S&P, d’où la récente décote.

Lisez la chronique « Les risques du laisser-aller budgétaire »

Ce qu’on peut en conclure ? Que notre État providence est viable, mais qu’il serait drôlement secoué advenant un dérapage dans notre gestion budgétaire.

1. Le déficit de 7,3 milliards est avant la provision pour éventualités et avant les versements au Fonds des générations.