Je sais, voyager fait du bien. Et tous aiment voyager, se dépayser, découvrir. Remettre en question les vols aériens peut donc avoir un effet démobilisant sur la population dans la lutte contre les GES.

Mais peut-on prendre l’avion sans en être boulimique ? Parce que vérification faite, les Canadiens et les Québécois sont parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) au monde pour les vols aériens.

Plus précisément, les Canadiens viennent au 2e rang de la dizaine de pays que j’ai pu comparer pour les GES du transport aérien, toute proportion gardée… devant les Américains. Et les Québécois sont près de la moyenne canadienne, au 4rang des comparaisons. Oupelaye !

Ce sont les Australiens qui émettent le plus de GES aériens des pays comparés, à près d’une tonne par habitant en 2019 (dernière année hors pandémie comparable). Le Canada est à 0,76 tonne et le Québec, à 0,65 tonne par habitant.

Ce genre d’estimation, précisons-le, n’a jamais été faite avant, selon ce que j’en sais. Une tonne de GES représente l’équivalent d’un aller simple Montréal-Paris.

Mardi, je vous présentais un relevé historique de nos GES aériens. En gros, les GES des vols des Québécois à l’international ont triplé depuis 1990. Ils représentent aujourd’hui l’équivalent de 1,8 million de véhicules automobiles, soit 31 % du parc de véhicules légers (autos et VUS). Et il faudrait beaucoup de projets de transport collectif pour compenser.

L’essentiel de ces GES aériens s’explique par les vols internationaux, qui ne sont pas inscrits dans le rapport d’inventaire national (NIR) des pays, contrairement aux vols intérieurs. Ils passent donc sous le radar.

Ces GES sont difficiles à imputer à un pays parce qu’on ne sait pas quelle part attribuer aux résidents et aux touristes, notamment. Qui est responsable des GES des départs et atterrissages à Dorval ou à Paris ?

Or, je suis parvenu à faire une estimation raisonnable de ce partage résidents-touristes pour une dizaine de pays et pour le Québec. Et donc à mesurer les GES par nationalité. Un vrai job de moine…

Les GES totaux émis par le kérosène des vols internationaux sont tirés d’une déclaration – bien camouflée –de chaque pays à l’ONU1. Et le partage résidents-touristes a été possible grâce aux données de Eurostat, de la World Tourism Organization et de cinq organismes nationaux de statistiques2.

Un effet de mode, de richesse ?

Bref, les Canadiens et Québécois polluent les airs bien davantage qu’ailleurs, selon mes estimations. Floride, Cancún, Paris, Berlin, Manille, San Francisco… les voyages aériens se multiplient et laissent des traces.

Peut-être est-ce un effet de mode chez les jeunes ou encore l’accroissement de notre richesse, l’immigration ou les retraites, mais quoi qu’il en soit, personne ne s’en soucie trop au Canada, parce que l’impact n’est pas vraiment mesuré.

Comme on pouvait s’y attendre, les Américains consomment beaucoup plus de kérosène qu’ailleurs pour les vols intérieurs de leur grand pays, et moins pour leurs vols internationaux.

De fait, les GES aériens internationaux imputables aux résidents américains avoisinent 0,23 tonne par habitant, soit deux fois moins que les Canadiens, selon ce qu’on peut estimer avec les données disponibles (voir le premier graphique plus haut). À l’inverse, les vols intérieurs sont deux fois plus polluants chez l’Oncle Trump (0,5 tonne de GES par habitant contre 0,23 tonne au Canada).

Autre résultat attendu : les GES par voyage (plutôt que par habitant) sont plus importants en Australie – sur un continent isolé – et plus petits pour les pays européens.

L’isolement relatif des pays influence le classement des GES par habitant, mais pas toujours. Par exemple, le trajet moyen des voyageurs japonais à l’international est semblable à celui des voyageurs canadiens, avec une consommation moyenne de 0,84 tonne de GES par voyage aller-retour (l’équivalent de Montréal-Floride-Montréal).

En revanche, les Japonais sont proportionnellement bien moins nombreux que les Canadiens à prendre l’avion, si bien que les GES aériens, ramenés par habitant, y sont de 0,13 tonne à l’international, quatre fois moins que ceux des Canadiens3.

Les GES moyens par voyageur du Québec à l’international (1,1 tonne) sont plus grands que ceux du Canada (0,89 tonne), selon mes estimations, car les Québécois volent sur une plus grande distance, en moyenne4.

Le tourisme en Grèce

Autre observation : un pays touristique comme la Grèce utilise beaucoup plus de kérosène pour ses touristes que pour les résidents. Ainsi, les GES aériens des vols internationaux sont très semblables à ceux du Canada (0,38 tonne par habitant), mais deviennent très différents quand on tient compte de qui prend l’avion (résidents ou touristes).

Selon les données d'Eurostat et du WTO, les Grecs représentent moins de 15 % des passagers des vols en Grèce, contre 66 % pour les Canadiens au Canada. Ce faisant, les GES qu’on peut imputer aux Grecs tombent à 0,13 tonne par habitat, contre 0,76 tonne pour les Canadiens.

Évidemment, la Grèce profite de la venue des touristes (et donc de leurs GES) pour faire rouler son économie – du moins tant que la chaleur ne deviendra pas excessive – mais c’est une autre histoire.

Les GES des vols internationaux sont souvent plus faibles pour les pays moins riches. C’est le cas de la Hongrie, de la Grèce, ou même de l’Italie – toutes trois dans le bas du classement des GES par habitant. Leurs PIB par habitant sont respectivement moindres que celui du Canada de 29 %, 37 % et 10 %.

Bannir la pub, comme à Amsterdam ?

Bref, les GES aériens ont explosé au Canada et au Québec ces dernières années et ils sont proportionnellement plus importants que pour la plupart des principaux pays.

Devant l’ampleur du phénomène aérien, d’autres administrations ont décidé d’agir. C’est le cas d’Amsterdam, aux Pays-Bas, et plus récemment d’Édimbourg, en Écosse : les publicités sur les vols aériens ont été interdites par le conseil municipal, comme ceux sur les VUS et le pétrole.

Ne devrait-on pas envisager ce genre de mesures sachant l’importance de nos GES aériens ? Et plus largement, sommes-nous capables, tout un chacun, de modérer nos transports… aériens ?

Grand merci pour leurs précieux conseils et renseignements à Jean-François Boucher, professeur d'écologie à l’UQAC, Cindy Gagné, chef des projets spéciaux à Statistique Canada, et Pierre-Olivier Pineau, professeur spécialisé en énergie à HEC Montréal.

1– Les données sur les GES émis par le kérosène des vols internationaux sont inscrites dans l’un des 95 onglets d’un fichier Excel soumis par chacun des pays à l’ONU.

Voyez les données (en anglais)

2– Dans l’ordre, les renseignements les plus précis viennent du Japon, de l’Australie, du Canada et des États-Unis, suivis du Royaume-Uni et des autres pays européens (Grèce, Italie, France). Les données du Royaume-Uni viennent de l’Office of National Statistics et d’Eurostat. Pour les autres pays européens, les données viennent d’Eurostat et de la World Tourism Organization. Les données pour les États-Unis sont tirées de l’International Trade Administration. Celles du Japon viennent du Japan Tourism Statistics. Celle du Canada viennent de Statistique Canada et celles de l’Australie, du Department of Home Affairs.

3– Je n’ai pu tenir compte spécifiquement de la distance des vols, vu le manque de données – sauf pour le Québec comparé au Canada – mais les GES moyens émis par voyageur (plutôt que par habitant) de chaque pays reflètent bien ce facteur de distance.

4– À l’international, 71 % des Québécois ont voyagé hors des États-Unis en 2023, contre 48 % pour la moyenne canadienne, selon Statistique Canada. En revanche, les Canadiens des autres provinces voyagent davantage que les Québécois à l’intérieur du Canada, ce qui fait que leurs GES totaux par habitant sont au-dessus de ceux des Québécois.