Le Canada connaîtra probablement un autre conflit de travail susceptible de perturber son réseau logistique national. Cette situation pourrait renforcer davantage la perception de nos partenaires commerciaux qui voient le Canada comme un participant peu fiable.

Dans un pays aussi vaste et riche en ressources que le Canada, on s’attendrait à ce que la logistique – colonne vertébrale essentielle d’une économie – soit une priorité. Pourtant, elle demeure l’un des aspects les plus sous-estimés de notre infrastructure économique.

Les Canadiens, largement ignorants des complexités des chaînes d’approvisionnement, s’attendent à l’arrivée sans faille des biens dans les rayons des magasins. Cette perception cache une réalité alarmante : le Canada a l’une des pires réputations dans le monde en matière d’efficacité logistique, et voilà qu’un nouveau conflit de travail très perturbateur nous pend au bout du nez.

La grève imminente impliquant le Canadien National (CN) et le Canadian Pacific Kansas City (CPKC) pourrait commencer le 22 mai prochain et menacer de paralyser les plus grands réseaux ferroviaires du pays. Les rails du CN qui parcourent plus de 32 000 kilomètres et transportent au-delà de 300 millions de tonnes de marchandises par an sont essentiels pour relier l’est et l’ouest du Canada et le sud des États-Unis.

Cette grève potentielle, le troisième conflit ferroviaire en cinq ans, sans inclure les litiges portuaires à Montréal et à Vancouver et celui de la Voie maritime du Saint-Laurent l’an dernier, souligne une vulnérabilité chronique de notre système logistique national.

Le moment est mal choisi, coïncidant avec les périodes de pointe des exportations. Par exemple, le Canada a exporté plus de 2,6 millions de tonnes métriques de grains en juin 2023. Une grève pendant cette période pourrait entraîner des pertes économiques dépassant 35 millions de dollars par jour, sans parler des effets en cascade sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.

La fréquence de ces perturbations ternit la réputation du Canada en matière de transport et d’approvisionnement fiables, causant des répercussions particulièrement dans le secteur de l’alimentation et des boissons. Ce secteur doit pouvoir se fier totalement à un approvisionnement régulier et fiable des intrants de fabrication et de la distribution des produits finis dans tout le pays. Les conflits de travail répétés et les goulets d’étranglement logistiques deviennent des menaces annuellement pour la stabilité économique de nos industries agroalimentaires.

La pandémie a sévèrement mis à l’épreuve notre infrastructure déjà fragile, avec des blocages et des grèves supplémentaires exacerbant la situation. Les perturbations compromettent souvent la chaîne du froid, entraînant une diminution de la qualité et de la sécurité des produits alimentaires – des fruits et légumes trop mûrs et des produits laitiers gâtés prématurément se répertorient couramment lors des irrégularités d’approvisionnement.

Notre cadre logistique, englobant les routes, les ponts, les chemins de fer et les ports, souffre d’un sous-financement flagrant. Selon les classements de la Banque mondiale et de S&P Global Market Intelligence, le port de Vancouver est le deuxième port parmi les pires au monde en matière d’efficacité. Tous les principaux ports canadiens se retrouvent à la fin du classement international et nos aéroports ne font guère meilleure figure.

En réponse à cette situation, le récent budget fédéral dévoilé par Chrystia Freeland propose une somme dérisoire de moins de 5 milliards de dollars pour l’infrastructure stratégique destinée à soutenir les exportations – une goutte d’eau dans l’océan au vu de l’ampleur des améliorations nécessaires. Ce sous-investissement signifie une grave sous-estimation du rôle critique de la logistique dans notre économie nationale.

Pour protéger la durabilité et la compétitivité de l’économie alimentaire du Canada, il faut impérativement reconnaître les chaînes d’approvisionnement alimentaires comme un service essentiel à l’échelle nationale.

Cette reconnaissance aiderait à stabiliser les attentes et la planification pour les entreprises agroalimentaires, des agriculteurs aux détaillants.

De plus, les opérations logistiques devraient être élevées au rang de priorité nationale, reflétant l’importance stratégique de ce secteur pour notre souveraineté économique. Plutôt que de laisser le soin à la population de reconnaître ce besoin, le gouvernement fédéral doit prendre les devants pour nous rappeler le rôle pivot de la logistique.

Le vaste paysage canadien, combiné aux défis posés par le changement climatique, exige une approche délibérée et stratégique de la logistique. Nous avons eu de la chance dans l’Est avec la Voie maritime du Saint-Laurent, mais pour le reste du pays, des efforts délibérés s’imposent pour rester concurrentiels.

Face à ces défis logistiques continus, il devient évident que leur résolution ne relève pas seulement de la politique économique, mais qu’elle revêt aussi une importance nationale. Pour Ottawa, il n’y a plus de temps à perdre, il lui faut prendre les devants et défendre une stratégie logistique nationale robuste, garantissant que les veines et les artères qui maintiennent le cœur économique de notre pays restent saines et résilientes.