J’exagère un peu, mais dans les dernières années, il suffisait d’être en vie pour décrocher un poste. Un propriétaire de trois Tim Hortons dans les Laurentides m’avait d’ailleurs raconté, au printemps 2022, à quel point il avait diminué ses critères de sélection pour recruter du personnel. « Si la personne connaît sa gauche et sa droite, on la prend ! »

Malgré tout, il devait réduire ses heures d’ouverture. Les clients se cognaient le nez sur la porte en soirée et parfois même en plein jour, faute de travailleurs. On n’avait jamais vu ça, des portes barrées chez Tim Hortons. Les automobilistes, habitués de fréquenter cette chaîne pour profiter de ses toilettes, pestaient.

On voyait des affiches « personnel recherché » partout au Québec. En désespoir de cause, les employeurs multipliaient les primes de toutes sortes et les stratégies de séduction. On allait même jusqu’à embaucher des enfants de 12 ou 13 ans.

Exactement deux ans plus tard, la situation est bien différente pour les jeunes, notamment les étudiants à la recherche d’un travail d’été. Statistique Canada a révélé vendredi qu’en avril, la plus forte hausse du taux de chômage a été enregistrée chez les 15-24 ans. Il s’établit désormais à 12,8 %, le niveau le plus élevé depuis l’été 2016 si on exclut les années pandémiques (2020 et 2021).

Au Québec, c’est un peu mieux, à 9,5 %, mais c’est nettement plus élevé que le taux de chômage global de 5,1 %. Et surtout, c’est trois points de plus qu’il y a un an.

Ces données laissent présager une nouvelle réalité pour les jeunes qui se chercheront un emploi d’été. En fait, certains sont déjà confrontés à la vraie vie.

C’est le cas du fils « travaillant et débrouillard » de Caroline qui a déposé entre 50 et 60 CV à Laval. À 16 ans, il espérait décrocher rapidement un premier emploi. « Avec tout ce que nous avons vu et lu sur la pénurie de main-d’œuvre dans les dernières années, nous croyions que ce serait facile pour lui. Tout le contraire ! Il n’y a vraiment aucun intérêt des employeurs. »

La plupart du temps, son adolescent se fait répondre froidement « on a tout notre personnel » et certains commerces refusent carrément de prendre son CV. Caroline aimerait comprendre ce qui se passe et savoir ce qu’un jeune sans expérience peut faire s’il ne veut pas passer l’été à la maison devant un écran.

Ce récit n’a aucunement surpris la directrice générale du Carrefour Jeunesse-emploi (CJE) de Laval, Christiane Pichette. Elle constate tous les jours que les jeunes ont plus de difficulté à se trouver un emploi d’été.

C’est assez bizarre. Le ministère du Travail parle encore de pénurie de main-d’œuvre, mais dans les organismes en employabilité, ce n’est pas ça qu’on sent. On est revenus à notre achalandage d’avant la pandémie.

Christiane Pichette, directrice générale du Carrefour Emploi Jeunesse de Laval

Pour décrocher un boulot, les jeunes doivent désormais apprendre à se chercher un emploi avec un CV dans les mains et une bonne lettre de présentation. Il faut qu’ils se déplacent pour rencontrer les employeurs, passer des entrevues, vendre leur salade.

Tout cela semble vraiment évident pour les personnes de ma génération qui rêvaient d’être choisies par McDonald’s quand le taux de chômage des jeunes était de 20 %. Mais pour un étudiant de 18 ou 20 ans qui a toujours réussi à dénicher un emploi en scannant, tout simplement, un code QR avec son téléphone, un petit choc est à prévoir.

Ceux qui ont besoin d’aide peuvent toujours se tourner vers les CJE, qui offrent des ateliers gratuits et des trucs pour étoffer un CV en l’absence d’expérience de travail.

Une autre mère m’a raconté que son fils de 16 ans qui se cherchait un emploi d’été cool est déjà en train de revoir ses critères. Car ses recherches intensives ne mènent à rien.

« Il trouve injuste que son grand frère se soit fait embaucher en 15 minutes pour être moniteur dans un camp de jour, en 2021, sans aucune expérience, alors qu’il avait 15 ans, et ensuite dans une épicerie. »

Qu’est-ce qui s’est passé pour que la situation change autant ?

Les commerces se sont habitués à avoir moins d’employés et certains ont rationalisé leurs opérations, répond Christiane Pichette. Un exemple parmi tant d’autres : bon nombre de restaurants sont fermés les lundis et mardis, d’autres sont fermés sur l’heure du midi. C’est sans compter le nombre accru de nouveaux arrivants et d’étudiants étrangers qui cherchent du boulot. La baisse de la consommation dans les restaurants et les magasins, en réaction à la hausse du coût de la vie, fait aussi partie de l’équation.

Incapable de trouver du personnel pour le service, un restaurateur de Québec, m’avait raconté il y a deux ans qu’il envisageait sérieusement de fournir des iPad aux clients pour qu’ils passent leurs commandes. Sa mère retraitée était forcée de lui donner un coup de main. Cette année, les ventes ont « tellement ralenti » que ses besoins en main-d’œuvre ont fondu comme neige au soleil. De deux ou trois livreurs la fin de semaine, il est passé à un seul. « J’ai perdu 2200 clients depuis un an », relate Matice Langevin, propriétaire de Kyran-Ô-Pizza.

Dans le secteur de la vente au détail, le nombre de postes vacants est passé de 32 000 à 16 000 en un an, selon le Conseil québécois du commerce de détail. La pénurie n’est pas résorbée, mais les employeurs cherchent principalement des personnes qualifiées pour travailler en gérance, aux achats, aux ressources humaines… des emplois qui ne sont pas accessibles aux étudiants.

Après deux ou trois années pendant lesquelles les jeunes avaient le gros bout du bâton et imposaient leurs exigences, le retour à l’équilibre s’opère. Bien des parents qui ont roulé des yeux devant ces caprices devront maintenant composer avec la déprime de leur progéniture incapable de se trouver du travail.