La Ville veut imposer une redevance aux propriétaires de terrains laissés à l’abandon

Une question taraude le monde agricole depuis des décennies : même si des terres sont protégées par le zonage, comment empêcher que des spéculateurs les laissent en friche pendant des années dans l’espoir d’un éventuel dézonage ?

La Ville de Laval croit détenir une partie de la solution. Dans un geste rarissime au Québec, la municipalité s’apprête à mettre en place une redevance pour encourager les propriétaires de terres agricoles en friche à les remettre en culture ou à les vendre au bénéfice d’agriculteurs, a appris La Presse.

« La solution qu’on a trouvée, c’est la redevance. L’espoir, c’est que ça va encourager les petits propriétaires à disposer de leur terrain, donc on pourra remembrer plus vite et favoriser la remise en culture de ces terres », explique en entrevue le maire de Laval, Stéphane Boyer.

« C’est une mesure qu’on veut mettre de l’avant pour deux raisons. Premièrement, pour accélérer le remembrement des terres agricoles, et deuxièmement, pour financer et faciliter la remise en culture. »

Même si elle a connu des décennies de croissance effrénée, la troisième ville en importance du Québec garde une riche trame agricole. Aujourd’hui, 29 % du territoire lavallois est dans la zone agricole permanente. Mais seulement la moitié de ces terres sont cultivées.

Des terres morcelées il y a 50 ans

L’administration Boyer veut y remédier. Laval estime que le tiers des terres agricoles non cultivées – soit un peu plus de 1100 hectares – pourraient l’être. Mais ces terres sont en grande partie la propriété de non-agriculteurs ou ont été divisées au fil des ans dans un but spéculatif.

« Ce qui est particulier chez nous, c’est qu’on a beaucoup de grandes terres qui ont été morcelées en milliers de lots dans les années 1970, 1980, avant l’entrée en vigueur de la loi sur la zone permanente », explique le maire Boyer.

« Là, aujourd’hui, on a des terres agricoles qui ont été divisées en 500, 1000, 2000 petits terrains qui étaient destinés à faire des maisons unifamiliales. On se retrouve avec des milliers de petits propriétaires qui maintiennent, gardent ces terrains-là sans rien faire avec. »

Plusieurs terres agricoles de Laval sont aussi la propriété de grands fonds d’investissement.

Puisque l’impôt foncier – les « taxes municipales » – est plus bas sur les terres agricoles en raison de leur plus faible valeur marchande, des propriétaires ont tendance à les conserver à l’abandon dans l’espoir diffus d’un éventuel dézonage et d’une explosion de leur valeur.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La zone agricole représente 7055 hectares à Laval, soit 29 % du territoire.

« On souhaite envoyer un message très clair aux propriétaires que ça n’arrivera pas, lance le maire Stéphane Boyer. Un terrain en zone agricole va rester en zone agricole. Donc ça ne sert à rien de s’accrocher à son bout de terrain en espérant faire une passe d’argent un jour. »

Le nouveau règlement, qui doit être adopté ce mardi soir au conseil municipal, vise à faire payer une redevance aux non-agriculteurs propriétaires de terres en friche. Les agriculteurs ne sont pas visés.

En guise d’exemple, le propriétaire d’un terrain de 5000 m⁠2 (environ 54 000 pi⁠2) devra payer une redevance de 1250 $ annuellement, en plus de l’impôt foncier et de la surtaxe sur le remembrement agricole de 200 $ qui existe déjà. L’entrée en vigueur est prévue pour l’exercice financier 2025.

On ignore combien de municipalités ont mis en place une telle redevance au Québec. Laval pensait être la première. Or Boisbriand impose depuis quelques années une redevance sur les terres en friche, quoique plus basse (0,04 $ par mètre carré).

Laval espère aller chercher 1,1 million de dollars par année avec la nouvelle redevance. Les recettes iront dans un tout nouveau Fonds de remise en culture, qui servira à acquérir des terres en friche et à réaliser les travaux nécessaires à la reprise de l’agriculture.

« À Laval, on s’est dit : ça ne sert à rien de protéger une terre agricole si on n’est pas capable de la cultiver. Donc que peut-on faire aujourd’hui avec les pouvoirs qu’on a dans la loi ? », demande le maire de Laval.

« Une fois qu’on redevient propriétaire, l’idée c’est de le remettre en un grand lot et de revendre ce grand lot là à un agriculteur, note le maire. Soit le vendre, soit le louer. Ça pourrait être de grands agriculteurs déjà présents, ou des terrains de petites dimensions qu’on pourrait louer à un agriculteur de la relève… On va être vraiment flexibles. »

La Presse a tenté de recueillir les réactions de Monit Investments, qui est un des plus importants propriétaires de terres agricoles non exploitées à Laval. Nous n’étions pas parvenus à les joindre au moment de publier.

L’UPA salue la mesure

L’Union des producteurs agricoles (UPA) a réagi favorablement lundi lorsque contactée par La Presse. « On n’a pas encore le règlement officiel, alors je vais faire attention », explique Martin Caron, président de l’UPA.

Celui-ci indique toutefois que les terres laissées en friche pour des raisons spéculatives sont un véritable problème. À part la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents, rien n’empêche au Québec un non-agriculteur d’acheter des terres agricoles.

« Au Québec, on est à 0,24 hectare cultivé par habitant. C’est le plus bas ratio en Amérique », déplore M. Caron.

Il rappelle que plusieurs intervenants ont demandé la mise en place de telles redevances lors de la récente Consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles.

« Il y a énormément de pression sur les gens qui sont là. Et ça met énormément de pression sur les agriculteurs à Laval qui sont entourés, dit-il. Tous les outils sont bienvenus. Il faut protéger ces terres et s’assurer qu’elles sont cultivées. »

Plus de 1000 hectares dans la ligne de mire

La zone agricole représente 7055 hectares à Laval, soit 29 % du territoire. La moitié environ de ces terres est cultivée à l’heure actuelle. Les experts de la Ville ne s’attendent pas à ce que les quelque 3400 hectares non cultivés le soient un jour.

Il y a dans le lot des milieux humides (1576 hectares), des terrains boisés, des terres avec contraintes… Ces terrains ne seront pas visés par la redevance. En tout, la Ville pense que 1108 hectares de terres en friche pourraient être remis en culture.

« Pourquoi ce n’est pas l’entièreté ? C’est parce que certaines terres sont des milieux humides, des milieux naturels, des boisés et ça, on ne veut pas y toucher, explique le maire de Laval, Stéphane Boyer. On veut garder les forêts et les milieux humides existants. »

« Les deux tiers vont rester non cultivés, donc vont rester des milieux naturels », ajoute-t-il.