Après la crise de SAAQclic l’an dernier, la migration du Système électronique d’appels d’offres (SEAO) vers une nouvelle plateforme gérée par Québec cause à son tour des difficultés, cette fois dans l’industrie de la construction. Plusieurs entrepreneurs peinent à utiliser le nouvel outil de recherche pour soumissionner.

« Il n’y a jamais de bonne période pour faire une telle transition, mais en plein cœur de l’été où les chantiers battent leur plein, ce n’était pas le meilleur moment », glisse la directrice et avocate de l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure (AQEI), Caroline Amireault.

Exploité depuis des années par CGI, le Système électronique d’appels d’offres est une plateforme web qui recense tous les contrats de plus de 25 000 $ accordés par l’ensemble des ministères, des organismes publics et des municipalités. Chaque année, les projets y étant affichés totalisent des centaines de millions.

Ce site a migré dans les dernières semaines sur les plateformes numériques du gouvernement. Ce dernier regroupe depuis un moment plusieurs entités sous son giron, dans le cadre du mégaprojet de Service d’authentification gouvernemental (SAG), qui a pour but premier de sécuriser les données citoyennes et faciliter leur accès au public.

L’intégration au SAG était aussi à l’origine du fiasco entourant la crise informatique à la Société de l’assurance automobile (SAAQ), qui avait causé d’innombrables files d’attente en raison des difficultés techniques associées au système SAAQclic.

Dans le cas du SEAO, la migration est survenue dans la foulée d’une recommandation de la vérificatrice générale (VG) datant de 2016 et visant à « diminuer le risque lié à la dépendance » envers une entreprise privée. Plus globalement, la migration avait « pour objectif d’améliorer la performance du système », affirme par courriel une porte-parole du Secrétariat du Conseil du trésor, Cynthia Boissonneault.

Une expérience difficile

Or, comme pour SAAQclic, tout ne s’est pas passé comme prévu. Plusieurs entrepreneurs nous ont confié au cours des derniers jours avoir de la difficulté à consulter des documents d’appels d’offres en cours ou à déposer une soumission. L’outil de recherche serait moins performant pour trouver des mandats, disent des donneurs d’ouvrage.

Plusieurs d’entre eux ont aussi connu des enjeux avec la connexion au nouveau système, qui semblait « avoir écarté ou supprimé » de nombreux identifiants, le site imposant maintenant une double identification pour renforcer la sécurité des données.

Divers problèmes ont aussi été observés avec la facturation et l’historique des commandes. « On a beaucoup de mal avec les fonctionnalités de la plateforme, que je trouve beaucoup moins intuitive. Au bout du compte, on craint que la transition fasse en sorte que plusieurs appels d’offres vont être retardés. Tout ça aurait dû être testé bien avant le déploiement », confie l’un de ces entrepreneurs, qui témoigne sous le couvert de l’anonymat par crainte de conséquences professionnelles.

Un autre déplore surtout n’avoir reçu « aucun avis de cette migration importante d’un système qui fonctionnait pourtant très bien depuis plus de 30 ans, auquel tout le monde était bien habitué ».

« Dans notre milieu, chaque jour compte, donc les impacts d’un changement mal coordonné peuvent être énormes », persiste une autre source, en ajoutant au passage : « Il y a des gens dans l’industrie qui doivent être très stressés présentement. »

Manque de soutien technique

À l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure, Caroline Amireault déplore le manque d’informations transmises à l’industrie avant la transition, le SEAO étant utilisé au quotidien par des centaines d’entrepreneurs. « On aurait aimé avoir un guide explicatif, une formation, quelque chose. Il y a une complexification pour ce qui est des recherches et des thèmes, mais le soutien technique, ça ne fonctionne juste pas », dit-elle.

Parler à un agent semble difficile en appelant la ligne d’appel mise sur pied pour accompagner les entrepreneurs. Mme Amireault dit avoir demandé une formation technique auprès du Conseil du trésor. Celle-ci devrait être tenue le 9 juillet prochain, avec plusieurs entreprises.

Le ministère de la Cybersécurité et du Numérique, lui, se dit « au courant que certains utilisateurs ont rencontré des difficultés », surtout en ce qui a trait à l’étape de « faire l’appariement entre leur ancien compte SEAO et le nouveau ».

Québec avance qu’une « stratégie de gestion du changement », incluant une offre de formation et des communications externes, avait été déployée dès décembre 2023. Un document faisant un survol des enjeux, avec des solutions à la clé, a aussi été remis aux entrepreneurs.

« Dans l’ancien SEAO, les usagers utilisaient un identifiant avec un mot de passe pour s’authentifier. Alors que dans le nouveau SEAO, l’authentification se fait par une adresse courriel et un mot de passe », affirme un porte-parole, Émile Boudreau. Ainsi, si un utilisateur se crée un compte dans le nouveau système sans utiliser la même adresse qu’il avait utilisée lors de la création de son compte dans l’ancien, il sera bloqué.

M. Boudreau estime que le service à la clientèle « est outillé afin d’accompagner les fournisseurs dans leur transition ». « La majorité des appels reçus jusqu’à présent concernent des questions en lien avec l’adaptation des fournisseurs au nouveau système », soutient-il. Son groupe assure qu’il « surveille de près la situation et effectue en continu une analyse des raisons d’appels au service à la clientèle ».

« Le système n’a connu aucune panne depuis sa mise en service le 10 juin. […] Lorsque des correctifs seront nécessaires, ceux-ci seront déployés avec diligence afin d’améliorer l’expérience utilisateur. Actuellement, les problématiques sont relatives à la gestion du changement », conclut le relationniste.