Les personnes qui vivent avec un handicap ou un trouble comme l’autisme font les frais d’un marché de l’emploi qui se resserre et une chute de postes vacants disponibles. En perte d’indépendance financière et d’autonomie, ces travailleurs vivent des frustrations et une baisse d’estime, malgré leurs capacités et leurs compétences.

« C’est comme si les entreprises étaient plus ouvertes aux accommodements raisonnables pour les personnes autistes quand il y a une pénurie de main-d’œuvre. Mais lorsqu’elles ont plus de choix, ces accommodements deviennent déraisonnables… »

Julie Carignan ne mâche pas ses mots pour décrire la situation vécue par son garçon de 19 ans, Charles-Étienne, qui a un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et une légère déficience intellectuelle. Diplômé d’un programme particulier offert par le centre de services scolaire de sa région, le jeune homme n’a pas eu de difficulté à se trouver un emploi, au printemps 2023.

« Il est allé porter des CV et rapidement, il a eu plusieurs appels et des entrevues, raconte la mère. On a vu qu’il était dans un contexte de possibilités, où il était reçu, soutenu, accompagné. Il était fier d’avoir trouvé lui-même un emploi. »

Le choc de la réalité

Après avoir encaissé un ralentissement du nombre d’heures de travail à son horaire, Charles-Étienne a perdu son emploi. Et depuis, malgré les 70 CV distribués, c’est la traversée du désert.

« C’est pourtant le même gars, avec une année d’expérience professionnelle de plus, laisse tomber Mme Carignan, qui travaille à titre de psychologue organisationnelle et de conseillère en ressources humaines. C’est comme s’il y avait un décalage entre les intentions de certaines entreprises, qui clament être en faveur des mesures en équité, diversité et inclusion, et la réalité. Le test de la réalité, en tant que société, on y échoue en ce moment. »

Julie Carignan souligne qu’elle ne cherche pas la charité. En vérité, la situation la préoccupe, voire l’inquiète.

« Je vois mon fils qui se décourage et qui se désorganise. Il passe des moments difficiles, confie-t-elle. Et je me demande : quel message envoie-t-on en tant que société ? Est-ce que ça veut dire qu’on a un seul processus, qu’il est standard et que les gens qui sortent des standards doivent entrer dans un moule ? Est-ce que notre ouverture à la différence fluctue en fonction de la pénurie d’emplois ? »

Ralentissement

Si on compare le nombre de postes à pourvoir du premier trimestre de 2024 à celui de l’an passé, il a chuté de 27 % au Québec, selon l’Institut de la statistique du Québec.

Pour Laurence Marin, directrice générale du Regroupement des organismes spécialisés pour l’emploi des personnes handicapées (ROSEPH), nul doute que cette situation fait particulièrement mal aux travailleurs qui vivent avec un handicap.

Je constate que c’est plus difficile en ce moment qu’il y a deux ou trois ans. L’un des facteurs, c’est la prudence des employeurs. Ils semblent être dans un contexte où ils attendent de voir quel sera le contexte économique. On tourne au ralenti.

Laurence Marin, directrice générale du Regroupement des organismes spécialisés pour l’emploi des personnes handicapées

Christine Larrivée est agente de communication et de liaison pour le Service de formation, d’intégration et de maintien à l’emploi pour personnes handicapées (SDEM Semo), un organisme d’aide à l’emploi pour personnes handicapées présent en Montérégie. Elle remarque elle aussi que l’étau se resserre pour les personnes en situation de handicap.

« Les employeurs sont surchargés et débordés, ils ont moins de temps pour encadrer et soutenir notre clientèle, note-t-elle. C’est plus difficile de démarcher des employeurs en ce moment. Du côté du commerce de détail et de la restauration, j’observe aussi une réduction des heures. »

De récentes données sur l’emploi des personnes autistes au pays compilées par l’Alliance canadienne de l’autisme démontrent qu’un tiers d’entre elles sont sans emploi… alors que le taux de chômage dans la population en général se situe à environ 6 % au pays.

Fidèles et fiables

Est-ce que les préjugés nuisent à la candidature des personnes autistes ? Mme Larrivée croit qu’il existe encore de la « peur et de l’ignorance » chez certains employeurs… alors que les « travailleurs qui ont un TSA sont reconnus pour être fidèles, loyaux, assidus et engagés ».

« Il y a encore cette idée préconçue que les personnes en situation de handicap ne sont pas compétentes, déplore Mme Marin. Alors que lorsque tout est mis en place pour répondre à leurs besoins, ces travailleurs vont redoubler d’efforts pour que tout se passe bien. »

Fiables, déterminées et perfectionnistes, les personnes autistes ont la réputation d’être des travailleurs redoutables. Depuis 35 ans, Martin Prévost, directeur de l’accompagnement chez NeuroPlus, aide les personnes neuroatypiques à intégrer le marché de l’emploi. « Ce sont des personnes dont le cerveau fonctionne différemment, indique-t-il. Elles ne traitent pas l’information de la même façon. Elles perçoivent leur environnement différemment. Et elles arrivent avec des solutions différentes. »

Aide gouvernementale

L’aide financière du gouvernement provincial, par exemple pour compenser une perte de productivité si la personne avec un handicap ne peut effectuer toutes les tâches liées à son emploi, est un facilitateur. Mais cela ne fait pas tout : l’accompagnement, au moment de l’embauche et par la suite, est crucial.

« La courbe d’apprentissage est différente, rappelle Christine Larrivée, du SDEM Semo, qui offre du soutien gratuitement. Oui, ça peut être un peu plus long au début, mais je suis convaincue que le match parfait existe. »