La fermeture de trois usines forestières en à peine un mois fait passer un mauvais quart d’heure aux Témiscamiens. Cette communauté tissée serré redoute les conséquences des plus de 400 emplois perdus sur la vitalité économique de la région.

25 avril, Béarn. Une scierie appartenant à Chantiers Chibougamau, qui emploie 120 travailleurs, ferme ses portes pour une durée indéterminée.

29 avril, Témiscaming. L’entreprise forestière Rayonier Advanced Materials (RYAM) annonce la mise à pied temporaire de 275 employés, qui se fera à partir du 16 juillet.

24 mai, Belleterre. L’usine de Commonwealth Plywood cesse ses activités pour au moins six mois ; une trentaine d’employés sont touchés.

Dans ces villages de quelques centaines d’âmes, tout le monde connaît quelqu’un qui travaille à l’usine – s’il n’y travaille pas lui-même. L’inquiétude est généralisée. « Des fermetures temporaires, c’est une chose, mais quand on ne sait pas si temporaire va devenir permanent, c’en est une autre », indique Kevin Gagnon, président de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM-CSN).

L’ampleur du problème dépasse le Témiscamingue : l’industrie forestière québécoise est en crise. Les taux d’intérêt élevés, aux États-Unis comme au Québec, font chuter la demande de bois d’œuvre et, du même coup, sa valeur. « Le bois ne se vend pas, résume M. Gagnon. On regarde à l’horizon et on n’est pas rassurés de ce qui s’en vient dans les prochains mois. »

Effet domino

Brenda Lagacé a quitté le nord de l’Ontario pour Témiscaming il y a plus de 30 ans. Son conjoint et son fils ont tous deux travaillé pour RYAM. Comme plusieurs résidants, la retraitée appréhende de devoir renoncer à certains services dans la municipalité. « On va perdre notre instructrice d’aquaforme, qui travaille aussi à l’école, regrette-t-elle. Son mari a reçu sa lettre de mise à pied et ils ont décidé de quitter. C’étaient de jeunes parents qui venaient d’arriver ici… »

Déjà, les pancartes d’agents immobiliers sont de plus en plus nombreuses devant les maisons. « La population diminue chaque jour, remarque Stéphane Lefebvre, président du syndicat des travailleurs de l’usine à Témiscaming. Ça vient avec une perte de services à l’école, au CLSC… et on peut oublier l’arrivée de nouveaux commerces. » Ces inquiétudes s’additionnent à celles vécues au boulot, où « l’atmosphère de travail est très, très toxique ». Depuis deux mois, il dort mal, coincé entre les questions de ses membres et les réponses sporadiques de l’entreprise privée américaine.

Pour moi, c’est le début de la fin.

Stéphane Lefebvre, président du syndicat des travailleurs de l’usine à Témiscaming

Même histoire à Belleterre, où le maire Bruno Boyer craint carrément pour la survie de son coin de pays, qui carbure au bois. « La ville est mono-industrielle, je n’ai pas d’autre porte de sortie. Ceux qui partent pour aller travailler ailleurs ne reviendront pas. »

Scénarios envisagés

Pour l’instant, aucune des trois usines du Témiscamingue n’a annoncé de fermeture décisive. À la scierie Béarn, les activités devraient reprendre à la fin de l’été pour au moins quelques semaines, selon Frédéric Verreault, directeur exécutif au développement corporatif de Chantiers Chibougamau. Bruno Boyer, qui est aussi directeur des opérations chez Commonwealth Plywood, sait seulement que l’entreprise à Belleterre ne rouvrira pas avant janvier. « Ça va dépendre du prix du bois, on croise les doigts », dit le maire.

L’usine de RYAM, quant à elle, pourrait être vendue. « Il y a des acheteurs potentiels et c’est un site unique en Amérique du Nord qui peut encore être compétitif sur le marché », martèle la préfète de la MRC Témiscamingue, Claire Bolduc.

À moyen terme, il y a de l’avenir pour l’industrie forestière, mais il faut passer à travers une période plus ardue.

Claire Bolduc

Elle indique qu’un « comité très restreint », composé notamment du député de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Daniel Bernard, du chef de la nation Anishnabe de Kebaowek, Lance Haymond, et du fondateur de la forestière Tembec (aujourd’hui RYAM), Frank Dottori, « travaille à toutes les hypothèses possibles pour relancer les activités de l’usine de Témiscaming ».

L’hiver dernier, Québec a tenu une vaste consultation sur l’avenir et la gestion de la forêt à travers la province. Le rapport a été dévoilé vendredi et prédit une modernisation du régime forestier.