La filière du GNR agricole n’est pas reconnue pour ce qu’elle est, soit un prolongement de l’agriculture, déclare Simon Naylor, PDG de Keridis BioÉnergie.

Depuis plus de 10 ans, l’entreprise se spécialise dans le développement et l’investissement en biométhanisation.

Pensez-y. Tout ce qui rentre dans un digesteur vient de l’agriculture. C’est du fumier, du lisier et un peu de matière résiduelle agroalimentaire. Et tout ce qu’on sort une fois le traitement terminé – le digestat – va être épandu dans un champ de culture à proximité.

Simon Naylor, PDG de Keridis BioÉnergie

Le digestat est cette matière laissée dans le digesteur après le processus de méthanisation. Composé de nutriments, il est utilisé comme fertilisant renouvelable pour remplacer des engrais chimiques.

« Comme tout cela est lié à l’agriculture, on pourrait revoir la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles pour y inclure la biométhanisation comme une activité agricole pour que ce soit plus facile de s’installer en zone cultivable », dit-il.

Perception

Son de cloche similaire de la part de Mélissa Sall, directrice de BioÉnertek. L’entreprise montréalaise a construit et mis en service des projets de biométhanisation aux États-Unis et au Mexique. Elle planche actuellement sur un projet qui doit voir le jour éventuellement à Sainte-Sophie-de-Lévrard, dans le Centre-du-Québec.

On doit constamment défendre notre volonté de s’installer en zone agricole. Pourquoi on ne veut pas aller s’installer en zone industrielle ? C’est parce que la matière se trouve en zone agricole et que ceux qui utilisent le digestat sont les agriculteurs.

Mélissa Sall, directrice de BioÉnertek

La femme d’affaires constate « une forme de peur » dans certains ministères. « C’est comme si on craignait que ces projets soient ou deviennent des projets industriels lourds. »

Cette perception aurait mené à un encadrement plus strict des producteurs de GNR agricole, donc à une augmentation des coûts des projets, un frein pour les producteurs agricoles qui voudraient produire du GNR à partir de leurs résidus agricoles.

« On vend la molécule de GNR à un prix fixé par la Régie de l’énergie. Il faut que ça soit rentable pour l’agriculteur », dit-elle.

Méconnaissance

Le PDG de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER), Luis Calzado, estime lui aussi que la méconnaissance freine le développement de l’industrie.

Au Québec, il y a toujours cette impression que le gaz naturel est d’origine fossile. Ce qui n’est évidemment pas le cas pour celui qui provient du traitement de résidus agricoles.

Luis Calzado, PDG de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable

Même si la production de GNR agricole s’appuie sur des technologies connues et éprouvées en Europe, elles restent ici incomprises pour plusieurs, dont les investisseurs. Cela se traduit par un intérêt « peu marqué » des institutions financières pour financer ces projets. Une situation qui diffère grandement de la réalité sur le Vieux Continent.

Certes, le Fonds de solidarité FTQ a lancé le fonds de solidarité FTQ Bioénergie, qui prévoit injecter dans un premier temps 100 millions de dollars dans la filière. Seul hic : il s’agit du seul acteur d’envergure à avoir fait le grand saut dans la filière.

« On ne peut pas compter que sur un investisseur. Il en faut plusieurs », dit-il.

« Au Québec, il y a quelques banques qui ont montré de l’intérêt, mais je ne dirais pas que c’est au niveau nécessaire à aider au déploiement de la filière. »

Scepticisme

Raphaël Duquette est vice-président chez Qarbonex, une firme de consultants spécialisée dans les projets de GNR. « On a essayé de partir la filière de la biométhanisation avec le traitement des résidus de table, donc des projets plus complexes », relate-t-il.

Ce choix « a créé beaucoup de scepticisme » à l’égard de la filière, selon lui.

Les résidus de table, c’est de la matière qui est plus difficile à recueillir et qui a plus de contaminants. Ce sont donc des projets de biométhanisation qui sont techniquement plus complexes et plus coûteux à réaliser.

Raphaël Duquette, vice-président de Qarbonex

À cause de cela, la biométhanisation serait considérée par plusieurs – dont des décideurs – comme synonyme de complexité, retards et dépassements de coûts.

« Mais on doit distinguer cette biométhanisation de celle avec des résidus agricoles. Cette dernière est beaucoup plus simple. Prenez les intrants comme le lisier et le fumier : la quantité est plus facile à estimer parce que la cueillette ne se fait pas de façon volontaire. On n’a qu’à connaître le nombre de bêtes. »