Trouver un livre de recettes pour seulement 4,25 $ au Village des Valeurs, ou encore un range-couvert à 2,85 $ chez Renaissance, ça peut sembler être des aubaines… sauf si l’étiquette de Winners encore collée sur le livre prouve qu’il ne vaut que 2,99 $ et que le site web d’IKEA indique que le range-couvert ne coûte que 0,99 $.

« C’est spécial quand je vois ça ; en dessous, tu vois l’étiquette du Dollarama, 4 $ ou 3 $, puis là, tu vois que [le Village des Valeurs] l’a mis à 4,99 $. »

Jessica Laplante-Tremblay magasine souvent dans les friperies afin de trouver des articles abordables pour décorer sa maison et habiller ses trois jeunes enfants. Toutefois, les prix des articles vendus dans des commerces comme le Village des Valeurs lui font douter qu’acheter de seconde main soit toujours une aubaine, surtout lorsque ces friperies revendent des articles d’autres enseignes plus cher que leurs prix originaux.

Sa vidéo « Vient au Village des Voleurs » dénonçant ce problème a accumulé près de 75 000 visionnements sur TikTok.

Elle n’est pas la seule à avoir constaté ces disparités de prix dans les magasins d’occasion. « Une paire de leggings : on a regardé la grandeur et on a vu l’étiquette du Dollarama qui était 4 $, et le pantalon était rendu 9,97 $ [au Village des Valeurs] », dénonce Annie Lavallée, éducatrice au primaire qui achète dans les friperies par souci écologique.

Un problème répandu 

Dans la semaine du 10 juin, La Presse a visité trois succursales du Village des Valeurs et six succursales de Renaissance à Montréal et à Laval. Dans toutes sauf une, nous avons trouvé des articles d’autres commerces arborant encore leur étiquette originale montrant un prix moins élevé que celui de revente dans les friperies.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Village des Valeurs du boulevard Pie-IX

Dollarama, IKEA, Winners, Walmart : les articles surfacturés proviennent souvent de détaillants facilement reconnaissables.

Un ensemble de salière et poivrière en piteux état était affiché à 5,99 $ au Village des Valeurs du boulevard Pie-IX. Le même ensemble neuf chez Dollarama ? 4,25 $.

Une tasse à café vendue 4,97 $ chez Walmart est revendue 8,85 $ au Renaissance du quartier Côte-des-Neiges.

En cherchant sur le site web d’IKEA, on découvre rapidement que le pot à plante Socker, revendu à 2,99 $ au Village des Valeurs, vaut 1,99 $ chez l’entreprise suédoise.

50 ¢… 1 $… 3 $

Ces différences de prix peuvent sembler minimes, mais pour certains clients, c’est une question de principe.

Ça me choque, je me dis : c’est des dons qu’ils reçoivent, pourquoi les vendre plus cher ?

Annie Lavallée, éducatrice au primaire

Ce n’est pas la première fois que de telles disparités de prix ont été remarquées dans les grandes chaînes de friperies. En février 2024, CBC a notamment fait un reportage sur un problème similaire dans les succursales du Value Village (société parente du Village des Valeurs au Canada) à Toronto.

Lisez le reportage de CBC (en anglais)

« Pour les consommateurs, ça crée un malaise parce qu’il y a une incohérence entre le positionnement, l’orientation de l’enseigne de seconde main, et la pratique en tant que telle, [soit] le prix qui est affiché », affirme Myriam Ertz, experte en consommation durable et en marketing.

Plusieurs de ces articles mal étiquetés identifiés par La Presse ont été trouvés dans des succursales de Renaissance, qui est pourtant un organisme à but non lucratif ayant pour mission la réinsertion socioprofessionnelle. Ce statut lui permet d’ailleurs de ne pas imposer de taxes sur ses articles.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Friperie Renaissance du boulevard Pie-IX

Les politiques de prix par catégories pourraient avoir joué un rôle dans ce phénomène, estime Mme Ertz. « Le prix minimum pour vendre un livre dans certaines friperies, ça va être peut-être 1 $ ou 4 $ […], mais ça s’avère [que] c’est plus élevé que le prix de vente dans l’enseigne de type Dollarama. »

L’inflation, qui affecte aussi l’économie de seconde main, pourrait être un autre facteur. « Les coûts sont plus élevés pour les friperies et elles doivent répercuter ça sur leur prix de vente », explique la professeure de l’Université du Québec à Chicoutimi.

Des erreurs d’étiquetage ?

Une représentante de Renaissance soutient qu’il s’agit simplement d’erreurs d’étiquetage.

« Ce sont des humains. On a beaucoup de participants [employés] à chaque magasin. Chaque friperie est un lieu d’apprentissage pour les gens qu’on réinsère sur le marché du travail », affirme Linda Pimparé, directrice adjointe, communications et marketing, de Renaissance.

Elle affirme que les clients qui remarquent ces différences de prix peuvent négocier un ajustement de prix. « Il faut qu’ils aillent à la caisse et on va trouver une solution », assure Linda Pimparé.

Le Village des Valeurs abonde dans le même sens. « En moyenne, un magasin Value Village/Village des Valeurs au Canada fixe le prix et la marchandise d’environ 30 000 articles par semaine », explique pour sa part Sara Gaugl, directrice des communications de l’entreprise américaine. « Nous invitons nos clients à discuter avec un responsable du magasin s’ils pensent qu’un article a été mal évalué par inadvertance, afin que nous puissions y remédier rapidement. »

Virginie Tremblay en a fait l’expérience. Pour cette mère de famille, ces prix disparates ne sont pas si graves. « Je pense que les gens au tri en voient beaucoup et des fois, ils peuvent ne pas porter attention », soutient celle qui visite des friperies depuis sa jeunesse, en fouillant parmi la sélection de vêtements pour bébés d’un Renaissance. « Tu peux leur dire : hé, ça, c’est pas la bonne valeur, est-ce qu’il y a une erreur ? Des fois, ils vont t’accommoder, des fois, non. »

La Presse a aussi fait le test et les réponses ont été variées. Lors de nos trois tentatives chez Renaissance, deux articles ont été réduits. Au Village des Valeurs, un article a été réduit, l’autre non.

Que dit la loi ?

L’article 224c) de la Loi sur la protection du consommateur énonce qu’« aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé ». « Ainsi, le consommateur est en droit d’exiger le prix le plus bas indiqué, peu importe si l’étiquette collée sur l’article provient d’un autre magasin. En cas de refus de la part du commerçant, le consommateur pourrait communiquer avec l’Office [de la protection du consommateur] afin de porter plainte », assure Marie-Pier Duplessis, conseillère en communication de l’organisme provincial.