S’il était accosté par un visiteur ou un nouvel arrivant au Canada, Michael von Massow aurait du mal à lui décrire notre culture du pourboire.

« C’est un peu le Far West », affirme M. von Massow. Le professeur d’économie alimentaire de l’Université de Guelph en Ontario étudie les pratiques de pourboire et leur impact sur les consommateurs.

« Si quelqu’un venait ici et demandait : “Mike, que se passe-t-il avec les pourboires au Canada ?”. Je serais bien embêté de lui fournir une réponse définitive quant à où en donner et où ne pas le faire, et aussi le montant du pourboire. »

Il est difficile de connaître les règles, car elles ne sont pas écrites et évoluent rapidement.

Certains d’entre nous ignorent qu’un pourboire est attendu jusqu’à ce qu’un terminal de paiement nous soit remis et que nous soyons invités à choisir un pourcentage de la facture. On attribue de plus en plus à cette technologie une « inflation du pourboire », avec des choix affichés incitant à un pourboire plus élevé, et une « dérive des pourboires » (ou « tip creep »), signifiant qu’une plus grande variété de prestataires de services s’attendent à un pourboire, indique M. von Massow.

Cela a conduit à une fatigue des pourboires. Dans un sondage de l’Institut Angus Reid réalisé l’année dernière, 83 % des Canadiens interrogés estimaient que trop d’entreprises demandaient des pourboires. Soixante-deux pour cent des personnes interrogées soutenaient que les instructions sur les terminaux leur demandaient de donner un pourboire plus important.

Selon le sondage, une majorité de Canadiens privilégierait désormais des salaires plus élevés pour le personnel plutôt qu’un modèle de pourboires. Il est intéressant de noter que la préférence était presque identique parmi ceux qui avaient occupé des emplois avec pourboire dans le passé.

Compenser des salaires plus bas

PHOTO UNIVERSITY OF GUELPH/LA PRESSE CANADIENNE

Michael von Massow, professeur d’économie alimentaire à l’Université de Guelph en Ontario

Le sens du geste a été perdu, ont déclaré les personnes interrogées. L’intention initiale de récompenser un bon service a été remplacée par la perception que les employeurs l’utilisent pour compenser les salaires plus bas, selon 73 % des Canadiens interrogés.

M. Von Massow est d’accord : dans une certaine mesure, la responsabilité d’offrir une bonne rémunération a été transférée au consommateur.

En tant que norme sociale non écrite, il est difficile de savoir quoi faire. On risque de s’inspirer des commentaires de nos connaissances ou se nourrir des discussions en ligne. Mais ce n’est pas toujours juste pour le consommateur, affirme Marc Mentzer, professeur de ressources humaines et de comportement organisationnel à la Edwards School of Business de l’Université de la Saskatchewan.

« Sur internet, il existe une tendance à encourager les gens à être généreux – vous savez, ce sont souvent les serveurs de restaurant qui suggèrent un pourcentage plus élevé », indique M. Mentzer.

« Je pense que les gens qui adoptent la position “J’en ai marre de ça” sont peu susceptibles de publier sur les réseaux sociaux. Il y a donc un biais dans le fait de regarder du côté des médias sociaux pour voir quel est le consensus. »

Pendant des décennies, 15 % était le pourboire attendu au restaurant, souligne M. Mentzer. Cette étiquette a commencé dans les années 1960 et est restée en vigueur pendant environ 50 ans jusqu’à ce que les terminaux de paiement deviennent plus répandus – puis la pandémie de COVID-19 a encore changé la donne.

De nombreuses personnes ont sympathisé avec les difficultés des secteurs de la restauration et des services pendant la pandémie et ont commencé à donner des pourboires plus généreux à ces travailleurs, fait valoir M. Mentzer.

« Lorsque la COVID a commencé, il y avait eu des spéculations selon lesquelles cela amènerait peut-être les gens à reconsidérer à quel point les pourboires sont irrationnels comme moyen de rémunérer les employés, souligne-t-il. Et on espérait que cela provoquerait peut-être une sorte de réinitialisation culturelle. Et comme nous l’avons vu, cela a eu l’effet inverse. Cela a amené le pourboire à devenir plus enraciné, étendu à de nouvelles professions, avec un pourcentage plus élevé. »

Dans la pratique, les pourboires ne remplissent souvent pas l’objectif prévu. Ils échouent dans deux domaines, soutient M. von Massow.

En ce qui a trait à la récompense d’un bon service, cela n’apparaît pas dans la façon dont nous donnons un pourboire – nous avons tendance à être des créatures d’habitudes.

« Dans la recherche, il y a très peu d’indications sur l’existence d’une relation entre la qualité du service et le montant du pourboire, affirme M. von Massow. La plupart d’entre nous donnent un pourboire dans une fenêtre très étroite. »

Du profilage ?

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Pendant des décennies, 15 % était le pourboire attendu au restaurant. Cette étiquette a commencé dans les années 1960 et est restée en vigueur pendant environ 50 ans jusqu’à ce que les terminaux de paiement deviennent plus répandus – puis la pandémie de COVID-19 a encore changé la donne.

Deuxièmement, les attentes en matière de pourboires de la part des serveurs peuvent conduire à un profilage des clients en fonction de leur race, sexe, âge ou situation familiale. Si un employé pense que vous n’êtes peut-être pas le type de client à donner un bon pourboire, il se peut qu’il ne fournisse pas le même niveau de service, soutient M. von Massow.

« Les personnes de couleur, les femmes, en particulier les femmes plus jeunes, les familles bénéficient toutes d’un service de moins bonne qualité, affirme-t-il. Un homme blanc d’âge moyen comme moi, surtout si je porte un complet, bénéficiera d’un excellent service, que je sois de nature à donner un bon pourboire ou non. »

Même décider de ne pas commander d’alcool peut changer la perception qu’un serveur a de vous, fait valoir M. von Massow.

Commander de l’alcool fait augmenter la facture, souligne-t-il, et donc le pourboire en pourcentage augmente également considérablement en valeur.

Tolérer les mauvais comportements

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCJOVES LA PRESSE

Commander de l’alcool fait augmenter la facture, et donc le pourboire en pourcentage augmente également considérablement en valeur.

Il existe également des pièges pour les serveurs.

Certains doivent tolérer les mauvais comportements et le harcèlement afin de ne pas perdre les pourboires, une source essentielle de revenus, souligne M. Mentzer. Et certains gestionnaires de restaurant peuvent jouer le jeu de favoris au sein du personnel en leur attribuant les meilleurs quarts de travail et la plupart des tables, affirme M. von Massow. Deux employés occupant le même emploi peuvent avoir des revenus très différents.

En fin de compte, les consommateurs devraient prendre le contrôle et donner un pourboire là où ils se sentent à l’aise de le faire, affirment MM. Mentzer et von Massow. Les budgets sont désormais plus serrés pour de nombreux Canadiens confrontés à une augmentation du coût de la vie.

« Donner un pourboire n’est pas une loi, c’est une norme sociale ; vous avez totalement le contrôle », soutient M. von Massow.

« Nous devons surmonter notre culpabilité et dire : “Si j’ai une bonne expérience, je vais donner un pourboire et je vais décider moi-même de ce qui est raisonnable.” Et si vous vous rendez dans un restaurant et que leurs indications sont de 25, 30 et 35 %, et vous pensez que ça n’a aucun sens, prenez quelques secondes pour choisir une autre option et donnez-leur un pourboire que vous jugez raisonnable. »