(Ottawa) La ministre des Finances, Chrystia Freeland, garde le cap sur l’augmentation du taux d’imposition pour le gain en capital malgré les critiques. Elle a déposé une motion lundi pour que cette mesure soit adoptée rapidement afin qu’elle entre en vigueur le 25 juin.

Mme Freeland, qui occupe également le poste de vice-première ministre, s’est défendue de tenter de coincer les conservateurs en séparant les dispositions sur le gain en capital du projet de loi sur la mise en œuvre des autres mesures du dernier budget fédéral, mais elle a invité du même souffle les électeurs à prêter attention au vote sur cet enjeu.

« Prêtez attention aux députés qui voteront contre ces changements et réfléchissez à leurs motivations », a-t-elle dit en conférence de presse. Prêtez attention à ceux qui défendent un régime fiscal qui favorise les mieux nantis, à ceux qui s’opposent à une plus grande équité fiscale pour tout le monde, à ceux qui veulent que les millionnaires qui réalisent un gros gain sur leurs investissements paient moins d’impôt qu’une enseignante ou une infirmière, qu’un charpentier ou un plombier. »

Dans son dernier budget, la ministre Freeland a annoncé que le taux d’inclusion – la portion imposable du gain en capital – passera de 50 % à 66 % si ce gain excède 250 000 $ au cours d’une année. Elle estime que cette mesure devrait générer 19,4 milliards sur cinq ans et compte s’en servir pour financer la construction de 4 millions de logements. Sont exclus :

  • la vente d’une résidence principale ;
  • les gains réalisés dans des comptes à l’abri de l’impôt (REER, CELI, CELIAPP, etc.) ;
  • les revenus de pension ou gains en capital dans des régimes de retraite agréés ;
  • la première tranche de 250 000 $.

Le gouvernement prévoit que ce changement touchera quelque 40 000 personnes et 307 000 sociétés. Il s’est attiré des critiques des médecins et des propriétaires de petites et moyennes entreprises (PME) qui s’estiment injustement pénalisés.

« On travaille pour l’équité pour chaque génération, a souligné la ministre Freeland. On comprend l’importance de faire les investissements dans le logement, dans l’abordabilité, dans la croissance économique, et on comprend l’importance de les faire de manière responsable du côté fiscal. »

Elle a rappelé que les médecins peuvent s’incorporer pour obtenir des avantages fiscaux et que les PME pourront bénéficier de deux autres mesures. Premièrement, l’exonération cumulative des gains en capital passera d’environ 1 million à 1,25 million pour la vente d’actions de PME et de biens agricoles ou de pêche. Deuxièmement, les entrepreneurs auront accès à un nouvel incitatif qui réduira de 50 % à 33 % le taux d’inclusion sur un gain en capital à vie de 2 millions. Les détails de ce programme ne seront toutefois connus qu’au cours de l’été.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) s’est dite « très déçue » de voir le gouvernement fédéral maintenir le cap. Près des deux tiers de ses membres sont contre l’imposition accrue du gain en capital.

« L’annonce faite par le gouvernement confirme en quelque sorte qu’il propose ces changements à l’impôt sur les gains en capital pour des raisons politiques, et non pour des raisons économiques », a réagi par communiqué le vice-président aux affaires nationales à la FCEI, Jasmin Guénette.

L’organisme, qui compte plus de 97 000 membres d’un bout à l’autre du pays, réclame l’élargissement du nouvel incitatif pour les PME aux entreprises agricoles et de pêche, ainsi qu’aux investisseurs non fondateurs qui investissent dans des entreprises. Il demande également des mesures pour atténuer l’impact de cette hausse d’impôt sur le gain en capital comme de permettre l’étalement de ce revenu sur cinq ans lorsqu’il est réalisé après la vente d’un bien.

La CSN a plutôt salué cette mesure et s’est réjouie de voir qu’elle fera l’objet d’un vote distinct. « L’incapacité du chef conservateur Pierre Poilievre à se prononcer sur l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital montre que son intérêt envers les travailleurs n’est pas aussi sincère que ce qu’il voudrait laisser croire. Ce vote permettra de tirer les choses au clair », a déclaré sa présidente, Caroline Senneville, par communiqué.

Les conservateurs ont critiqué cette « taxe sur les soins de santé, la construction de logements, les petites entreprises, les agriculteurs et les retraites » et accusent le gouvernement de chercher « désespérément à financer les 61 milliards de dollars de nouvelles dépenses inflationnistes annoncées dans le dernier budget ».

Ils se sont toutefois gardés d’indiquer s’ils allaient s’y opposer. « Les conservateurs de gros bon sens étudieront la motion très attentivement avant de déterminer les prochaines étapes », a fait savoir Marion Ringuette, porte-parole du chef conservateur, Pierre Poilievre.

Le Bloc québécois n’était pas en mesure non plus d’indiquer comment il allait voter. Tout indique que la motion sera adoptée puisqu’elle aura l’appui du Nouveau Parti démocratique, qui réclamait ce changement depuis longtemps.

Les changements s’appliqueront à compter du 25 juin une fois la motion adoptée même s’il s’agit d’une première étape. Le ministère des Finances devra publier ses propositions législatives pendant l’été, après quoi un projet de loi sera déposé, ce qui n’ira pas avant l’automne, puisque les travaux parlementaires feront relâche au plus tard le 21 juin.

Avec Julien Arsenault, La Presse