Le stratagème n’a plus rien à voir avec l’époque du « roi du vol de camions » Alain Lachapelle. Les détournements de marchandises se planifient désormais derrière un ordinateur avec des moyens sophistiqués. Plus besoin de découper les clôtures d’une cour de marchandises ou de s’emparer d’un camion semi-remorque garé dans une halte routière.

« Je vous dirais qu’environ 60 % des vols de remorques se font par l’internet, raconte l’ancien lieutenant-détective au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Daniel Picard. C’est le plus gros fléau présentement. »

Retraité depuis une décennie, M. Picard a mis la main au collet de nombreux habitués du vol de cargo au cours de sa carrière avant de terminer son parcours au sein de la division du crime organisé. Encore bien branché, il continue d’épauler des sociétés de camionnage à la recherche d’une cargaison volée.

Métaux précieux, denrées alimentaires et matériel électronique ; rien n’arrête les malfaiteurs si un larcin de plusieurs centaines de milliers de dollars point à l’horizon. La preuve : en mars dernier, les Penguins de Pittsburgh ont vu la cargaison de mini-figurines à tête branlante à l’effigie de leur ex-joueur étoile Jaromir Jagr – dont le chandail avait été retiré le mois précédent – se faire voler alors qu’elle se trouvait en Californie. Ces articles promotionnels ont finalement pu être distribués quand la marchandise a été retrouvée.

Lisez un article de The Athletic sur ce vol de figurines (en anglais, abonnement requis)

Les criminels sont devenus des experts pour falsifier le connaissement afin de se faire passer pour une entreprise légitime. Le connaissement est un document légal entre l’expéditeur et une société de transport qui décrit les marchandises transportées, leur quantité ainsi que leur destination.

Des accès aux babillards électroniques de cargaisons et d’équipement, qui mettent en lien les transporteurs et les expéditeurs, procurent aux criminels l’information nécessaire sur ce qui peut être intéressant à voler. Les malfaiteurs peuvent proposer des prix alléchants pour transporter une cargaison.

Tout se planifie à distance dans ce stratagème de « récupération frauduleuse ».

Le voleur arrive au volant d’un tracteur volé et maquillé (imitation de logos d’entreprises de location établies, fausses plaques d’immatriculation…), ainsi qu’avec de faux papiers. Il réussit à entrer dans le terminal avant de repartir avec le conteneur et disparaître. La vie est belle.

Daniel Picard, ancien lieutenant-détective au SPVM

« Des vols comme cela, il y en a… Il y en a, poursuit M. Picard. Tu te fais voler une remorque de lames de rasoir à 20 $ pour un paquet de quatre lames, c’est très payant pour les voleurs. »

On est donc loin de l’époque d’Alain Lachapelle et de ses acolytes. Mort en 2022, ce criminel bien connu des policiers a multiplié les larcins dans la grande région de Montréal avec des méthodes plus classiques, ce qui lui a valu le surnom du « roi du vol de camions ». Il a été épinglé à plusieurs reprises, notamment par M. Picard à la fin des années 1990. Les stratagèmes actuels marquent aussi une cassure avec les évènements plus violents survenus au tournant des années 2000, rappelle l’ex-lieutenant-détective du SPVM.

  • Il a multiplié les larcins dans la grande région de Montréal avec des méthodes plus classiques. On voit ici un article sur lui paru dans le Journal de Montréal, en 1997.

    PHOTO FOURNIE PAR DANIEL PICARD

    Il a multiplié les larcins dans la grande région de Montréal avec des méthodes plus classiques. On voit ici un article sur lui paru dans le Journal de Montréal, en 1997.

  • Bien connu des milieux policiers, Alain Lachapelle a été surnommé le « roi du vol de camions ». On voit ici un article sur lui paru dans le Journal de Montréal, en 1997.

    PHOTO FOURNIE PAR DANIEL PICARD

    Bien connu des milieux policiers, Alain Lachapelle a été surnommé le « roi du vol de camions ». On voit ici un article sur lui paru dans le Journal de Montréal, en 1997.

1/2
  •  
  •  

Il donne l’exemple du vol survenu à la distillerie Seagram (LaSalle), en janvier 2001, où quelque 2400 caisses d’alcool, dont la valeur était estimée à 1,4 million, avaient été dérobées. Menacé par une arme à feu, le gardien de sécurité de l’endroit avait été menotté et séquestré pendant des heures.

À toute vitesse

Selon les données compilées par la firme américaine CargoNet, les vols de marchandises pendant le transport ont augmenté de 59 % au Canada ainsi qu’aux États-Unis l’an dernier pour atteindre 2852 incidents. Il s’agit d’évènements ayant été déclarés aux autorités. Les augmentations avaient également été notables en 2022 (15 %) et en 2021 (20 %). La tendance s’est poursuivie pendant les trois premiers mois de l’année, avec une progression de 46 %.

De plus en plus, nous sommes en territoire inconnu. C’est plus facile aujourd’hui, car nous vivons dans un monde constamment en ligne. Les criminels s’en sont rendu compte.

Keith Lewis, vice-président aux opérations chez CargoNet

Au Canada, plus de huit évènements sur dix ont été signalés en Ontario en 2023, selon la firme, mais personne n’est à l’abri des coups d’éclat. Avant le vol de plus de 20 millions en lingots d’or survenu en avril 2023 à l’aéroport Pearson (Toronto), Montréal avait été le théâtre de deux escroqueries impliquant des lingots d’argent.

La première était survenue en 2015 au port de Montréal tandis que l’autre s’était produite au début de 2020 dans l’arrondissement de LaSalle. Le modus operandi décrit par M. Picard avait été au cœur de la stratégie utilisée par les malfaiteurs pour subtiliser un conteneur de l’entreprise Maersk qui contenait 596 lingots d’argent – dont la valeur était estimée à plus de 10 millions.

La boîte métallique était débarquée à Vancouver avant d’arriver à Montréal par train pour finalement aboutir dans la cour d’un terrain situé rue Jean-Brillon. Selon des documents judiciaires, les suspects avaient utilisé un « faux mandat » pour récupérer le conteneur. Les voleurs avaient été en mesure d’obtenir le connaissement et les numéros d’autorisation nécessaires pour éviter d’éveiller les soupçons.

« Ces documents sont de plus en plus réalistes, raconte Martin Burrowes, président de Burrowes Courtiers d’Assurances, qui se spécialise notamment dans le camionnage et la logistique de transport. Les escrocs sont très astucieux. Ce sont comme des pirates informatiques. »

Difficile de savoir

Il est cependant difficile d’avoir un portrait précis de la situation au Québec. En se basant sur les réclamations chez sa firme, M. Burrowes estime que la tendance est à la baisse dans la province depuis quelques années, mais il ne dispose cependant pas de statistiques chiffrées. Le phénomène reste un « fléau », dit-il.

Au Bureau d’assurance du Canada, on indique ne pas avoir de statistiques sur le phénomène. Le Service de police de Laval a invité La Presse à se tourner vers la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels pour obtenir des données. Au moment d’écrire ces lignes, le SPVM n’avait pas encore répondu à une demande d’information sur le sujet.

Les plus récents évènements médiatisés sont survenus chez Olymel en février dernier. Les sites de Berthierville et de Trois-Rivières ont été la cible de malfaiteurs, qui ont volé trois semi-remorques de jambon et de poulet – des cargaisons qui ont finalement été retrouvées. Les voleurs n’avaient pas fait dans la dentelle. À l’aide de tracteurs volés chez deux sociétés de transport, ils ont percuté les barrières avant de s’emparer des semi-remorques pour ensuite s’enfuir.

« C’était comme dans le bon vieux temps, lance M. Picard. Ce n’était pas trop planifié comme plan, mais les voleurs savaient ce qu’ils allaient chercher. Ce n’était pas des amateurs, mais pas loin. »

En savoir plus
  • 260 000 $ US
    Valeur moyenne d’une cargaison volée en 2023
    cargonet
    1
    Rang des entrepôts et centres de distribution au classement des endroits où les vols sont le plus souvent observés
    Cargonet