(Radisson, Québec) En février, les États-Unis ont fait ce qu’ils n’avaient pas fait depuis longtemps : ils ont exporté plus d’électricité au Canada qu’ils n’en ont importé. Puis, en mars, les exportations américaines d’électricité vers le Canada ont encore augmenté, à un niveau inégalé depuis au moins 2010.

L’augmentation des flux d’électricité vers le nord est inquiétante pour l’Amérique du Nord : la demande d’énergie augmente partout, mais la production d’électricité – au Canada, à partir de barrages hydroélectriques géants – et la capacité de l’acheminer vers la demande sont mises à l’épreuve.

Ces centrales hydroélectriques ont récemment dû réduire leur production en raison de pluies et de neige moins abondantes ; une situation temporaire, disent de nombreux experts. Mais certains s’inquiètent : le changement climatique, auquel on attribue les incendies de forêt de 2023, pourrait réduire la fiabilité des modèles prévisionnels de pluviométrie et d’enneigement.

« Il faut être humble face aux conditions météorologiques extrêmes », dit Chris O’Riley, PDG de BC Hydro, qui exploite les barrages hydroélectriques de la Colombie-Britannique. « Certaines années, il y a plus d’eau, d’autres, moins. Lors des creux, comme en ce moment, c’est normal d’importer, et on s’attend à ce que ça soit encore le cas cette année. »

Les États-Unis et le Canada sont depuis longtemps interdépendants : la demande canadienne d’électricité culmine en hiver, avec le chauffage ; la pointe américaine, elle, survient durant l’été avec la climatisation.

L’abondante hydroélectricité canadienne a été la clé de ce commerce, assurant une énergie renouvelable abordable à la Californie, l’Oregon, l’État de Washington, l’État de New York et la Nouvelle-Angleterre.

Mais cet équilibre est menacé. Dans de nombreux États, la demande énergétique augmente fortement été comme hiver. Selon certains experts, la demande américaine hivernale dépassera la demande estivale d’ici 2050.

PHOTO RUTH FREMSON, THE NEW YORK TIMES

Le complexe de la Baie-James a permis à Hydro-Québec de devenir un des grands fournisseurs de l’État de New York et de la Nouvelle-Angleterre. Mais un hiver peu neigeux a contraint Hydro-Québec et d’autres services publics canadiens à importer plus d’électricité américaine.

Parallèlement, les réseaux dépendent de plus en plus de sources d’énergie intermittentes comme le soleil et le vent. Les grandes centrales hydroélectriques californiennes – notamment le barrage Hoover – et canadiennes doivent désormais composer avec la baisse des niveaux d’eau.

« On vit de vrais changements météorologiques et leur impact sur la production hydroélectrique se révèle en temps réel, pratiquement dans toute l’Amérique du Nord », explique Robert McCullough de McCullough Research, de Portland, en Oregon, qui conseille les entreprises clientes des sociétés d’électricité canadiennes depuis les années 1980.

Transition énergétique

En outre, particuliers et entreprises adoptent les thermopompes ainsi que les voitures et équipements industriels électriques, se détournant des énergies fossiles. Cela dope la demande en électricité, tout comme la prolifération des centres de données.

L’administration Biden et certains États travaillent à la construction de nouvelles lignes électriques américaines. Mais les États-Unis devraient aussi ajouter des lignes vers le Canada, suggèrent des experts. Ainsi, les parcs solaires californiens pourraient approvisionner le Canada quand ses barrages manquent d’eau et le Canada pourrait envoyer plus d’électricité vers le sud quand les niveaux d’eau sont élevés.

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La centrale Robert-Bourassa, construite par Hydro-Québec sur la Grande Rivière, se trouve non loin du village de Radisson.

« La plupart des modèles montrent qu’un réseau plus interconnecté est un meilleur réseau », note Shelley Welton, professeure à l’Université de Pennsylvanie, cosignataire d’un récent rapport sur la fiabilité des réseaux électriques. « D’après moi, l’interconnexion à l’échelle nord-américaine est un atout. Il faut planifier divers scénarios et planifier à long terme. »

Entourée de pins et d’épinettes dans le Nord-du-Québec, la centrale hydroélectrique Robert-Bourassa incarne les promesses et les défis de la production d’énergie renouvelable.

Cette centrale et sa petite sœur La Grande-2-A, construites par Hydro-Québec sur la Grande Rivière, peuvent produire plus d’électricité que la plus grande centrale électrique des États-Unis, le barrage de Grand Coulee, sur le fleuve Columbia, dans l’État de Washington.

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Un des tunnels de la centrale Robert-Bourassa, anciennement connue sous le nom de LG-2

Ce complexe de la Baie-James a permis à Hydro-Québec de devenir un des grands fournisseurs de l’État de New York et de la Nouvelle-Angleterre. Toutefois, une quantité de neige inférieure à la normale a contraint Hydro-Québec et d’autres services publics canadiens à importer plus d’électricité américaine ces derniers mois.

« Les conditions semblent anormalement sèches », affirme Gilbert Bennett, président de Water Power Canada, un OSBL qui représente le secteur de l’hydroélectricité. « Les variations annuelles augmentent. »

Hydro-Québec note qu’il y a eu des périodes similaires en 2004 et en 2014 et estime que la sécheresse actuelle tire à sa fin : ses modèles prévoient une augmentation des précipitations de 6 à 8 % dans l’est du Canada au cours des 25 prochaines années.

Selon Serge Abergel, chef de l’exploitation de la filiale américaine Hydro-Québec Energy Services, l’usage récent d’électricité américaine par le Canada a permis d’économiser l’eau des centrales hydroélectriques. La modernisation et l’optimisation des réseaux et l’ajout de ressources renouvelables permettront aux deux pays de se compléter, ajoute-t-il.

« La transition crée aussi des occasions, on optimise ces ressources », souligne M. Abergel.

En général, les États-Unis préféreraient importer plus d’électricité du Canada. Elle est bien moins chère. Les clients résidentiels d’Hydro-Québec paient environ 69 $ les 1000 kWh d’énergie, a déclaré M. Abergel, contre 325 $ dans l’État de New York et 380 $ en moyenne en Nouvelle-Angleterre.

Les coûts d’Hydro-Québec sont bas : ses centrales ont été construites et remboursées il y a longtemps. L’hydroélectricité canadienne coûte deux fois plus cher aux particuliers du Massachusetts qu’aux résidants du Québec, selon une analyse de McCullough Research.

Hydro-Québec construit de nouvelles lignes électriques. Elle participe au Champlain Hudson Power Express, qui devrait être achevé à la mi-2026. Cette ligne de transport de 6 milliards US, faisant près de 550 km de long, reliera une sous-station à La Prairie à une station de conversion située dans le quartier d’Astoria, à New York. Cette ligne sera assez puissante pour alimenter plus d’un million de foyers new-yorkais.

« Si on veut une transition rapide, il faut plus de transport », a déclaré M. Abergel. Mais « on n’incite personne à trouver des solutions, on fait les choses au coup par coup ».

Selon M. Abergel, Hydro-Québec s’acquittera de toutes ses obligations envers New York et d’autres États malgré la sécheresse, car elle peut préserver l’eau en réduisant la quantité d’électricité produite par ses centrales et en important davantage d’énergie des États-Unis. Ainsi, l’entreprise disposera toujours d’assez d’eau pour exporter de l’énergie lors des pics de demande à New York et en Nouvelle-Angleterre.

Mais certains experts en énergie sont moins optimistes. M. McCullough dit craindre que le réchauffement climatique affecte durement les réservoirs et qu’il ne soit plus possible de garder assez d’eau en réserve pour faire face à une très longue sécheresse.

« À chaque épisode de ce genre, on se ronge les sangs », dit-il.

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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